Paris 1811
On parle beaucoup de bals, de jeux et spectacles et les femmes ne savent pas qu’inventer pour se faire remarquer : jupes fendues, robes transparentes ; on leur voit les épaules et même plus bas ! On veut oublier les années terribles.
Grâce à Constant et à M. de Trouville, j’en apprends des choses ! Par exemple, que la Révolution haïssait le théâtre, et la guillotine menaçait les auteurs et les acteurs. La Commune mit en prison la troupe de l’Opéra, celle du Théâtre Montansier. On ne ferma pas le Théâtre Français, mais il devint Théâtre de la République et sa troupe n’échappa à la guillotine que parce qu’un employé du Comité de Salut Public, amoureux d’une figurante, avait fait disparaître les dossiers. Une autre troupe fut emprisonnée parce qu’on avait dit : « Mesdames, Messieurs… », au lieu de « Citoyens, Citoyennes ! »
Maintenant, avec l’Empire, tout change : on refuse du monde à la Comédie Française, l’Opéra affiche « Le Triomphe de Trajan », et le Théâtre de l’Impératrice, « Un Dîner par Victoire ». On se presse à l’Ambigu, à l’Opéra-Comique et à la Gaîté. Il est rare que l’Empereur honore une pièce de sa visite, mais il fait parfois exception pour applaudir Talma.
Alors que l’Empereur n’était qu’un pauvre officier d’artillerie, Talma lui avait plusieurs fois prêté de l’argent. Il l’invitait dans les meilleures auberges. Au cours d’un de ces dîners, au Palais Royal, en compagnie de Louis David et de Talma, David proposa à Bonaparte d’épouser la Montansier :
- Je sais que tu ne lui déplais pas : elle est follement riche, tu pourrais l’aider à diriger son théâtre et pourquoipas, devenir un bon acteur ?
Au dessert, un aide de camp de Barras apporta une lettre cachetée : la nomination de Bonaparte…
« Mon Etoile reparaît, je préfère les champs de bataille au Théâtre !...
Plus tard, l’Empereur m’a dit :
« Talma est le seul acteur que j’ai admis dans mon intimité. Je le tiens pour un génie dramatique, et je veux le décorer de la Légion d’Honneur. »
Pourtant, sur les conseils de Fouché, l’Empereur renonça « à cause du caprice de nos mœurs et le ridicule de nos préjugés ».
À suivre