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25 mai 2018 5 25 /05 /mai /2018 15:43

Voici quelques décennies, en lieu et place d’Internet, il fallait acheter quelques livrets et journaux spécialisés pour s’informer sur certains sujets.

 

Par exemple la gastronomie, il fallait donc ouvrir un guide, lire un journal ou une revue spécialisée pour connaître les bonnes adresses et les nouveautés du monde de la gastronomie.

 

J’ai trouvé une telle revue, s’appelant PLAISIRS, Revue Suisse de Gastronomie et de Tourisme, Printemps 1964 – 5ème année.

C’était une autre époque

La « mise en bouche », est une interrogation bien de chez-nous : Manger suisse, qu’est-ce que ça veut dire ?

 

Texte de Benjamin Romieux, journaliste, homme de radio et gastronome.

      Dans l’abondante littérature documentaire que délivrent les services d’information de l’Exposition nationale, j’ai relevé quelques précisions fort intéressantes sur les restaurants et « pintes » que fréquenteront, du 30 avril au 25 octobre de cette année, les quelque 16 millions de visiteurs escomptés à Lausanne. Méditant sur ce chiffre, j’imagine déjà les millions de litres de vin, les milliers de tonnes de nourriture prévus pour ce peuple immense de visiteurs, mis en appétit par la soif et assoiffés par toutes les spécialités qu’ils auront dégustées ! Il sera toujours temps de dresser l’inventaire de cette intendance gargantuesque. Pour l’heure, contentons-nous de savoir que l’Expo 64 comptera quarante-trois restaurants, y compris les « pintes » cantonales typiques, refuges de prédilection des lampeurs et humeurs de piot. Ces établissements sont assez divers pour satisfaire les désirs les plus variés. C’est dire qu’on trouvera, au gré de ses goûts et de ses moyens, le snack moderne, le carnotzet traditionnel, la brasserie suisse alémanique, le restaurant sans alcool, la salle à manger de grande classe, ainsi qu’un « Centre hôtelier » comprenant un hall pour réceptions et un restaurant de luxe. Exigence formelle de la direction de l’Expo : tous ces établissements mettront l’accent sur les nombreuses spécialités gastronomiques du pays. Cela signifie que l’éventail des richesses de nos cuisines régionales sera très large en même temps qu’éclectique. On mangera bien, on nous le promet. On mangera « suisse », on nous le certifie. Cela dit, qu’est-ce que ça signifie : « manger suisse » ?

      À cette question, on répondra de cent manières, selon qu’on vient du Tessin, des Grisons, des bords du Rhin et des rives du Rhône. Et dans toutes ces réponses – imprévues, insolites, désastreuses, cocasses – s’affirmera la diversité de nos mœurs, de nos habitudes, de nos coutumes, de nos ressources. Ce particularisme et cette diversité, notre Exposition les mettra en valeur avec éclat, à l’étonnement du visiteur étranger qui a de notre pays une connaissance superficielle. Il s’apercevra que le peuple helvétique est doué d’un gros appétit et qu’il ne boude pas les nourritures roboratives, un peu « étouffantes ». Mais il saura également qu’il y a place, ici, pour une cuisine « de classe », susceptible de contenter la clientèle la plus difficile.

      Il se convaincra que la « cuisine suisse » n’est pas un mythe, mais une réalité palpable et riche en possibilités gustatives. Cette cuisine se compose d’authentiques spécialités régionales et locales, qui ne relèvent pas tant de la haute gastronomie que du bien-manger puéril et honnête. Si, hélas, la commercialisation à outrance tend à tuer nos vieilles recettes, si un tourisme abusif ravale au rang de « plats de série » des mets qui, autrefois, nécessitaient les soins les plus attentifs, il n’en reste pas moins que notre cuisine existe. J’en veux pour preuve l’étonnant panorama qu’en brossa notre éminent et si compétent confrère, le Docteur Ramain, auquel on devrait bien décerner un jour un diplôme de « Citoyen d’honneur ». Dans ce panorama, notre savant gourmet posait en principe et en fait que la cuisine suisse est issue d’une gamme de sept matières premières de haute qualité : les poissons des lacs et des rivières, les laitages, beurres et fromages « souvent imités, jamais égalés », les œufs et poulets de grain, la charcuterie, c’est-à-dire les saucissons, saucisses, cervelas, jambons fumés et viandes séchées, les légumes frais, les champignons et les fruits.

      Ces produits, d’une qualité parfaite, c’est un petit pays qui les offre, un pays qui ne se pose pas en réservoir sans fin de « gourmandises de gueule », mais qui sait se montrer rustique avec ses saucissons de Payerne (les fameux boutefas !) que Curnonsky appelait « les meilleurs d’Europe », avec ses saucisses au foie et au chou qui accompagnent si bien la potée de poireaux et de pommes de terre, avec ses tripes « à la neuchâteloise » uniques en leur genre et très proches de la haute gastronomie, avec ses longeoles genevoises, saucisses moelleuses aux abats de porc, ses escargots d’Areuse, ses cuisses de grenouilles, ses écrevisses et ses innombrables poissons. Mangera-t-on à l’Exposition tous les poissons de nos lacs et rivières, c’est-à-dire l’omble chevalier, la truite, la féra, la perche, le lavaret, la bondelle, la lotte, le brochet, l’anguille, le goujon, les printaniers Zuger-Röthli, délicieux petits poissons à chair rosée du lac de Zoug, les salmerini du Tessin, les « ballen » du lac de Sempach ? Pourra-t-on déguster la vraie pôchouse du Léman à défaut de la matelote que nos cuisiniers ignorent, on ne sait pourquoi ? Nous servira-t-on des soupes en sachets en place de nos merveilleuses soupes aux légumes et aux champignons sauvages, en place de la bâloise « soupe à la cervelle » et de la tessinoise « soupe aux tripes » ? Nous gratiffiera-t-on, à l’une des tables de l’Expo 64, du monumental pot-au-feu tel qu’on l’apprête au Bourg-de-Four, à Genève, selon la recette du regretté poète Piachaud, honnête homme et Falstaff tout ensemble ? Certes, nous mangerons la fricassée de porc, le « Bernerplatte » (cette institution bernoise), les « röstis » aux oignons, les émincés de veau et de foie de veau à la zurichoise, les « Klopfer » de Bâle, la potée de haricots à la joratoise, les asperges fraîches du Valais et les raviolis du Tessin, sans parler de nos nationales choucroutes et compotes de raves. Mais les pieds de porc aux épinards, mais les vermicelles aux oignons, mais les gratins de raves, mais les beignets de chou-fleur au gruyère, mais les tartes aux champignons, mais le ragoût de mouton à la fribourgeoise, les aurons-nous ? Je l’espère, mais je n’en suis pas sûr. C’est pourtant cela qui a nom : « spécialités gastronomiques du pays » et non les poulets que je vois déjà débités en quantité industrielle, les entrecôtes aux sauces prétentieuses et impersonnelles, les salades de pommes de terre vite faites, les rognons Lucullus et autres « plats maison » qui sont autant d’attrape-nigauds.

      En revanche, un seul secteur, j’en suis sûr, tiendra ses promesses : celui des fromages. On nous les servira en fondue, raclette, en croûte, en beignets et même en beefsteak. Du vacherin au schapzieger, du Bagnes à la Tête de Moine, du gruyère à l’emmentaler en passant par le Srinz, tous ils seront au rendez-vous du consommateur, dans ces pintes à vin où la puissante odeur du chou, mêlée à celle du fromage, viendra troubler l’odorat et le goût du « monsieur-qui-sait-boire ». Déjà, je vois cette foule, cette cohue, déjà j’entends ces rires, ces cris aigus « de fille chatouillée ». La gastronomie dans cet étalage ?

      Mais ne soyons pas pessimistes. Un effort généreux a été accompli. Sachons en dégager objectivement la portée. Mais que l’on sache bien que nous serons, en tout temps, en tout lieu, des témoins vigilants, des gastronomes actifs, critiques et sans complaisance pour personne.

Benjamin Romieux.

Regardez le prix du menu !

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10 mai 2018 4 10 /05 /mai /2018 16:44
Les pouces aux bretelles

Frédéric Fauquex, l’ancien et regretté président du Conseil des Etats, commandant magistral et majestueux des Cent-Suisses à la Fête des Vignerons de 1955, propriétaire-vigneron à Riex, jouait à merveille le rôle que lui suggéraient les trains spéciaux commis au retour triomphal d’un conseiller fédéral vaudois nouvellement élu, de quelques parlementaires portés aux fauteuils présidentiels des deux Chambres.

Il profitait de l’obscurité passagère du tunnel de Chexbres pour revêtir la cape rouge et blanche de l’huissier. Au moment éblouissant de la sortie, face au théâtre du Léman et du vignoble de Lavaux, il proclamait alors d’une voix d’airain, le bicorne à la main, devant l’officialité politique qui n’attendait que cet instant :

- Messieurs, je vous présente le Pays de Vaud !

Aux yeux des Suisses alémaniques, l’entier du canton s’identifiait ainsi à l’un des plus beaux paysages du monde.

- Faudrait pas qu’il exagère, le Fauquex de Riex, avais-je entendu murmurer : du beau côté du tunnel, on est encore « sur Puidoux ».

Les Vaudois révèlent l’exacte mesure de leur horizon par cette interrogation fondamentale et rituelique :

- On est sur qui ?

Ils abandonnent sans façon les latitudes et longitudes aux capitaines au long cours et accordent leur estime aux artilleurs qui font se croiser les coordonnées de la Carte nationale au 1 :25 000, à distance tactique et possible du bistrot le plus proche. Mais savoir « sur qui on est » procède de l’ouverture du compas la plus universelle qui soit, parce que tout bonnement encore inscrite dans l’entendement humain. On a même vu des pompiers rebrousser chemin : un peu plus et ils volaient le feu qui avait pris la fantaisie de dévorer le toit d’une ferme, hors les frontières communales : mille regrets, mais l’incendie n’était pas « sur eux ».

Les ressortissants de Puidoux éprouvent une joie secrète à initier les gens du dehors à la plus exacte dimension de la géographie locale :

- Attention, messieurs-dames ! Le Dézaley est tout entier sur nous comme, du reste, le lac de Bret. Le tunnel, soi-disant de Chexbres, aurait meilleure mine à s’appeler plus justement le tunnel de Puidoux.

Puidoux embrasse le Léman jusqu’aux limites lacustres de la Savoie.

Les Treytorrens, le Clos-des-Moines, celui des Abbayes, la Tour-de-Marsens, la Crochettaz, c’est encore Puidoux. Une tranche des Moulins de Rivaz et même le Signal de Chexbres sont « sur Puidoux ».

J’ai vu Marcel Dubois, conseiller national et syndic, esquisser le geste rassurant des pouces aux bretelles. Lui, le propriétaire.vigneron de Marsens-Dézaley, l’œil sulfaté au grand bleu d’avoir tant regardé le lac, ajoute encore :

- On a même un pâturage à 1000 mètres, au Mont Chesau.

Ne lui disputons pas les 17,70 mètres de la vérité topographique. Ça aurait mauvaise façon. Il suffit de savoir que les 982,30 mètres du Mont Chesau se justifient à la vaudoise : en pleine chaleur des moissons, on se sent suffisamment à la hauteur et assez au frais pour avoir l’idée de manger la fondue. N’est-ce pas la preuve des hautes altitudes ?

Les Vaudois entrevoient le bonheur dans la description d’une maison où tout y serait : jardin gras de ses choux et poireaux avec un tournesol aussi large que le gâteau aux pruneaux, le jour du Jeûne, dans le coin des fleurs et des courges ; le vin à la cave, bien entendu ; le bois de chauffage accumulé en mosaïque du côté bise ; blé et provisions au grenier.

La commune de Puidoux en rejoint l’image. Point besoin, comme à L’Abbaye, de se jumeler avec Yvorne pour inviter son vin à prendre l’air de la Vallée. Au retour, le vacherin descend à Yvorne. A Puidoux, les produits s’échangent dans les limites naturelles à l’homme, c’est-à-dire courtes.

Les séances de la municipalité illustrent la diversité de « sur Puidoux ». Un de ces Messieurs parle comme un amiral des planches à voile qui encombrent le lac de Bret, ce qui n’a pas empêché un pêcheur de capturer un brochet énorme. Si la nature avait doté le monstre d’une beau-boire, il mettait à sec d’une seule golée.

Le deuxième municipal rend hommage au temps. Les pâturages se sont bien refaits avant l’estivage et les blés presseraient même d’être rentrés.

Le vignoble prédit, une fois de plus, que l’on va « contre » le millésime du siècle. On le sait, dans leur for intérieur, les Vaudois souhaiteraient que l’événement se répète chaque année.

Marcel Dubois, le syndic, convient qu’à ses débuts parlementaires au Grand Conseil la réputation des vins de la commune précédaient d’une bonne longueur sa renommée politique. Son prédécesseur, Raymond Chaubert, quant à lui, démontrait, durant les séances trop longues, que le sommeil était aussi une opinion.

Personne n’osait lui sonner la diane, sous la forme d’un coup de coude :

- Il faut le laisser récupérer.

A deux heures du matin, le député-boulanger pétrissait le pain des gens de Puidoux.

Et le parlementaire-boulanger de se réveiller :

- Avec le blé moissonné sur la commune, s’il vous plaît !

Puidoux n’a pas éprouvé le besoin d’inventer le fédéralisme, ni de le napper d’une sauce doctrinale. C’est son fait géographique. La graine de maison a été semée claire, en petits quartiers. Ils enracinent au sol des noms comme Cremières, En Loche, En Paully, vers la Chapelle, la Vulpillière, Chauferossaz, le Nanciau. Le Flonzaley était même célèbre aux Etats-Unis, naguère, mais pas à la façon du château de Chillon ou de l’aspect pointu du Cervin. C’était l’appellation contrôlée d’un fameux quatuor animé par un Vaudois nommé Pochon. [Quatuor Flonzaley]

La fête du 1er Août illustre avantageusement le fédéralisme local, Feux et discours officiels « remuent », année après année, en sept lieux différents du territoire. Une fois la fête officielle achevée, chacun des hameaux pique son point de braise dans la toile communale. Les verres se croisent entre voisins pour la plus grande gloire de cette patrie « unie dans la diversité » : les fleurs oratoires du 1er Août prospèrent partout.

Marcel Dubois était encore municipal des eaux quand il invitait sur la terrasse de la Tour-de-Marsens un Suisse alémanique malheureux de n’avoir pas su dire, lors d’un concours télévisé, que le Dézaley se trouvait sur Puidoux et non pas du côté de Rivaz ou de Cully. On lui fit suivre du regard et de l’index les frontières légitimes et éternelles qui placent en principauté l’un des vignobles les plus pentus du globe :

- Voyez, là-bas, la petite vallée du Flon, la chute des Moulins de Rivaz ? Au levant, le Dézaley ne va pas plus loin. Ça s’apprend du reste, rien qu’en dégustant. Au couchant, c’est aussi simple : vous apercevrez les toits d’Epesses, puis les terres un peu sombres du Calamin qui font bordure.

Chez les Vaudois, les détails expliquent l’essentiel.

Marcel Dubois avait invité l’hôte venu d’une Berne lointaine à suivre du regard un chemin ondulant comme une vipère, celui de la Dame, l’un des seuls à retrouver l’horizontale sur la butte géologique du Dézaley :

- Avant la Réformation, la Cathédrale, soit la Dame de Lausanne, était tenue en grande vénération. On se regroupait sur le chemin pour la contempler de loin, faute de participer aux célébrations. Les temps ont changé. Depuis, un énorme sucre de béton oblitère l’horizon. On l’appelle le CHUV. Il a réduit les proportions pythagoriciennes de la Cathédrale. On ne débaptisera pas, pour autant, notre fameux chemin.

Marcel Dubois souhaiterait que les fromages de la commune se différencient, comme les vins, par des terroirs distinctifs :

- Nous goûterions ainsi du Chez-les-Conne, du Rueret, du Chesau et du Dalay.

On a souri aimablement à cette idée :

- Dis-nous donc, syndic, n’est-ce pas en train de repoutzer la lune ?

Si on pouvait la rendre plus brillante encore, la municipalité serait la première à dire qu’elle est aussi « sur Puidoux ».

Texte de Jean-Pierre McDonald, tiré de : « Les promenades romandes de Monsieur Pencil, dessin d’André-Paul Perret. IRL Imprimeries Réunies Lausanne S.A. 1984

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26 avril 2018 4 26 /04 /avril /2018 16:00

Mon journal gratuit m’apprend que la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats propose de couper 99,6 millions dans le crédit de 377 millions inscrit au programme d’armement 2018.

Il s’agit de ne pas acheter des gilets de protection pour 100 000 soldats. Jugeant l’acquisition exagérée. Une partie de cet équipement de protection lourd risque fortement de ne pas être utilisée, argumente la commission.

Ben, à bien y réfléchir, il y a aussi les chars, possiblement les avions aussi, l’armée peut-être…

Allons, soyons fous et achetons quelques exemplaires de RoboCop pour notre protection !

Les nouvelles insolites
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3 avril 2018 2 03 /04 /avril /2018 17:23

Pour les 250 ans du journal 24 heures, un livre retrace des épisodes de la vie des Vaudois, c’est au hasard de certains articles qui m’ont intéressés que je recopie ceux-ci pour en partager avec vous l’extraordinaire, la surprenante ou amusante information du passé.

1811

 

Le Lausannois Burckhardt redécouvre le site de Pétra

 

L’antique cité jordanienne est révélée à l’Occident par ce protestant né sur les rives du Léman.

Gilbert Salem

Depuis deux ans, soit depuis 1809, un jeune explorateur d’expression française, mais commandité par des Britanniques, prospecte les pays du Levant : ceux de la Bible, de l’Evangile et du Coran. Né à Lausanne en 1784, Johann Ludwig Burckhardt, enfant de bâlois protestants établis en terre vaudoise, a francisé son prénom. Dans la volumineuse relation épistolaire qu’il adresse à ses mandants londoniens de l’African Association, il signe Jean-Louis B. Ceux-ci la font traduire systématiquement en anglais dans des périodiques à succès et l’y prénomment John Lewis.

Leur émissaire ne s’en formalise guère, il a une fibre de polyglotte. Avant d’avoir étudié leur langue à fond, notamment à l’Université de Cambridge, il a perfectionné son allemand atavique dans celles de Leipzig et de Göttingen. Initialement, l’expédition qui lui est confiée est géographique et coloniale : Situer les sources du Niger en Afrique subsaharienne. Or il se complaît beaucoup dans les escales méditerranéennes qui la jalonnent.

Dans la ville d’Alep

 

Après un séjour à Malte, il est à présent en Syrie pour approfondir un apprentissage de l’arabe entamé à Cambridge. Dans la ville d’Alep, il étudie le droit musulman, se convertit à l’Islam, se laisse pousser la barbe, se coiffe d’un turban et se fait appeler Cheikh Ibrahim. Cette nouvelle identité lui permet de visiter sans encombre Damas, Palmyre, le Liban. Et, plus tard, même les cités de La Mecque et de Médine, alors interdites aux infidèles. Ce sera en 1814, 39 ans avant le poète ethnographe Richard Francis Burton.

C’est en été 1812 que Jean-Louis Burckhardt fait sa découverte la plus époustouflante : le site nabatéen de Pétra, fondé au IIIe siècle av. J.-C., mais tombé dans les oubliettes de l’Histoire depuis cinq cent ans. Le 23 août, il chemine au pas d’amble d’un dromadaire entre mer Morte et golfe d’Aqaba, dans la Jordanie actuelle, quand des Bédouins lui en indiquent le lieu, le « Sikh ». Ils l’appellent aussi Ouadi Moussa, soit le « ruisseau de Moïse ». Notre Lausannois alunit dans un hectare désertique bossué de roche sédimentaire aux reflets pourpres et hallucinatoires. L’entourent aussi des habitations troglodytes, des perrons royaux à colonnade latine. Un amphithéâtre où se marient splendeurs géologiques et histoire antique. Au XXe siècle, il servira de décor à un épisode drolatique de Coke en stock, l’album d’Hergé, puis au film Indiana Jones et la dernière croisade, de Steven Spielberg.

Pétra, David Robert, milieu du XIXe siècle

Pétra, David Robert, milieu du XIXe siècle

Par précaution

 

Jean-Louis Burckhardt en fait une description détaillée et émue : à l’issue d’un long couloir pierreux, il débouche sur le Khazneh, le bâtiment le plus impressionnant du site. Il doit dominer son ébahissement : « Je regrette de ne pouvoir donner un rapport complet des antiquités du Sikh. Mais je connaissais bien le caractère des populations qui m’entouraient. J’étais sans protection au milieu du désert où aucun voyageur n’avait encore passé… Les habitants s’habitueront aux enquêtes des étrangers, et alors les antiquités d’Ouadi Moussa seront reconnues comme dignes de figurer parmi les plus curieux restes de l’art antique. » Car autant il aime ces peuplades aux coutumes bariolées, autant il redoute, à juste titre, leur méfiance : un sursaut d’enthousiasme de sa part trahirait son origine européenne et chrétienne. Donc une dissimulation, crime suprême que les musulmans de ce temps-là châtient par un égorgement expéditif sous la dune ! Son témoignage n’en livre pas moins des clés essentielles aux archéologues du futur.

Sur les instances de ses bailleurs de Londres, le prétendu Cheikh Ibrahim devra quitter incessemement le Moyen-Orient pour mettre enfin le cap sur l’Afrique noire, ses dédales fluviaux et les sources du Niger, dont on saura un jour qu’elles sourdent du socle des monts Tingi, en Sierra Leone. Notre Lausannois n’en foulera jamais les berges : après trois mois de clandestinité en Arabie mahométane, il s’attarda en Egypte, y découvrant au passage la statuaire monumentale d’Abou Simbel. Il y préparera son expédition finale vers Tombouctou via le désert du Fezzan, en Libye. Elle sera annulée : Burckhardt sera emporté par une crise de dysenterie le 15 octobre 1817. A l’âge de 33 ans.

Le monastère par David Roberts

Le monastère par David Roberts

Monument d’Abou Simbel

Monument d’Abou Simbel

Plus ou moins méconnu sous nos latitudes

 

Nombreux sont les Romands qui ont visité les vestiges « incontournables » de Pétra, en ce début du XXe siècle. D’aucuns y ravivent leurs souvenirs d’un des meilleurs albums de Tintin. D’autres retiennent de cette Jordanie troglodytiques et archéologique le vertige d’avoir un peu marché sur les traces de l’acteur Harrison Ford. Or même les plus cultivés d’entre eux, au courant de la nationalité suisse de l’homme qui, en 1812, révéla le site au monde, ignorent que Johann Ludwig Burckhardt était un enfant de Lausanne. Les édiles les plus cultivés de la ville aussi : cet explorateur au destin grandiose et tragique, et dont la Bibliothèque universitaire de Cambridge conserve précieusement une correspondance en quelque 800 volumes, traduit en anglais, n’a pas droit dans sa ville natale à la moindre reconnaissance symbolique. Aucune plaque commémorative ne l’y honore.

   « D’ailleurs, Burckhardt, ça s’écrit comment ? »

Cheikh Ibrahim est Jean-Louis Burckhardt

Cheikh Ibrahim est Jean-Louis Burckhardt

Les plus.

Voilà le récit de cette aventure lausannoise prend fin ici. Vous devriez vous souvenir que j’ai déjà écrit ici, sur l’aventurier et ses découvertes sensationnelles.

On n’a pas fini d’explorer Pétra, qui révèle encore des merveilles. Un très bon documentaire de France 5, avec les techniques d’aujourd’hui, nous montre les dernières découvertes du site.

Doc France 5 - 50 minutes.

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30 mars 2018 5 30 /03 /mars /2018 15:59

Pour les 250 ans du journal 24 heures, un livre retrace des épisodes de la vie des Vaudois, c’est au hasard de certains articles qui m’ont intéressés que je recopie ceux-ci pour en partager avec vous l’extraordinaire, la surprenante ou amusante information du passé.

Vevey s’éveille à l’industrie

 

Deux précurseurs achètent les terrains des futurs Ateliers mécaniques

Vevey est, au mitan du XIXe siècle, notre petit Manchester, un berceau de la révolution industrielle, où va s’épanouir le génie mécanique suisse. Quelque dix-sept décennies plus tard, l’héritage demeure – même s’il est plus discret depuis la disparition des Ateliers de constructions mécaniques de Vevey (ACMV), dont le site s’est presque entièrement transformé en logements. Tout est dans le presque: juste à côté de la halle Inox, dernier vestige des ACMV dont le sort fait l’objet d’une bataille juridique, se tient le siège suisse d’Andritz Hydro SA, successeur, au sein d’un groupe autrichien leader mondial de la turbine, de la division hydraulique des anciennes usines veveysannes. On y prépare avec fierté la célébration, pour l’année prochaine, des 150ans de la première turbine de type Pelton, dont les dérivés successivement améliorés au fil des ans font encore la réputation de ce bijou d’ingénierie suisse.

Apprenti charpentier chez son père, il part pour l’Europe

 

Le bulletin nous apprend que tout commence par l’esprit audacieux et conquérant d’un homme. En 1842, un Veveysan de 27ans, Jean-Benjamin Roy, revient au bercail. Apprenti charpentier chez son père, il est parti à 17ans arpenter l’Europe pour parfaire sa connaissance de la mécanique. Suisse allemande, Alsace, Belgique, Angleterre, Italie, le jeune bourlingueur prend moult notes, dessine des croquis, et se pique même de poésie. A Vevey, Roy installe son atelier dans le quartier de l’Arabie, dans une ancienne fabrique de chocolat. Il y répare des machines agricoles, y fabrique des vis de pressoir et des roues de moulin – ancêtres des turbines à eau…

 

Jean-Benjamin Roy est un passionné de technique, il développe toutes sortes de nouveautés. Son atelier ne suffit plus, ni ses propres compétences. En 1844, Roy fait alliance avec un maître fondeur, Emmanuel-David Zwahlen. Les deux associés achètent un grand terrain, en bordure de Veveyse, pour y développer leurs activités. C’est là que Vevey naît à l’industrie, qui fera – avec l’avènement de Nestlé, plus tard – sa réputation dans le monde entier.

Jean-Benjamin Roy

Jean-Benjamin Roy

L'une des premières turbines construites à Vevey d'après le système Pelton

L'une des premières turbines construites à Vevey d'après le système Pelton

L’inventivité de l’ingénieur patron fait merveille

Roy et Zwahlen ne demeurent ensemble que sept ans, avant que le fondeur ne revende ses actions à l’ingénieur. La société prend le nom de B. Roy & Cie (le Jean du prénom a disparu). C’est le début d’un âge d’or: l’inventivité de l’ingénieur patron fait merveille, et très vite la modernité des machines sorties des ateliers veveysans assoit l’aura de l’entreprise. En 1863, Roy produit la première turbine hydraulique de son invention.

 

L’ingénieur se révèle être aussi un redoutable vendeur, qui ne recule devant rien pour promouvoir ses réalisations: «Conscient de la qualité des machines construites dans les Ateliers de Vevey – raconte le Bulletin de 1941 –, il entreprend de longs et pénibles voyages pour les faire connaître hors des frontières de notre pays. Il fonde des agences à Zurich, à Vienne, à Milan et à Turin et réussit à vendre, en 1867 seulement, pas moins de trente-trois moteurs hydrauliques de sa construction, parmi lesquels une turbine de 115 chevaux sous 92?m de chute constituait un véritable record.»

 

Le roi de Roumanie, le gouvernement français, le ministère italien de la Guerre figurent parmi ses illustres clients. L’expansion continue: Asie, Amérique, les turbines veveysannes prolifèrent. Comme d’autres projets grandioses, parmi lesquels de nombreux ponts et charpentes métalliques, mais aussi le canal Cavour, qui, dit la légende, aurait été inspiré au grand homme politique italien par Roy lui-même.

 

L’impétueux ingénieur est moins doué pour la comptabilité. Sa soif d’investissements assèche les finances de sa société, qu’il doit quitter en 1885. Elle est reprise par les administrateurs Philippe Blanchot et Emile Dolfuss.

 

Dix ans passent, et un nouveau patron, Ami Chessex, donne à l’entreprise son nom définitif, les ACMV – avant la déconfiture du dernier propriétaire, Werner K. Rey, près d’un siècle plus tard. Benjamin Roy, lui, est mort en 1892. Ses chères turbines sont encore et toujours conçues au bord de la Veveyse, juste derrière la gare.

250 ans dans la vie des Vaudois

Thierry Meyer

Audritz Hydro SA / repro 24 / Gérald Bosshard

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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 16:40

Pour les 250 ans du journal 24 heures, un livre retrace des épisodes de la vie des Vaudois, c’est au hasard de certains articles qui m’ont intéressés que je recopie ceux-ci pour en partager avec vous l’extraordinaire, la surprenante ou amusante information du passé.

Tissot néglige Bonaparte

 

A 17 ans, le futur maître de l’Europe adresse une lettre touchante au médecin

Par Julien Magnollay

Source : Essai sur la vie de Tissot, Charles Eynard, Ed. Dugloud, 1839.

Samuel-Auguste Tissot

Samuel-Auguste Tissot

La lettre est écrite dans un français incertain, sur un ton révérencieux. « Vous avez passé vos jours à instruire l’humanité et votre réputation a percé jusque dans les montagnes de Corse où l’on se sert peu de médecin. (…) Sans avoir l’honneur d’être connu de vous, n’ayant d’autres titres que l’estime que j’ai conçue pour vos ouvrages, j’ose vous importuner et demander vos conseils, pour un oncle qui a la goutte. »

La missive, datée du 1er avril 1787, est signée « Buonaparte, officier d’artillerie au régiment de la Fère ». Le cachet arbore les armes de la famille du futur Napoléon, surmontées d’une couronne de comte.  Agé alors de 17 ans, Bonaparte est encore un inconnu. Officier en formation, il profite d’un semestre de repos dans l’île de Beauté pour s’occuper de sa famille.

Bonaparte à l'école militaire

Bonaparte à l'école militaire

Médecin des rois

 

En 1787, Samuel-Auguste Tissot vient d’être nommé vice-président du collège de médecine de Lausanne et dirige les affaires médicales du Pays de Vaud. Le médecin, né à Grancy en 1728, a surtout déjà largement conquis l’Europe, dont il soigne les têtes couronnées depuis plus d’un quart de siècle. Cet apôtre de l’inoculation – l’ancêtre de la vaccination – s’occupe de Voltaire, entretient une correspondance médico-littéraire touffue avec Rousseau. Sa maison, dans la campagne de Montriond, est un véritable salon mondain, où se pressent les esprits éclairés du XVIIIe siècle. Marié à Charlotte Dapples, le médecin a eu un enfant, mort en bas âge.

Le roi de Pologne, l’impératrice Marie-Thérèse ou encore le roi de Hanovre lui ont offert d’être le premier médecin de leur cour. Sans succès. Tissot voyage, mais reste attaché à Lausanne. Voilà ce qu’il dit de Paris à l’une de ses amies, en 1780 : « Il y a sans doute sur huit cent mille âmes plus d’êtres intéressants que sur huit mille, mais je n’ai pu trouver ici mieux que quelques personnes que j’ai laissées à Lausanne. » Seule entorse à sa fidélité, un séjour de deux ans à Pavie, où il accepte une chaire de médecin entre 1781 et 1783. Un poste qui lui est offert grâce à l’empereur Joseph II, que Tissot avait soigné à Lausanne en 1777.

Tissot n’est pas que médecin des célébrités. Grand, mince et élégant, il s’occupe aussi des petites gens, et son dévouement lors d’une épidémie de variole lui vaut d’être nommé médecin des pauvres de Lausanne en 1752. Son livre L’avis au peuple sur sa santé (1762) est considéré comme l’un des premiers ouvrages de vulgarisation médicale. Un véritable best-seller, réédité près de cinquante fois et traduit en quinze langues. Tissot y pourfend les charlatans qui sévissent dans les campagnes, parle d’hygiène, de premiers secours. Ce succès foudroyant accompagne celui de son Onanisme (1760). Un ouvrage resté célèbre jusqu’à aujourd’hui – la masturbation rend sourd, c’est lui – et qui connaîtra soixante-sept rééditions jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Mais revenons au jeune Bonaparte. L’adolescent demande de l’aide pour son grand-oncle Lucien, archidiacre septuagénaire de la ville d’Ajaccio. Souffrant de goutte dès l’âge de 32 ans, il est depuis plusieurs mois cloué au lit par des « douleurs cruelles » dans les genoux et dans les pieds.

Le futur maître de l’Europe termine sa requête en exprimant « la parfaite estime » que lui ont inspiré les lectures des ouvrages de Samuel-Auguste Tissot. Il faut dire que le médecin a, à cette époque, tout pour plaire à Bonaparte. Dans son ouvrage De la santé des gens de lettres (1768), il place Pascal Paoli, figure indépendantiste corse, au-dessus de César, de Mahomet ou encore de Cromwell.

La fougue et l’audace du jeune Bonaparte ne suffiront pas. Samuel-Auguste Tissot ne donne pas suite à la demande du Corse. Sur la missive, il écrit à la main : « Lettre non répondue, pas intéressante. » Le vieil archidiacre mourra trois ans plus tard. Tissot décède en 1797 de la tuberculose, dans une maison à la place de la Palud. Deux ans plus tard, Bonaparte devient le maître de la France, avant d’envahir l’Europe.

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22 mars 2018 4 22 /03 /mars /2018 19:14

Pour les 250 ans du journal 24 heures, un livre retrace des épisodes de la vie des Vaudois, c’est au hasard de certains articles qui m’ont intéressés que je recopie ceux-ci pour en partager avec vous l’extraordinaire, la surprenante ou amusante information du passé.

Beckford, le calife vaudois

 

Quand l’écrivain William Beckford s’installe avec son épouse, Lady Margaret, sur les rives du Léman, dans le château de la Tour-de-Peilz, en 1785, le prince déchu est en quête de quiétude. Sa réputation de « fils le plus riche d’Angleterre », selon les termes de Lord Byron, a du plomb dans l’aile depuis les rumeurs sur sa bisexualité. Surpris avec le jeune William Courtenay, âgé de 10 ans, dans une chambre du château de Powerdham, le sujet de Georges III voit son brillant élan stoppé net. L’exil lui paraît le choix le plus judicieux.

Passionné par l’Orient, polyglotte, (Français, Latin, Grec, Italien, Espagnole, Portugais) critique d’art, ce fils d’un maire de Londres, devenu héritier à 10 ans de l’une des plus grosses fortunes du royaume grâce à des plantations de canne à sucre en Jamaïque, ne rechigne jamais à goûter aux joies d’une vie débridée, à braver les interdits moraux, à humer le parfum du scandale.

Il se vante d’avoir rédigé Vathek, son œuvre majeure, « en trois jours et trois nuits », en 1782, dans la foulée d’une fête de Noël étirée, cloîtré avec des amis dans la maison familiale de Splendens, à Fonthill. Un huis clos qui laisse libre cours à bien des fantasmes de la part des observateurs.

William Beckford

William Beckford

Chez Voltaire

 

Après l’affaire de Powerham, William Beckford s’établit donc à La Tour-de-Peilz, sur cet arc lémanique qu’il connaît bien. « Ce pays de la fraîcheur et de la verdure, des bois de châtaigniers et des bosquets en coteau », écrit-il. En 1783, il y effectue son voyage de noces. Six ans auparavant, l’adolescent avait l’habitude de rendre visite à un certain Voltaire à Genève, ainsi qu’au Salève : « Si je ne pouvais aller rendre visite de temps en temps à Voltaire, et aux montagnes très souvent, j’en mourrais. »

Les trois petites années passées en terre vaudoise seront cruciales à plus d’un titre dans son parcours. Au bonheur de la naissance de ses filles, Margaret et Susan, succède la peine de la perte de son épouse. Dans la foulée, il apprend que le révérend Samuel Henley, à qui il a laissé un manuscrit de Vathek, écrit en français, a publié une traduction anglaise outre-Manche en dépit de son vœu de faire paraître la version française en premier. Qu’à cela tienne, William met les bouchées doubles pour concrétiser son projet avec l’aide du pasteur vaudois David Levade. Un doute subsiste quant à savoir s’il était en possession d’un autre manuscrit en français ou s’il dut traduire la version anglaise de Henley. Quoi qu’il en soit, la version dite Lausannoise du roman paraît chez l’imprimeur-éditeur Issac Hignou fin 1786 (bien que la couverture mentionne 1787).

Peu satisfait des services de traducteur de Levade, William Beckford remet aussitôt l’ouvrage sur le métier avec son ami et médecin François Verdeil. Une nouvelle édition paraît à Paris, chez Poinçot, toujours en 1787. Levade n’apprécie guère ces méthodes : « Je me suis repenti d’avoir cédé à ses sollicitations, l’ouvrage ne me paraissant ni moral ni intéressant », s’insurge-t-il dans une note retrouvée dans un exemplaire de Vathek. « Je dus menacer M. Beckford de mettre dans les papiers publics cette infidélité, qui fit qu’on arrêta à la douane de France l’envoi de l’imprimeur Hignou de 300 exemplaires qu’il envoyait à Paris. »

L’essentiel reste que William Beckford, 27 ans, s’est réapproprié l’œuvre qui lui a fait traverser les siècles et qui continue d’être vendue en librairie aujourd’hui.

Prié de quitter Lausanne

 

Il reviendra séjourner sur les bords du Léman. À Evian d’abord, en 1789. Puis, contexte révolutionnaire aidant, à Lausanne, où il est prié le jour de son arrivée de « partir immédiatement, et que si lui ou ses gens s’y trouvaient encore le lendemain matin à 7 heures, ils seraient tous arrêtés », selon un témoin de l’époque.

Outre ses pérégrinations en Espagne et au Portugal (qui inspirèrent ses Lettres from Italy with Sketches of Spain and Portugal), les hauts faits du reste de son long parcours – il meurt à 84 ans – sont davantage liés à l’impressionnant train de vie de celui que l’on surnomma « le calife de Fonthill ».

Son excentricité atteint son paroxysme dans le projet d’abbaye monumentale construite sur ses terres familiales entre 1796 à 1814 (et dont la tour s’effondra deux fois). Un sens de la démesure que n’aurait pas reniée son personnage emblématique, Vathek.

L'abbaye

L'abbaye

La tour au sol.

La tour au sol.

L'objet du scandal, le jeune comte de Devon, surnommé "Kitty"

L'objet du scandal, le jeune comte de Devon, surnommé "Kitty"

Un conte romantique noir

 

La théorie la plus répandue veut que William Beckford ait hérité sa passion pour l’Orient et ses Contes des 1001 nuits de l’un de ses précepteurs et maître de dessin, Alexandre Cozens. C’est dans cette émulation (par ailleurs à la mode à l’époque) et quelques folles soirées anglaises que William tire son Vathek, calife impétueux, excessif et cruel. Un conte romantique noir, teinté de surnaturel, inquiétant, drôle parfois. Une descente aux enfers, au sens propre, pour un personnage à l’ambition démesurée, prêt à renier les préceptes de Mahomet dans sa quête des trésors du palais de Suleïman, au fond de l’abîme, au royaume des Djinns et du roi-démon Elbis.

William Beckford ajoutera trois contes à la suite de son Vathek, le tout formant une œuvre qualifiée de majeure, dès sa sortie, par Lord Byron, puis, plus tard, par Mallarmé. Une pierre angulaire, devenue un classique, au carrefour du siècle des Lumières et de la fin du XVIIIe, aux penchants préromantiques.

Les romans gothiques.

Commentaire : Aujourd’hui, William Beckford serait reconnu comme pédophile. Pudiquement dit, dans ses biographie, bisexuel, ce qu’il n’a pas montré après le décès de sa femme, il ne s’est pas remarié et ses nuits de débauches ont toujours étés avec des jeunes garçons.

Reste qu’à l’époque et pour un bon moment encore, ça ne dérangeait pas trop la société, sauf lors d’un scandale, tel que celui du jeune William Courtenay, 9ème comte de Devon, surprit au lit avec William Beckford. Le premier avait dix ans, le second dix-huit ans.

Complément d’information : Biographie gay en anglais.

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9 mars 2018 5 09 /03 /mars /2018 17:57

Pour les 250 ans du journal 24 heures, un livre retrace des épisodes de la vie des Vaudois, c’est au hasard de certains articles qui m’ont intéressés que je recopie ceux-ci pour en partager avec vous l’extraordinaire, la surprenante ou amusante information du passé.

La vie comme à Corcelles dans la « maisonnette »

 

Mademoiselle de Saussure, devenue Polier, dit beaucoup sur la région dans sa correspondance

 

Jacques Poget

Louise-Honorée-Françoise de Saussure devenue Polier de Corcelles.

Louise-Honorée-Françoise de Saussure devenue Polier de Corcelles.

« Nous sommes tout à fait occupés de la Cour de France ; ce jeune roy, ce renversement de tout ce qui étoit il n’y a que trois semaines en règne me fait une impression que je n’ay jamais éprouvée ; les nouvelles particulières que nos François nous procurent nous rapprochent si fort de Paris, de Versailles, de Choisy qu’il me semble que c’est tout près ; et ce qui s’y passe en devient plus intéressant ; c’est comme un païsage rapproché… »

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les Romands se passionnent pour l’actualité française. En 1774 – Louis XVI, âgé de 20 ans, succède à son grand-père -, Louise de Corcelles envoie à ses amis Charrière de Sévery, en voyage en Allemagne, des lettres où elle raconte ce qui intéresse le cercle de leurs amis lausannois.

Visites et séjours de nombreux aristocrates français, anglais, allemands, pièces de théâtre que l’on s’amuse à monter entre amis, mariages, fêtes au bord du lac y prennent le pas sur la grande politique. Et c’est sa vie à la campagne, dans le Jorat, qui tient le plus au cœur de l’épistolière.

Fille du baron de Bercher, Louise-Honorée-Françoise de Saussure épousa Jonathan Polier, fils du syndic de Lausanne. Héritier par sa mère du village joratois de Corcelles, il en prit le nom et y construisit ce que les Corçallins appellent aujourd’hui encore « le château », qu’ils ont amoureusement restauré en 1998.

A la campagne, elle respire et lit des romans anglais

La châtelaine, elle, dit « ma maisonnette » - que sont ces huit pièces en regard de la vaste demeure lausannoise où elle s’épuise ? A la campagne elle respire, lit des romans anglais, s’émerveille de son cher jardin, de la nouvelle fontaine (qui glougloute encore de nos jours) : « Cette source à laquelle Corcelles (son mari) faisait travailler depuis quelques mois, vint un beau matin se jeter à gros bouillons dans le bassin que nous lui avions préparé. C’est un grand événement à la campagne ; je crois même que les arbres des alentours s’en réjouissent aussi. Dimanche se fit le ressat* des ouvriers et des fonteniers dans notre grange, et cette fête, je vous le promets, valait à nos yeux peut-être celle du château (de Lausanne) : c’était vingt-six convives, tous de bon appétit autour d’une longue table, parodiant tout à fait celle du Baillif. »

*banquet

La santé un grand souci

Louise écrit quelquefois à son neveu, Charles de Constant, qui commerce en Chine, et presque chaque jour à ses amis Sévery, rue de Bourg, dans leur château ou à l’étranger. Car on voyage : Montpellier, l’Allemagne, cures à Plombières, en Suisse alémanique auprès d’un guérisseur. La santé est un grand souci. On consulte le célèbre docteur Tissot, qui, de Bourg à la Cité, soigne la bonne société, tout en rédigeant ses traités : « Notre amy est très peu des nôtres, on dit qu’il travaille dans son cabinet et qu’il paroîtra bientôt un livre de lui. »

Mais toujours on revient à ces petits « châteaux » qui émaillent la campagne vaudoise : les hobereaux aiment leurs villages – et surveillent les paysans qui leur doivent la dîme. Corcelles fait interdire de boire autre chose que sa production ? « Ses » paysans achètent aussitôt à Lavaux des parchets qui réjouissent encore la commune !

J’ay tant parlé patoy que je ne me tireray point d’affaire »

Dans nombre de ses lettres (un recueil publié aux Editions Spes en 1924), Louise de Corcelles évoque ce « Jurat » où elle craint « d’avoir perdu toutes mes belles manières et oublié mon beau langage. J’ay tant parlé patoy que je ne me tireray point d’affaire avec mes commères de Wurtemberg (la duchesse), de Lannion, de Tonnerre, comme je savais si bien faire icy avec mes voisins, Henry, Penseyres et Gessenay. »

Elle se plaint de la ville : « Une marquise d’un côté, un paquet de l’autre ; des allées et venues, du bruit, des obstacles, des attentes inutiles. Mais arrivée dans ma bienheureuse habitation d’icy, toute sauvage qu’elle est, je me crois au paradis. Un jour me vaut ici comme une semaine à Lausanne. » Aussi soupire-t-elle de devoir quitter Corcelles : « On voit les objets à la campagne sous un tout autre aspect qu’à la ville ; le silence qui y règne semble faire taire toutes les petites passions frivoles. Je laisse et reprends toute ma philosophie au Chalet-à-Gobet. »

Commentaire : De nos jours, impossible d’imaginer tant d’impressions dans l’esprit d’une jeune femme, puisqu’en quelques minutes de voiture on dépasse, et de loin, la campagne qu’elle se nomme Corcelles ou autre, que l’on est déjà dans une autre ville, guidé par satellites. À l’époque, du cœur de la Cité à la campagne de Corcelles, il était question d’expédition, de voyage avec un grand équipage de personnel.

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3 mars 2018 6 03 /03 /mars /2018 18:45

Pour les 250 ans du journal 24 heures, un livre retrace des épisodes de la vie des Vaudois, c’est au hasard de certains articles qui m’ont intéressés que je recopie ceux-ci pour en partager avec vous l’extraordinaire, la surprenante ou amusante information du passé.

1764

Pauvres, ivres et oisifs

Les pasteurs vaudois font une description terrifiante de leurs ouailles.

Par Justin Favrod

En l’an 1764, Leurs Excellences de Berne sont inquiètes. Plusieurs intellectuels vaudois tirent la sonnette d’alarme : le canton se dépeuple. C’est l’avis de l’économiste Charles-Louis de Cheseaux, qui écrit en 1761 : « La diminution du nombre des habitants dans le Pays de Vaud est une vérité de fait qui frappe tout le monde. » Depuis lors, les historiens ont démontré que l’information était fausse : Vaud compte alors 123 000 habitants et ne connaît aucune baisse démographique.

Berne nourrit un préjugé répandu à l’époque : l’essor d’une population dépend de la prospérité et de son ardeur au travail. Elle considère, selon la morale protestante, que l’oisiveté porte atteinte à Dieu. LL.EE. décident donc de connaître la situation des Vaudois et envoient un questionnaire à chaque pasteur. Les réponses à cette enquête sur la pauvreté ont été conservées. Deux étudiants en histoires de l’Université de Lausanne, Jean Borloz et Toni Cetta, leur ont consacré des mémoires de licence instructifs.

La plupart des pasteurs répondent de façon circonstanciée. Quelques-uns rédigent de minuscules notices. Ils vont jusqu’à demander une augmentation de leurs propres revenus… Pratiquement tous regardent leur troupeau à travers le prisme de l’éthique protestante. Ils dénoncent chez les Vaudois trois vices qui expliqueraient la pauvreté constatée : l’oisiveté, l’ivrognerie et le goût du luxe.

Seize pour cent des Vaudois, en moyenne, n’arrivent pas à joindre les deux bouts sans la mendicité et l’aide de la caisse des pauvres de la commune. Il s’agit en majorité de vieillards, de handicapés et d’enfants. Les chiffres sont très variables d’une paroisse à l’autre : tout laisse à penser que le taux dépend davantage des moyens à disposition de l’aide sociale communale que de la pauvreté réelle des habitants. Essertines compte ainsi 50% d’assistés, Aigle 24% et Payerne 6%. Bien des pasteurs attribuent cette misère à la paresse. Le ministre de Saint-Saphorin l’affirme : « Obliger le pauvre au travail est peine perdue. C’est pourquoi on engage de préférence des étrangers en tant qu’ouvriers. » Même son de cloche à Cossonay : « Ils ne travaillent que s’ils sont bien rémunérés. Sinon ils choisissent la fainéantise et la misère. » A Villette, après la vendange jusqu’en février, « presque tous vivent dans la totale inaction, renfermés comme marmottes ». Les pasteurs montrent aussi du doigt les mendiants étrangers. Pourtant l’autorité bernoise n’est pas tendre : ils sont une première fois raccompagnés à la frontière ; pincés une deuxième fois, ils sont fouettés. Et marqués au fer rouge en cas de récidive.

Fermer les cabarets

Le deuxième vice fustigé par les hommes d’Eglise, c’est l’ivrognerie. Plusieurs demandent la fermeture des cabarets où même les plus industrieux brûlent leurs économies le dimanche ou les jours de marché. Le pasteur de Savigny signale que les champs ne donnent presque plus rien parce que 200 chariots de fumier par an partent engraisser les vignes. Pully abrite une auberge très prisée : « Les étrangers y viennent des environs se livrer au vin et à la débauche. »

Quant au goût du luxe, ce péché vient de la ville, où beaucoup de campagnards émigrent comme serviteurs. Ainsi, à Crassier, les femmes « s’amusent à boire le café, surtout celles qui ont été en service en ville, boisson dispendieuse qui entraîne après soi diverses autres branches de gourmandises et de dépense ». a Vevey aussi le goût du café est ruineux : « Les personnes du commun le prennent en quantité avec la crème, ce qui, joint à l’abondance de sucre, ne peut que faire un capital considérable qui doit les appauvrir. »

Beaucoup constatent que l’émigration dépeuple des régions entières. Ainsi, dans la région de Payerne, on part travailler à Neuchâtel dans les usines d’indiennes. On y envoie même des enfants depuis l’âge de 5 ans. L’enquête montre surtout que le canton conserve sa vocation agricole, de nombreux pasteurs invitent Berne à favoriser les industries, surtout en saison froide, pour sortir les Vaudois de leur funeste léthargie.

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13 février 2018 2 13 /02 /février /2018 17:40

Lundi (12.02.2018) au Palais fédéral, une salle a été baptisée « Carl Lutz ». Il était temps qu’au cœur du Palais, on rende hommage à celui qui est « Juste parmi les nations » depuis 1964.

Je vous en ai déjà parlé de ce grand homme de paix, http://gtell.over-blog.org/page/42

Et comme toujours, vous avez des informations sur Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Lutz

GTell

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