L’abaque ou table de compte
Le texte ci-dessous est tiré de Trésors et Trouvailles monétaires, racontent l’histoire du Pays de Vaud, par Colin Martin Docteur ès lettres honoris causa. Paru à la Bibliothèque Historique Vaudoise, collection dirigée par l’auteur. Lausanne, 1973
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Les musées aussi recèlent des trésors cachés, des objets dont l’usage et la connaissance se sont perdus. C’est ainsi que, visitant le remarquable Musée du Vieux Pays-d’Enhaut, à Château-d’Oex, notre attention a été attirée par une table sur le plateau de laquelle des lettres étaient marquetées. Un rapide examen nous fit découvrir qu’il s’agissait d’une table de compte.
Dans la Rome antique, on utilisait déjà l’abacus pour les quatre opérations de l’arithmétique : on y plaçait de petits cailloux – calculi – et de là vient l’expression de « calculer ». Au Moyen Age, on remplaça les cailloux par des jetons, expression rappelant l’action de jeter sur la table, qui reçut, dès lors, la dénomination de « table de jet ».
Ce n’est qu’avec l’invention et la vulgarisation de l’usage du papier que l’on commença à faire les calculs par écrit. Il avait fallu préalablement aussi remplacer les chiffres romains par ceux des Arabes. On distingua dès lors deux méthodes arithmétiques : calculer se faisait sur l’abaque – chiffrer par écrit.
Les tables de compte étaient utilisées dans tous les pays ; l’expression anglaise de « chancelier de l’échiquier » n’est autre que « chancelier de l’abacus. Chose curieuse, aucune table de compte n’a subsisté en Angleterre ; elles sont rarissimes. Nous en avons repéré une à Copenhague, une à Strasbourg, deux seulement en Allemagne, aucune en Italie. En Suisse par contre, une vingtaine de ces précieux et intéressants ancêtres de nos machines à calculer ont subsisté. Bâle en conserve trois exemplaires, Thoune autant, Genève, Sembrancher, Bremgarten et Zurich un exemplaire. Quant au canton de Vaud, il a le privilège d’en détenir trois au Musée de Château-d’Oex, une au Château de Chillon et une demi-douzaine chez des particuliers, toutes provenant du Pays-d’Enhaut.
Nous avons montré par ailleurs que les bouliers ne sont qu’une mécanisation de l’abaque ; aussi que la machine à calculer créée par Pascal, au milieu du XVIe siècle était dérivé directement de l’abaque qu’il avait eu l’occasion d’utiliser au service de son père, intendant de la Généralité de Rouen.
Ces tables sont une étape importante dans l’histoire des instruments de calcul. Longue étape qui s’étend de l’Antiquité au XVIIe. La machine à additionner de Pascal, qui lui succéda, ne fut remplacée et perfectionnée qu’au XXe siècle par les machines utilisant les circuits électroniques. Parallèlement aux moyens mécaniques, les mathématiciens inventèrent les logarithmes, puis les règles logarithmiques qui n’en sont que la mécanisation. Et voilà brièvement exposé ce que la découverte d’une table de compte dans un de nos musées nous évoque de l’histoire non seulement de notre pays, mais de celle de la civilisation.
GTell, Colin Martin, Internet