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27 octobre 2015 2 27 /10 /octobre /2015 16:38

Entre les marécages qui couvraient une partie du front ouvert de Polotzk, un ou deux régiments de cavalerie russe réussirent à se couler, et par là, ainsi qu’une trompe ils pénétrèrent dans les lignes françaises. Rien ne tenait devant eux, ni cavalerie, ni infanterie; les canons même furent pris, et la panique aidant, c’était sur ce point-là une fuite éperdue. Gouvion Saint-Cyr lui-même faillit être victime de cette affaire. Ayant été légèrement blessé. Il était en voiture derrière ses lignes, quand il fut balayé par le tourbillon de cette charge endiablée, roula dans le ravin, et n’échappa que par une chance singulière en se réfugiant au milieu d’un carré suisse.

Dans ces circonstances, rendues plus critiques encore par l’ombre qui augmentait le trouble et la confusion, le général de Lorencez, chef d’état-major, arrivant au galop sur le 3e régiment suisse, posté à peu de distance pour garder le pont de la Polota, le fit former en colonnes serrées et le conduisit au pas de charge, à travers les fuyards, droit à la cavalerie russe qu’il tint en respect. Plus en arrière, placés en réserve, les 1er et 2e régiments suisses assistaient, l’arme au bras, à cet épisode. Un flot de fuyards et de poursuivants arriva bientôt jusque sur eux. N’osant tirer, de peur d’atteindre les Français, ni leur ouvrir les rangs où se fussent précipités les Russes, ils croisèrent la baïonnette et forcèrent ainsi leurs camarades à faire front contre les assaillants. Grâce à la fermeté des Suisses, l’infanterie française se ralliait peu à peu, quand survint une brigade de cavalerie qui rétablit tout à fait la situation un moment compromise. À son tour la cavalerie russe fut obligée à une rapide retraite, que la nuit, et plus encore la fatigue des troupes françaises, protégea suffisamment.

L’empereur témoigna sa reconnaissance à Gouvion Saint-Cyr en lui conférant le bâton de maréchal. Cent vingt décorations furent réparties aux héros de cette victoire, qui avait coûté 5000 hommes aux Français, 7000 aux Russes, - sans compter 1500 prisonniers, beaucoup de bagages et 14 canons.

Au matin de cette journée, quelques officiers supérieurs se plaignant que les Suisses ne fussent pas placés en avant, à leur tour, le général Gouvion avait répondu : « Je connais les Suisses, car j’en avais sous mes ordres à Castelfranco. [Près de Trévise. Gouvion y avait remporté, peu de jours avant Austerlitz, une victoire signalée sur les Autrichiens de Rohan.] Les Français sont plus impétueux à l’attaque ; mais s’il s’agit d’une retraite, nous pouvons certainement compter sur le sang-froid et la bravoure des Suisses. C’est pour cela qu’aujourd’hui encore je les place en réserve. »

Le rôle principal échu à nos soldats dans cette campagne était exactement défini par ces paroles. Et l’hommage qu’elles expriment, nos régiments le méritèrent sans réserve. Ils ont fait preuve à un haut degré de cette intrépidité calme, de cette discipline solide, de cet esprit de sacrifice et d’honneur nécessaire pour soutenir l’épreuve morale d’une retraite difficile, et qui ne sont pas vertus communes.

Après sa défaite, l’armée de Wittgenstein s’était retirée à quelques lieues vers le nord-ouest, sur la route de Pétersbourg, pour y attendre avec des renforts l’occasion de recommencer plus avantageusement la lutte. Deux mois entiers passèrent avant ce retour offensif. Ce ne fut pas un armistice véritable, car on s’observait de part et d’autre par des reconnaissances de cavalerie qui n’allaient pas sans escarmouches ; ce fut une sorte de trêve dans le grand duel de 80'000 hommes, engagé sur la Duna pour la possession si importante de Polotzk.

Les deux adversaires mirent naturellement le temps à profit. Pour sa part, Gouvion Saint-Cyr fit compléter et renforcer les défenses de la ville par un ensemble d’ouvrages – remparts, redoutes, palissades – qui rendirent Polotzk très forte.

Sous la protection de la place, dans la plaine adjacente, une ville improvisée prit naissance, régulièrement disposée, où chaque division avait pour quartiers de solides baraquements construits en mottes de terre, en planches et en paille. La chaleur avait diminué sur ces entrefaites, et les soldats se trouvaient si bien logés dans ce camp qu’ils n’eussent pas échangé leurs baraques pour des cantonnements en ville.

La victoire du 18 août avait relevé le moral de la troupe en lui rendant sa confiance en elle-même et en son chef. Cependant l’état général laissait trop à désirer. Faute d’une bonne nourriture, - faute aussi de ressort – les malades étaient toujours en grand nombre et beaucoup mouraient. Les Bavarois, en particulier, si braves au feu, s’abandonnaient, le danger passé, avec une résignation accablée, à la maladie et au mal du pays. Ils se traînaient vers Polotzk, raconte de Marbot, et gagnant les hôpitaux, ils demandaient « la chambre où l’on meurt », s’étendaient sur la paille et ne se relevaient plus. Leur effectif était tombé de 25'000 hommes, au 15 juin, à 2600, au 15 octobre ; et leur général fit placer dans son fourgon les drapeaux de plusieurs bataillons qui n’avaient plus assez d’hommes pour les garder.

Ce fut, dans une mesure bien moindre pourtant, aussi le cas des Suisses. Entrés en campagne au nombre de 9'000 environ, ils n’étaient plus, vers la mi-septembre que 2'800 sous les armes et 1’100-1'200 aux ambulances et dans les hôpitaux. Quelques jours avant la seconde bataille de Polotzk, ils furent renforcés d’un millier de recrues, venus des dépôts régimentaires en France. Ces hommes, que plusieurs centaines de leurs camarades n’avaient pu suivre jusqu’au bout, venaient de faire plus de cinq cents lieues pendant les derniers mois d’été. [500 lieues, 2414 km.]

Pour les vivres, qui manquaient toujours, bien que la moisson fût faite, on continuait à s’en procurer par réquisitions forcées au loin à la ronde. Ce maraudage favorisait les désertions. D’autre part, les Russes donnaient la chasse aux détachements isolés et les enlevaient souvent. Citons, pour illustrer cet aspect de la guerre sur la Duna, l’aventure narrée par le lieutenant Legler, de Glaris, dans ses Souvenirs.

Commandé en réquisition avec ses camarades Dortu, de Nyon, et Thomann, de Soleure, et accompagné d’un détachement de grenadiers, il se sépara d’eux et partit de son côté à l’aventure. Arrivant enfin dans une belle propriété seigneuriale, il y trouva un fort détachement de chasseurs à cheval, qui achevaient de faire main basse sur tout ce qui s’offrait à leur rapacité. Legler réussit cependant à obtenir encore du pain, de la viande, de l’eau-de-vie et douze sacs de grain, ainsi qu’un homme sûr pour le guider chez un riche châtelain, à quelques verstes de là. [1 verste = 1 066,80 mètres.]

Chemin faisant, les grenadiers de Legler s’emparent d’un fort beau cheval, qui a le tort d’errer sans maître, et l’offrent à leur officier. Arrivée au château, à peu de distance des avant-postes russes, la petite troupe y fait une abondante réquisition de blé, à laquelle le seigneur des lieux se prête d’assez bonne grâce. Il héberge même hospitalièrement la troupe, invite le lieutenant Legler à sa table. En retour celui-ci donne à son hôte le conseil de bien cacher son argenterie, en prévision de visites moins… scrupuleuses encore que la sienne. Survient en effet un groupe de chasseurs, un officier et quatre hommes, qui tentent de se faire céder une part du butin. Cris et disputes d’éclater, mais sans autres suites fâcheuses, nos grenadiers ne s’en laissent pas imposer.

En route depuis quelques instants à peine, le détachement de Legler aperçoit une colonne d’infanterie française arrivant d’autre part au même château. Un quart d’heure après, d’épaisses colonnes de fumée tourbillonnent vers le ciel. La belle demeure seigneuriale est en flammes !

C’était là, dit Legler, une vengeance, disons une barbare cruauté, souvent exercée sur des gens déjà dépouillés de tout, lorsqu’un détachement réquisitionnaire, prévenu par quelque autre, se trouvait frustré du butin espéré.

On comprend qu’à des cœurs sensibles, et il y en avait aussi parmi ces soldats, de telles besognes parussent odieuses. Dans une lettre à sa famille, au lendemain de la grande retraite, le capitaine Hirzel, de Zurich, maudissait un état « où l’on ne connaît plus l’honneur et l’humanité, où l’homme se change en tigre », et où l’armée devient « comme une bande de brigands. »

Un chef énergique et clairvoyant tel que Gouvion Saint-Cyr ne devait pas tolérer longtemps ces rapines fatales à l’esprit de l’armée. Il prit d’énergiques mesures pour les réprimer. Mais il sut aussi parer à la disette toujours menaçante, vêtir ses soldats, approvisionner ses magasins. Les réquisitions, il est vrai, continuèrent, mais avec ordre, et le pain manqua moins souvent.

Ainsi s’écoulaient les semaines, sans que l’on pût prévoir la reprise inévitable des hostilités. On vivait toujours dans cette attente. Mais tandis que du côté français on ne recevait que d’insignifiants renforts, Wittgenstein augmentait ses forces de nombreuses recrues. Il allait pouvoir reprendre l’offensive contre l’armée de Saint-Cyr.

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