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18 juillet 2017 2 18 /07 /juillet /2017 15:51

Donc les premiers palaces ont fait leur apparition, bien groupés dans l’Oberland bernois. Nous sommes en 1850, des régions entières restent encore sous l’empire des diligences et des bonnes vieilles auberges. Zermatt est un village à peine indiqué sur la carte. Seuls quelques excentriques Anglais s’y rendent. Voici Saint-Moritz, décrit par Rodolphe Toepffer : « Une petite bourgade composée d’étables et de cafés-billards, où des baigneurs barbus tuent le temps, un de ces endroits qui doivent au séjour momentané des malingres un peu de fausse vie, beaucoup d’odeur de cigare et ce grotesque mélange de pâtres occupés et de messieurs fainéants, de liquoristes et de faiseurs de fromages, de laitage et de carambole. »

 

En résumé, un tout petit trou de campagne.

Pour terminer, voici Montreux, la « perle de la Riviera vaudoise » telle qu’elle apparaît dans un guide des étrangers en 1845 : « Entre Vevey et le Château de Chillon, on traverse la paroisse de Montreux (prononcez Montru), consistant en une vingtaine de fermes dispersées, parmi des collines couvertes de vignobles. On y fait d’excellents fromages et la vendange y commence plus tôt que dans les autres parties du canton de Vaud. »

Survient des constructeurs bâtisseurs audacieux.

Chemins de fer, funiculaires, ascenseurs en plein air et autres merveilles firent leur apparition sitôt que l’imagination hôtelière se mit à rêver d’installer les gens, non pas au pied des monts, mais sur les lieux mêmes d’excursions fameuses : au sommet.

 

Ces sommets célèbres sont dans les environs de Lucerne : le Righi, le Pilate et le Bürgenstock. Le plus entreprenant de ces mécaniciens du tourisme est un natif de l’Obwald, qui ne fréquentera que l’école communale et deux classes du collège de Sarnen. Il ne parlera jamais d’autre langue que l’obwaldien. Ses seules lectures seront ses carnets de compte. Ce petit bagarreur paresseux désespère ses pauvres parents. Il ne fait rien de bon avant l’âge de 29 ans où il rencontre son compère Joseph Durrer (1841-1919) en tournée au Melchtal, et qui lui propose de s’associer pour quelques bonnes affaires. Durrer est un artisan, habile et bon calculateur, Bucher n’est rien mais va se révéler extrêmement malin.

Les deux compères commencent par bâtir et revendre des granges et des maisons pour se faire la main dans l’immobilier. En 1869, ils bâtissent et revendent tout neuf l’Hôtel Sonnenberg à Engelberg. Ils ont un capital. C’est le vrai départ.

Bucher est tenté depuis longtemps par la crête rocheuse du Burgenberg (qu’il rebaptisera plus tard : Bürgenstock). C’est un projet insensé. Personne n’y croit. Il achète à bon compte des terrains considérés comme inaccessibles et construit à ses frais une route privée conduisant au sommet. Là-haut, il mine le terrain, fait sauter les pierres pour en tirer sur place la chaux nécessaire à la construction de l’hôtel, qui s’élève bientôt sur des plans dressés par lui, pour économiser les frais d’architecte. Tout le monde se reconnaît à trouver l’hôtel sobre, hardi, harmonieux de proportion, plutôt mieux inséré dans le paysage que beaucoup d’autres, à son ouverture en 1873. C’est un coup de maître. Un amateur sans formation, sans expérience et sans culture, vient de s’imposer dans un lieu tout à fait original. Le succès est tel que les hôtes font la queue parfois plusieurs semaines à Lucerne avant de trouver une chambre au Bürgenstock.

Bürgenstock Grand-Hôtel

Bürgenstock Grand-Hôtel

L'ingénieux ingénieur-bâtisseur-hôtelier Bucher-Durrer (assis) en reconnaissance au Stanserhorn.

L'ingénieux ingénieur-bâtisseur-hôtelier Bucher-Durrer (assis) en reconnaissance au Stanserhorn.

Bucher continue sur sa lancée. Il aménage, loue ou dirige des hôtels un peu partout, à Bâle, à Lugano. A Lucerne, toujours innovateur technique, il construit au bord du lac, le Palace-Hôtel sur une forêt de pilotis.

 

En 1888, Bucher et Durrer font construire le premier chemin de fer électrique Kehrsiten-Bürgenstock, ridiculisant celui du Pilate qui s’époumone encore à la vapeur.

Le Palace-Hôtel à Lucerne

Le Palace-Hôtel à Lucerne

Passant outre aux injonctions comminatoires des ingénieurs officiels épouvantés par leur audace, les deux compères créent le funiculaire à voie unique, avec évitement à mi-parcours, ainsi qu’un nouveau système de freinage automatique en cas de dépassement de la vitesse normale. Bucher en fait lui-même la démonstration devant des officiels effarés et tremblants. Le système Bucher-Durrer est bientôt imité par le monde entier. Ils ont négligé de prendre un brevet, bien trop occupés à prendre d’assaut tous les sommets disponibles : San Salvatore, en 1890, Stansstad-Stans par tramway, et le Stanserhorn par funiculaire, en 1893, Mont-Pèlerin en 1897, chutes du Reichenbach en 1899, par funiculaire encore mus par des usines autonomes d’électricité. Enfin, au début du siècle, Bucher s’offre une petite fantaisie personnelle, genre Eiffel : le fameux ascenseur en plein air de la Hammetschwand, qui s’élance à 165 mètres de hauteur, à l’extrémité d’un chemin en corniche dans un panorama gigantesque.

Tout en posant ses crémaillères, il passe et repasse le Gothard, poursuivant une double carrière d’hôtelier en Italie. Il ne sait pas l’italien et ne l’apprendra jamais. On l’appelle le « Segnor Subito ». Il fait valser ses armées d’employés dans un grand hôtel qu’il tient près de Gênes, sur la Riviera. Dans cette même ville, toujours passionné de grands travaux, c’est lui qui fait percer le tunnel de la gare au centre de Gênes, construit la première ligne de tramways et un funiculaire menant au port. Puis revend l’exploitation de ses inventions urbaines à la ville de Gênes pour un million or, qu’il fourre dans une sacoche, et rentre au pays, le gourdin à la main. Arrivé à son village, l’étonnant vieux galopin d’Obwald, maintenant nanti d’une superbe barbe, vide sa sacoche sur la table, et devant l’amoncellement de billets et pièces d’or, invite ses amis et paie à boire au village.

Mais tout cet argent ne passe pas en schnaps et en Veltliner. Il achète un autre hôtel près de la gare de Milan, l’Hôtel Quirinal, à Rome, puis, toujours avec son compère Durrer, il se lance dans les matériaux de construction. Ils acquièrent au Gouvernement hongrois deux mille troncs de chêne en Transylvanie, puis des forêts entières en Bosnie, Moldavie et Valachie, ils fondent leur propre fabrique de meubles et parquets à Bucarest, où les bois sont travaillés, puis expédiés en Suisse, France, Allemagne, Egypte pour la construction d’hôtels nouveaux. Les deux aventuriers d’Obwald sont devenus les empereurs de l’industrie hôtelière. Il y a bien quelques petits malheurs ici et là. Un prince balkanique, nommé Dadra de Mingralia, leur vend pour 1 200 000 francs de superbes forêts qui ne lui appartiennent pas. La fabrique de Bucarest est détruite par le feu. Mais Bucher a les reins solides. Il tient une dizaine d’hôtels, des chemins de fer, des funiculaires et des usines électriques. Il trouve encore le moyen de construire le Grand Hôtel Braunwald dans les Alpes, jusqu’ici peu fréquentées, de Glaris, avec un funiculaire de plus. Un beau jour, Bucher débarque en Egypte, avec l’intention d’acquérir au Caire le Continental. Faute d’y parvenir, il acquiert un grand marécage au bord du Nil, et refait l’expérience de Lucerne en grand. Il y fait planter des pilotis et lance 1300 ouvriers sur le chantier. Il bâtit le Sémiramis, encore debout aujourd’hui, ouvrage énorme, pour lequel arrivent de Suisse par cargaisons entières, les machines, les ascenseurs, les meubles, le linge, les fourneaux, la vaisselle.

L'Hotel Quirinale à Rome

L'Hotel Quirinale à Rome

Grand Hôtel Braunwald

Grand Hôtel Braunwald

Le Semiramis, Caire

Le Semiramis, Caire

Le Semiramis en 1976

Le Semiramis en 1976

Bucher succombe d’une double congestion pulmonaire, après avoir passé en revue toutes les chambres et toutes les installations du Sémiramis battant neuf, qui s’ouvrira quelques jours après sa mort.

 

De mauvaises langues disent que c’était peut-être mieux ainsi, nous aurions très probablement aujourd’hui un funiculaire sur la Grande Pyramide et un téléphérique pour passer de Chéops à Khephren, et du Sphinx à Mykérinos.

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