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24 octobre 2015 6 24 /10 /octobre /2015 17:34

Cette faiblesse des effectifs était une source de pressantes réclamations de la part de l’Empereur, et les rapports de la Suisse avec lui en furent parfois troublés assez gravement. Il croyait avoir à se plaindre du mauvais vouloir de certains gouvernements cantonaux. Peut-être pas entièrement à tort. Mais qu’on se représente aussi les sacrifices permanents qui nous étaient alors imposés par sa volonté ! Pendant les quatre ans passés en Espagne, certain régiment avait perdu successivement près de 4000 hommes ; et l’on a calculé à cette époque que la Suisse avait fournie, pendant ce laps de temps, un contingent de recrues proportionnellement double de celui de la France. Ce qui n’empêchait point Napoléon de nous menacer de la conscription, ou même d’une pure et simple annexion de la Suisse à l’Empire, - comme il venait de faire du Valais.

Les régiments suisses furent attribués au 2e corps de la Grande Armée, commandé par le maréchal Oudinot, duc de Reggio. Avec un régiment croate et un régiment hollandais, ils formaient la division du général Belliard. Ce chef avait pleine confiance en eux et disait à Napoléon, lors d’une revue : « Sire, ils marcheront bien et se battront bien. »

Un brin de petites histoires dans la grande Histoire. [2]

De fait, les marches de concentration avaient déjà mis les troupes à l’épreuve. Tout en avançant elles s’exerçaient et manœuvraient assidûment ; et la vie militaire n’était certes pas un jeu dans ces régions peu peuplées et pauvres de la Prusse orientale, déjà inondées de troupes et fatiguées de réquisitions. Un historien allemand donne le chiffre de 428'000 hommes et 84'000 chevaux, comme total des bouches à nourrir par ces contrées pendant des mois. La vieille comtesse douairière de Dohna, chez laquelle un capitaine suisse se présentait pour réquisitionner cent bœufs, lui déclara, d’un air digne : « Monsieur, vous me ruinez, car le corps de Davoust vous a déjà précédés et j’ai livré ce que je pouvais. Toute ma fortune consiste en vaste domaines, c’est vrai ; mais que voulez-vous que j’en fasse sans bétail ? Et ce qu’il y a de plus triste, c’est que vous me ruinez inutilement. Vous entrez dans un pays sans routes et sans ressources. Vos chariots de guerre, vos troupeaux, tous vos immenses convois ne pourront pas suivre l’armée. Au bout de quinze jours de campagne, vous serez réduits à la famine. » La suite des événements confirma pleinement ces paroles.

Déjà l’on entend des plaintes. Un trompette du 3e régiment écrit de Stargard, près Dantzig, le 25 mai, que la ration journalière est d’une miche pour quatre hommes. Laissés sans foin ni paille, les chevaux broutent en liberté. Chez les paysans, la misère le dispute à la saleté. De nombreuses désertions se produisent ; et dans une lettre du 28 mai, le colonel Thomasset les attribue aux fatigues et aux privations déjà très grandes.

L’état sanitaire des troupes est dès lors mauvais, et l’effectif sous les armes diminue à vue d’œil. C’est dans ces conditions pourtant que la troupe doit faire des marches forcées, comme celle du 3e régiment, qui parcourut vingt-deux lieues en vingt-quatre heures, afin de se présenter à l’inspection du corps d’Oudinot avant l’arrivée de l’Empereur. [22 lieues = 106,214 km.]

Quand il eut ainsi rassemblé un demi-million d’hommes, cent mille chevaux, douze cents canons et des approvisionnements immenses sur la frontière russe, Napoléon déclara la guerre au tsar. Ses têtes de colonnes touchaient au Niémen, dans les environs de Kowno, tandis que d’autres corps s’en approchaient vers Grodno. Le 24 juin dès l’aube, sur trois ponts jetés pendant la nuit, les troupes commencèrent à franchir le fleuve qui, entre ces deux villes, marquait la frontière du grand-duché de Varsovie et de l’empire d’Alexandre. Le déroulement et le passage de ces deux ou trois cent mille hommes de première ligne, ardents à la victoire qu’ils croyaient sûre, et acclamant l’Empereur de hourras frénétiques, dut être un spectacle grandiose.

Sur l’autre rive, un grand silence les accueille, une immobilité solennelle et pesante. Ne sont-ils pas, à peu près tous, descendus vivants dans leur tombe ?... Pas trace d’ennemis. Les armées russes se dérobent déjà à l’étreinte redoutable de Napoléon. Comme une proie qui s’échappe, il va donc falloir les poursuivre. Leur tactique sera conforme aux circonstances : affaiblir la Grande Armée par des marches prolongées et rapides, la détacher ainsi de ses convois, faire le désert devant elle, l’éloigner le plus possible de ses bases d’opérations et, si possible, gagner l’hiver. Ce plan que les Russes ne conçurent peut-être pas d’emblée dans toute sa rigueur, mais qui s’imposa peu à peu, devait en effet réussir beaucoup mieux que de savantes combinaisons stratégiques.

Tandis que Napoléon marchait sur Wilna, à la poursuite de la principale armée russe, commandée par le général en chef Barclay de Tolly, Oudinot était détaché sur la gauche. Sa mission était, d’une part, de s’opposer au corps russe de Wittgenstein, et de maintenir, d’autre part, le contact avec le corps du maréchal Macdonald, qui commandait l’extrême gauche française, face à Riga.

Tout comme Barclay, Wittgenstein se retirait devant son adversaire. Oudinot s’efforçait de le rejoindre à travers un pays peu habité, coupé de marais impraticables et de bois. Les routes, ordinairement mauvaises, avaient été changées en fondrières à la suite d’un effrayant orage accompagné et suivi de pluies torrentielles. Il semblait que les éléments livrassent déjà bataille pour les Russes.

La mauvaise nourriture aidant, hommes et chevaux souffrirent bientôt d’une dysenterie qui causa plus de pertes qu’un grand combat. Déjà les convois restaient embourbés, et les troupes, après quelques jours de campagne seulement, supportaient – très courageusement, d’ailleurs, - de dures privations.

Après un vif combat d’arrière-garde près de Wilkomir, le corps d’armée de Wittgenstein s’était retiré jusque sur la Duna, qu’il franchit à Dvinsk. Oudinot essaya en vain d’enlever cette place de vive force ; puis il remonta la rive gauche du fleuve, toujours surveillant Wittgenstein qui longeait l’autre rive et se rapprochait ainsi de la principale armée russe.

Quelques engagements eurent lieu dans cette région. Dans l’un d’eux le 3e régiment suisse fit preuve d’un courage du meilleur augure pour la suite de la campagne.

Ce régiment avait été chargé de couvrir le convoi des équipages et le parc de réserve. Canonné jusqu’au soir à travers la Duna, il supporta très calmement ce feu. Puis, comme les ennemis ne faisaient pas mine de vouloir attaquer, le régiment se mit en devoir de rejoindre le corps d’armée, après avoir laissé une compagnie de grenadiers et une de voltigeurs pour protéger les bagages.

Les Russes s’aperçurent de ce départ. Pendant la nuit, ils passèrent le fleuve en barque avec des forces nombreuses et assaillirent vigoureusement la petite troupe. Les Suisses se défendirent par un feu efficace ; mais serrés de près, c’est par des charges à la baïonnette réitérées qu’ils finirent par se dégager et par repousser l’ennemi. On cite à ce propos la belle conduite du tambour fribourgeois Bernet, de la compagnie des grenadiers. Les Russes avaient déjà repassé la Duna, quand nos braves furent secourus.

Quelques jours plus tard, le maréchal Oudinot entrait à Polotzk où le corps de Ney avait passé peu avant. La 3e division, formée surtout des Suisses, et dont le commandement avait passé au général Merle, avait été laissée en arrière avec mission de raser le camp retranché de Drissa, que les Russes, dans leur reculade, avaient abandonné et incendié. Cette division rejoignit à Polotzk. Pendant ce temps, avec les deux autres, Oudinot allait présenter la bataille à Wittgenstein, dont la Duna ne le séparait plus. Mais le général russe, qui venait d’être considérablement renforcé, avait de plus l’avantage d’une position prise à loisir et selon son gré.

Le 30, 31 juillet et le 1er août, il y eut à Jakoubovo une bataille très vive, où Wittgenstein finit par conserver l’avantage. Les Français se replièrent sur Polotzk en bon ordre, dans le ferme espoir d’une revanche. Le maréchal Oudinot, dans son rapport à Berthier, disait avoir vu peu de champs de bataille qui offrissent l’image d’un aussi grand carnage.

Il y avait aussi dans la Grande Armée un bataillon valaisan et un bataillon neuchâtelois. Le premier appartenait au 11e d’infanterie légère, division Verdier du corps d’Oudinot ; et la manière dont il se comporta au combat de Wilkomir lui valut d’être mentionné dans le quatrième bulletin de la Grande Armée. Le second se signala à la chaude affaire d’Ostrovna, avant Witebsk, où l’arrière-garde de Barclay tenta d’arrêter Napoléon.

Ce bataillon, qui formait la garde du prince Berthier, portait l’habit jaune et de ce fait le sobriquet de « serins » ou « canaris ». En toutes circonstances, ces deux corps furent dignes de leur pays.

À suivre…

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