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1 novembre 2015 7 01 /11 /novembre /2015 17:28

En attendant le gros de son corps d’armée, le maréchal s’occupa durant la nuit de faire reconnaître les passages de la Bérésina en aval et en amont de la ville. À trois lieues en amont, entre Stoudianka et Brilli, il existait un gué bien connu dans la contrée, et utilisé deux jours auparavant par des Polonais en retraite et par la brigade de cavalerie Corbineau, qui rejoignaient, venant de l’ouest, le corps d’Oudinot.

Informé de ces circonstances, le maréchal s’empressa d’en faire part à l’Empereur, qui lui dépêcha aussitôt les généraux Eblé, Jomini et Chasseloup, avec quatre cents soldats du génie et ce qu’on possédait encore de matériel et d’outils.

Pour tromper l’ennemi et le fixer devant Borissov, une partie des pontonniers fut laissée là et fit mine d’y préparer le rétablissement du passage. D’autre part des démonstrations furent opérées en aval. Pendant ce temps le gros des pontonniers gagnait Stoudianka et s’y mettait fiévreusement au travail, en dissimulant le plus possible son activité. Avant tout, il fallait gagner du temps.

Toutes ces manœuvres réussirent. L’amiral Tchitchagov, fermement persuadé que Napoléon allait tenter le passage à Borissov ou vers Ukholoda, en aval, prit position en face, avec toutes ses forces, sauf quelques faibles détachements qui observaient la Bérésina plus au nord, vers Stakhov et Brilli, sous les ordres du général Tchaplitz.

Pendant la nuit du 25 au 26, le 2e corps et les quelques troupes qui s’y étaient jointes gagnaient à leur tour la contrée de Stoudianka-Weselovo. On marchait dans le plus grand silence. Défense de quitter le rang ou d’allumer du feu. Avant le jour, on s’arrêta sur la rive de la Bérésina, assez élevée en ce lieu. L’artillerie y fut mise en position pour protéger le travail.

Un escadron de cavalerie traversa la rivière à gué, chaque homme ayant un voltigeur en croupe. Puis le 11e d’infanterie passa en radeau. Il n’en fallut pas plus, avec quelques coups de canon, pour faire disparaître les Cosaques restés encore en vedette sur la rive droite.

À sept heures du matin, l’Empereur était sur place. Et saluant Oudinot : « Eh bien ! C’est vous qui serez mon serrurier pour m’ouvrir ce passage ! », Ajouta-t-il en plaisantant. Un silence profond l’accueillit dans la troupe. Il parut impatienté à la longue du retard survenu dans la construction des ponts, qu’il s’imaginait devoir aller plus vite. Une maison voisine, comme d’autres à demi démolie par les pontonniers qui en utilisaient les matériaux, fut incendiée et Napoléon se chauffa avec sa suite à ce foyer improvisé.

La Bérésina, profonde en cet endroit d’un à deux mètres, n’est pas très large. Mais les abords immédiats en sont bas, noyés, presque impraticables. La longueur des ponts en dut être augmentée d’autant. Dans l’eau qui charriait de grands glaçons, les pontonniers, admirables d’endurance et de dévouement, travaillaient sans répit. Beaucoup plongeaient jusqu’aux épaules ; et si l’un d’eux tombait d’épuisement, il s’abandonnait stoïquement à la mort.

Napoléon, silencieux, assista toute la matinée à ce travail. Le pont supérieur fut prêt vers une heure, et aussitôt le 2e corps reçut l’ordre de passer. À la tête du pont, l’Empereur inspecta le défilé des soldats, les encourageant parfois d’un mot. Ils l’acclamaient de retentissants vivats. Quand ce fut le tour de la division Merle, Napoléon demanda au général.

- Êtes-vous content des Suisses ?

- Oui, Sire ; et s’ils attaquent avec autant de bravoure qu’ils savent offrir de résistance à l’ennemi, Votre Majesté en sera satisfaite.

- Je le sais, répondit Napoléon, ce sont de braves soldats.

Les quatre régiments étaient alors réduits à autant de petits bataillons inégaux, d’un effectif total de douze cents hommes environ. Le vieux colonel Raguettly était si faible, qu’il dut rester en arrière à Borissov. Plusieurs de ses officiers lui offrant de s’occuper de lui, afin qu’il pût continuer sa route, en eurent cette belle réponse : « Messieurs, d’autres devoirs plus impérieux vous attendent, et si le passage réussit, comme je l’espère, nous nous reverrons bientôt. » Les colonels de Castella, de Graffenried et d’Afry, blessés ou malades, étaient en congé. À leur place commandaient les chefs de bataillon Blattmann (Zoug), Vonderweid (Fribourg), Weltner (Soleure) et Imthurn (Schaffhouse).

La rive où débouchaient les troupes d’Oudinot formait une plaine unie et très marécageuse à droite. À gauche, elle était recouverte d’une forêt étendue, coupée de clairières et de quelques marais. Deux routes se joignaient là : celle de Weselovo à Zembin-Kamen-Wilna, qui traversait les marécages, et celle de Borissov à Zembin, par Stakhov, qui courait parallèlement à la Bérésina à travers la forêt.

C’est par cette dernière route que Tchitchagov avait, le matin, retiré ses avant-postes. L’après-midi, lorsque le passage des Français eut commencé, les Russes reparurent à la lisière de la forêt de Stakhov, devant Brilli. Ils n’étaient pas en forces et reculèrent devant les soldats d’Oudinot. La forêt fut occupée presque sans combat. Les Français s’avancèrent ainsi jusqu’à peu de distance de Stakhov, et mirent des canons en batterie, d’autre position favorable.

Sur les ponts mêmes, le défilé continuait lentement. Outre l’inévitable encombrement des abords immédiats, il survint des accidents qui nécessitèrent des réparations assez longues, en particulier dans la nuit du 26. Dans la soirée, deux cent cinquante canons avaient passé, suivis du résidu de quelques corps.

La jeune garde passa le lendemain, puis l’Empereur et la vieille garde. Ces troupes occupèrent une position de réserve non loin du débouché des ponts, près de Brilli, de manière à pouvoir soutenir soit Oudinot contre l’amiral, soit Victor contre Wittgenstein sur la rive gauche, en arrière de Stoudianka.

La journée du 27 s’écoula dans une tragique attente. Les Russes, sur la rive droite, ne bougeaient pas, échangeant à peine quelques coups de feu aux avant-postes. Ils attendaient Koutouzoff, qui allait enfin les rejoindre par Borissov et poussait des renforts devant lui.

Du côté français, les soldats souffraient le martyre de la faim. Le train des équipages était resté tout entier sur la rive gauche et les distributions ne pouvaient avoir lieu. Le capitaine de Schaller raconte à ce propos comment il fit une soupe de neige fondue et d’un morceau de chandelle, et la partagea avec son frère cadet, qui disparut dans la mêlée du lendemain.

La température redevint glaciale, bien qu’il neigeât abondamment. Les mains des hommes se prenaient aux canons des fusils. On frissonnait devant les feux de bivouac. L’Empereur, qui inspectait la ligne, s’arrêta auprès d’un de ces feux et s’entretint avec les officiers suisses. Il parut sombre et absorbé. Le roi Murat, qui l’accompagnait, causait avec enjouement.

Aux avant-postes, à cinquante pas des Russes, les officiers veillaient debout, appuyés aux troncs des sapins. Les hommes dormaient sur la neige, la tête sur le sac, la main sur le fusil, serrés les uns aux autres pour ne pas mourir de froid. Une attaque des Russes pouvait se produire à tout instant. Et que réservait le lendemain, dans une situation si pleine de dangers immenses ?

Le grondement du canon commença, le 28 au matin, à distance. Les Russes avançaient avec vigueur, des deux côtés de la rivière. Les Suisses se trouvaient en ligne avancée et occupaient un léger renflement de terrain, à cheval sur la route de Stakhov. C’était la clef de la position, puisque la Bérénisa à gauche et des marais à droite rendaient presque impossible l’attaque sur les flancs. Nos anciens comprirent donc qu’ils occupaient là un poste d’honneur. Ils se promirent de justifier la confiance mise en eux. Se donnant mutuellement la main, ils jurèrent de se battre comme les vieux Suisses. Ils convinrent aussi que personne, sinon les blessés, ne quitterait les rangs, et que ceux qui seraient atteints légèrement prendraient soin d’accompagner à l’ambulance leurs camarades grièvement blessés. Sauf cela, on ne s’en occuperait point.

Soudain un chant populaire religieux vole de bouche en bouche, s’élève en ondes graves et plane sur la ligne. En cette minute émouvante où tous ces braves regardaient la mort en face, ce fut un sursum corda ! [Haut les cœurs !], semblable à la prière de combat des vieux Confédérés. Sur la demande du commandant Blattmann, le lieutenant Legler avait entonné son chant favori :

« Unser Leben gleicht der Reise

Eines Pligers in der Nacht… »

[Ce chant, dont la valeur poétique n’est pas grande, compte plusieurs strophes. Le Dr Maag, Schicksale der Schweizer-regimenter, en donne quatre seulement, dont voici une traduction presque littérale.](Je ne connais pas la mélodie, peut-être est-elle un peu comme le ranz des vaches pour les Alémaniques ?)

Notre vie est le voyage – d’un pèlerin dans la nuit.

Chacun porte dans sa voie – quelque tourment avec lui.

Mais soudain la nuit s’éclaire – l’ombre épaisse disparaît,

Et l’homme accablé d’un faix – trouve moindre sa misère.

Poursuivons donc notre route – d’un cœur jamais abattu,

Car en des hauteurs sereines – il est pour nous un bonheur.

Courage, en avant ! chers frères, - quittez, tous le noir souci !

Demain encore sur la terre – le soleil gaîment luira.

Un brin de petites histoires dans la grande Histoire. [9]

L’Empereur, en reconnaissance, passa non loin un moment plus tard. Avait-il entendu peut-être ce chant du cygne de tant de braves ? Arrivé aux avant-postes du 4e régiment, il tourna bride « assez rapidement. » l’instant d’après un boulet russe passait, presque à ras des têtes, au-dessus d’un groupe d’officiers suisses. La bataille s’engageait.

.

A suivre...

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