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7 décembre 2016 3 07 /12 /décembre /2016 18:04

La fête d’Unspunnen

[Cet été (2016), au mois d’août, à Estavayer c’est tenu la Fête fédérale de lutte et jeux alpestres. Sport national, la lutte tient le haut du spectacle et aussi le lancer de la pierre d’Unspunnen. Aujourd’hui ces jeux sont codifiés, encadrés, cela avec une certaines grandiloquence, les officiels, les gens en costumes « historiques », avec un fond de musique folklorique craché par les haut-parleurs. Mais avant cette organisation très bien huilée, la Fête des jeux alpestres avait commencé plus simplement et probablement avec plus d’humilité dans l’esprit de tous. Mais quand même, le patriotisme était « obligatoire », la première fête a eu lieu en 1805, puis la deuxième en 1808. Le texte ci-dessous est tiré d’une brochure éditée par la Fédération nationale des Costumes suisses pour célébrer leurs 20 ans d’existence.]

La fête d’Unspunnen

(1946) Les vingt ans de la Fédération nationale des Costumes suisses méritent d’être célébrés d’une manière mémorable. À la cérémonie, sans réserve ni exception, tous les fédérés sont conviés. Ce n’est pas au hasard qu’Unspunnen leur est assigné pour rendez-vous. Le lieu a été consacré par l’histoire ; on s’y réunissait jadis, tant la prairie se prêtait aux assises populaires. Toutefois celles qu’on y tint en 1805 et 1808 avaient une signification nouvelle. Quelques années auparavant, la Confédération avait sombré dans le désarroi ; l’invasion française était venue dicter des lois à ceux qui n’en avaient jamais reçu d’autrui. En dépit d’un héroïsme farouche, les cantons avaient subi le joug, après de sanglantes batailles. Certes, des fautes nombreuses s’étaient commises ; les Suisses, divisés de maintes manières, avaient perdu l’homogénéité d’antan. Mais la patrie souffrait. Quand la paix lui fut rendue, des gens de cœur lui apportèrent leurs forces morales en offrande, comme ils lui avaient voué naguère leur courage. Un patricien bernois qui avait lui-même combattu à Neuenegg en 1798 et devait devenir le premier président de la Société suisse d’histoire, l’avoyer Frédéric de Mulinen, réalisa l’idée généreuse d’une fête alpestre où le peuple des montagnes, des campagnes et de la ville communieraient dans le même amour du pays. Ainsi naquit la Fête des bergers d’Unspunnen.

Le 17 août 1805, accouraient les montagnards et les armaillis de l’Oberland, des Waldstätten et même d’Appenzell. Les sénateurs de Berne et de bien d’autres villes, accompagnés de la plus élégante société, arrivèrent en équipage ou en bateau à Interlaken, simple petit village, enfoui sous des noyers centenaires. À 7 heures ½ du matin, un cortège coloré partit du château pour monter à la prairie d’Unspunnen, au pied d’une tour en ruine. D’abord marchaient les tireurs, puis les joueurs de cor, les lutteurs, les chanteurs et chanteuses, les arbitres et les magistrats, enfin les organisateurs et les citadins en visite. Dans un amphithéâtre de verdure – et que nous devrons délaisser parce que les installations électriques l’ont défiguré -, la fête se déroula, ouverte au son des fanfares. Le jet du boulet n’était rien, il ne pesait que 36 livres ! [16,33 kg] La pierre que les bergers balançaient sur l’épaule et qu’ils lançaient à dix pas pesait 184 livres [83,46 kg]; c’était une autre affaire. Dans la lutte, un Oberlandais fit des prodiges ; il brandit son adversaire comme une plume et le soûla de pirouettes avant de le précipiter au sol. Après le pique-nique (des tentes avaient été dressées pour les hôtes de marque), les danses commencèrent ; un homme de l’Emmenthal se fit admirer pour son adresse extraordinaire : une bouteille de vin sur la tête, il dansa « l’Allemande » sans verser une goutte du flacon ! La distribution des prix fut confiée à la landammann de Watteville, secondée par Mesdames de Freudenreich et de Graffenried, tandis que l’avoyer en charge de Mulinen, l’ancien landammann de Watteville et le bailli Thormann, procédaient à la proclamation des lauréats, appelés à la tribune par deux hérauts d’armes.

L’enthousiasme avait été grand, la réussite complète. L’avoyer avait trouvé l’appui de ses pairs et la collaboration dévouée des peintres Wagner, ordonnateur de la fête, et König, qui en fut le quartier-maître. Une souscription avait permis de faire dignement les choses. Et l’on entendait ériger la fête en institution permanente. De sorte que l’an 1808, et à la même date (le « jour de Berthold », c’est-à-dire l’anniversaire de Berthold V, duc de Zaechringen, qui avait fondé Berne et qui passait à tort pour avoir bâti le château d’Unspunnen), vit affluer une foule plus nombreuse encore. Afin de dégager nettement les principes de ces Olympiques alpestres, le programme proclamait que le but était de « rapprocher entre elles les diverses classes sociales de tous les cantons, de stimuler l’entente entre les Suisses, de rétablir les jeux, us et coutumes nationaux, de remettre en honneur le chant populaire ». C’était afficher ce que le « Peuple des costumes » réalise aujourd’hui. L’avoyer de Mulinen et tous ses amis méritent de prendre rang parmi les ancêtres spirituels de la Fédération qui atteint ses vingt ans. Le bailli Thormann, l’ordonnateur Wagner, le quartier-maître König furent à la peine, mais ne le regrettèrent pas.

Son Altesse royale le prince héritier de Bavière arriva incognito, le duc de Montmorency, le comte de Grammont* accompagnaient Mmes de Staël et Vigée-Le Brun.

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[*Sans le prénom il est difficile de dire qui est ce comte !]

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Dans des pages célèbres, la baronne a relevé le souvenir de la journée :

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« On a beaucoup parlé d’un air joué par le cor des Alpes, et dont les Suisses recevaient une impression si vive qu’ils quittaient leurs régiments, quand ils l’entendaient, pour retourner dans leur patrie. On conçoit l’effet que peut produire cet air quand l’écho des montagnes le répète. Le soir qui précéda la fête, on alluma des feux sur les montagnes ; c’est ainsi que jadis les libérateurs de la Suisse se donnèrent le signal de leur sainte conspiration. Et les montagnes qui, pendant la nuit, ressemblent à de grands fantômes, apparaissaient comme l’ombre gigantesque des morts qu’on voulait célébrer. »

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« Lorsque la foule des spectateurs fut réunie », et que Madame Vigée-Le Brun, qui était peintre, comparaît à un champ de marguerites, « on entendit venir de loin la procession de la fête, procession solennelle en effet, puisqu’elle était consacrée au culte du passé. Les magistrats paraissaient à la tête des paysans ; les hallebardes et les bannières de chaque vallée étaient portées par des hommes à cheveux blancs. »

Quand ils parurent, les deux illustres amies étaient si émues qu’elles se serrèrent la main « sans pouvoir dire un seul mot ». Les jeux commencèrent, les récompenses suivirent, les hymnes s’élevèrent, le ranz des vaches se fit entendre. Puis la joie se répandit de groupe en groupe et l’on dansa. « Cette fête m’a donné l’idée de la vie », conclut Mme Vigée-Le Brun qui pendant que Mme de Staël se promenait avec le duc de Montmorency, se mit à faire des esquisses, tandis que M. de Grammont tenait sa boîte au pastel.*

 

[* On sait que de ces esquisses a surgi un tableau que le prince de Talleyrand se fit un plaisir d’acquérir et qui est aujourd’hui parmi les collections du Louvre.]

En dépit des intentions premières, cette apothéose patriotique n’eut pas de lendemain. En 1895 et en 1905 cependant, la tradition fut reprise. Mais l’esprit avait changé, l’on pensait davantage à distraire les villégiateurs d’Interlaken, devenu station d’étrangers, qu’à cultiver les principes de l’avoyer d’autrefois. Le cortège montrait des déesses et des elfes, des papillons et des lacustres, des druides,… des vélos et des automobiles ! Epoque bizarre dont nous sommes plus loin que de 1805.

C’est à l’inspiration première que nous voulons revenir. Elle était belle, elle était bonne. Elle est actuelle. Certes, nous aurons moins d’altesses et d’excellences, ou du moins elles seront avec nous, dans nos rangs, non point séparées du peuple, mais unies à lui, en sorte que l’idée des premiers inspirateurs vivra comme ils eussent désiré qu’elle grandît. Nous aurons nos lutteurs, nos joueurs de cor, nos arbalétriers, nos bannerets. Sur la même prairie, la race des bergers déploiera ses traditions autochtones, ses chants et ses danses. Et les plus hauts magistrats, ceux que nous nous sommes donnés librement, par notre constitution démocratique, seront au milieu de nous.

Car nous allons ensemble la main dans la main. L’union que nous avons retrouvée nous ne la laisserons pas dissoudre. Petit peuple d’un petit pays, nous avons aussi une civilisation nouvelle, notre siècle verra le printemps succéder à l’hiver. Le vieux tronc n’est pas mort ; les branches pourries s’émondent et les jeunes pousses reverdissent. Il faut respecter les racines. On ne doit pas dire que l’âge d’or ne reviendra plus. Il nous appartient, il est devant nous. À nous de le saisir ! Nous irons à Unspunnen.

 

Le Comité central.

La Fédération nationale des costumes suisses 1926-1946

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