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7 avril 2008 1 07 /04 /avril /2008 11:24

Des amis qui revenaient de Berne nous racontèrent ce qui s’y était passé lorsque y arriva la nouvelle de la rébellion de Davel. La première émotion avait été terrible, bien que M. de Sévery eût affirmé que le Conseil de Lausanne se faisait fort d’étouffer l’affaire. Ces Messieurs de Berne croyaient déjà perdu pour eux ce beau pays de Vaud où tant de baillis étaient venus s’engraisser à nos dépens et d’où l’on tirait de si bons vins et tant de blé. Aussi la joie fut-elle grande lorsqu’arrivèrent les lettres dans lesquelles le major de Crousaz racontait comment il avait réussi à conjurer l’orage par des mesures aussi prudentes que rapides. C’est alors que les Conseils de Berne avaient envoyé M. de Wattenwyl à Lausanne avec leurs pleins pouvoirs. Beaucoup de nobles Bernois voyant qu’il n’y avait plus aucun danger, demandèrent à l’accompagner. C’était une trop belle occasion d’aller bombance aux frais de ces bons Vaudois. Et ils ne furent point déçus.

Lorsque l’instruction fut terminée, les bourgeois de la rue de Bourg réclamèrent leur privilège de juger le coupable. Les Bernois accueillirent cette demande d’autant plus volontiers qu’ils étaient sûrs que, par crainte et servilité, des juges vaudois condamneraient avec sévérité. Ils étaient soulagés aussi de pouvoir se décharger de cette vilaine besogne car une condamnation prononcée par des juges bernois risquait de donner à Davel une apparence de martyr.

 

Jugement et exécution de Davel.

 

Le jugement eut lieu dans la cour du château. Davel fut amené devant ses juges, au nombre de trente, tous bourgeois de la rue de Bourg. Il les salua courtoisement et plein de dignité et de sang-froid, alla s’asseoir sur la sellette. Le réquisitoire fut prononcé par le lieutenant baillival de Loys, un Vaudois. Pour faire sa cour au gouvernement, il se plus à flétrir la conduite de Davel. Il le montra tombé dans le noir péché d’ingratitude envers des bienfaiteurs qui l’avaient comblé de leurs grâces et honoré de leur confiance. Cet attentat, véritable crime de lèse-majesté, était digne d’un châtiment exemplaire, aussi demandait-il que le coupable fût pendu et étranglé, que son corps fût mis en quatre morceaux qui seraient exposés dans les lieux que leurs Excellences trouveraient à propos, et enfin, que ses biens seraient confisqués.

Aucun avocat ne prit la défense de l’accusé. Lui-même, après avoir écouté attentivement ce réquisitoire, qui le flétrissait, ne demanda pas non plus la parole pour expliquer sa conduite ou pour solliciter l’indulgence du tribunal. Il se leva, salua de nouveau ses juges et rentra dans sa prison, pendant que la cour délibérait.

Comme il fallait s’y attendre, la condamnation à mort fut prononcée. La sentence fut pourtant moins cruelle que celle que réclamait le réquisitoire de Loys. Le tribunal refusa de faire étrangler et écarteler le coupable et demanda qu’il fût décapité et qu’il eut le poing coupé. Je sus plus tard que le jugement avait été prononcé à l’unanimité moins une voix. On n’a jamais connu le nom du juge qui avait osé montrer une telle indépendance.

Sitôt la condamnation prononcée, on se relâcha de la sévérité que l’on avait montrée jusqu’alors. Le secret fut levé et Davel put recevoir des visites. Je fus un des premiers à solliciter l’autorisation de le voir. Cela me fut accordé sans difficulté. Une émotion indicible s’empara de moi lorsque je pénétrai dans le cachot de Davel. J’avais les yeux si brouillés de larmes et mes jambes tremblaient tellement que j’avais peine à me diriger. Quel fut mon ébahissement en entendant la voix de mon ami, aussi ferme et sonore que d’habitude, m’accueillir comme si je l’avais quitté la veille et qu’il ne se fût rien passé depuis. Jamais on ne se serait douté que cet homme venait de passer des semaines en prison, qu’il avait été cruellement tourmenté, que par trois fois il avait été mis à la torture et qu’il était sous le coup d’une condamnation à mort. On lui avait ôté ses fers, et vraiment il me reçut comme s’il avait été dans sa chambre de Cully. Il me demanda des nouvelles des gens de sa connaissance, il s’informa de l’état des vignes, si la gelé n’avait pas fait de dégâts. Et comme, timidement, je lui demandais comment il avait pu, lui toujours si loyal, trahir la confiance que les Bernois avaient mise en lui, il me répondit que ceux qu’Il a choisis, Dieu peut les affranchir des règles ordinaires qui régissent les hommes. Puis il ajouta : « J’ai obéi à l’ordre de Dieu, j’ai suivi le plan qu’Il m’avait inspiré. Si je me suis trompé, ce que je ne crois pas, Dieu qui connaît la droiture de mon cœur, ne m’imputera pas à crime ce que j’ai fait pour le glorifier et pour procurer de grands avantages à ma patrie. » Voyant combien j’étais ému et affligé, il entreprit de me consoler et de m’encourager, me disant que son sort était digne d’envie, que bien qu’il fût regardé comme un criminel d’Etat, on avait pour lui toutes sortes d’égards. En riant il ajouta : « On me fait faire trop bonne chère ». Puis il me parla de sa mort prochaine avec la plus grande sérénité, sans paraître éprouver la moindre angoisse. « Quand on me verra demeurer ferme dans ce moment où le monde entier s’écartera de moi et où Dieu lui-même sera prêt à me juger, on reconnaîtra qu’il n’y avait en moi ni fraude ni hypocrisie. »

A ce moment arrivèrent d’autres visiteurs. Je dus prendre congé. J’embrassai mon ami. J’étais mille fois plus troublé que lui, toujours calme et serein et je m’en allai rempli d’admiration pour son courage, mais le cœur brisé à la pensée que je ne le reverrais plus. Tous ceux qui le visitèrent dans sa prison, et ils furent nombreux, en ressortirent émerveillés, émus et même édifiés par cette piété si ferme, si convaincue. Le ministre Crinsoz, qui vit souvent Davel, ne put s’empêcher de lui dire un jour : « Vous êtes un héros ! » - Moi, un héros ? répondit Davel avec une extrême vivacité, mais je ne suis pas un païen, pour qu’on me parle d’héroïsme. » Donnant à entendre que le vrai chrétien qui se confie en Dieu doit envisager la mort avec sérénité et qu’il a nul héroïsme dans cette attitude.
A suivre...

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