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6 octobre 2017 5 06 /10 /octobre /2017 16:54

Paris, mai 1811

Parce qu’il voudrait présenter une supplique à l’Empereur, M. de Trouville veut m’inviter à dîner. Il m’a fait choisir : le restaurant Grosse-Tête de la Place Gaillon est, dit-il, la seule table de Paris qui serve encore des saupiquets et des pigeons à la crapaudine. Il y aurait aussi, sur le boulevard, le Café Procope, mais il croit que je m’y sentirais mal à l’aise : fondé par l’Italien Procopi, l’inventeur de la limonade (sic), Procope fut au siècle dernier, le rendez-vous des célébrités : Jean-Jacques y méditait, Voltaire raillait, Diderot y déclamait, Saint-Foix y cherchait des querelles, m’a dit M. de Trouville. Au Palais Royal, le patron reçoit, l’épée au côté et serviette sous le bras. C’est un gentilhomme qui, profitant de la grâce consulaire, est revenu de Londres. Là aussi, je me sentirais déplacé, de même qu’au Café Lamblin.

Finalement, M. de Trouville a choisi de m’emmener au restaurant des Frères Provençaux (suivez le lien, vous y verrez la carte, l’une des première et l’histoire des Restaurants.) où il m’a régalé de bouillabaisse, une sorte de soupe aux poissons de mer, d’aïoli et de vin de Cassis. « J’avais jamais plus faim… tant c’était rude bon ! »

Palais Royal, ici entrée du Conseil d'Etat, où tous les restaurants cité sont dans cette enceinte.

Palais Royal, ici entrée du Conseil d'Etat, où tous les restaurants cité sont dans cette enceinte.

Je ne me fais pas d’illusions : ce n’est pas pour le plaisir de ma conversation que l’on m’invite. Au reste, mon hôte ne s’est jamais permis craques ou railleries que je n’aurais pas tolérées ; il m’a parlé de Londres et de la façon dont les proscrits y vivaient, et m’a demandé de décrire ce qu’était mon service. Je l’ai fait de la manière la plus discrète. M. de Trouville m’a demandé des recettes vaudoises. Il veut connaître le papet vaudois et la fondue dont je lui ai donné les recettes ; quant à lui, il parle de m’inviter encore au Café de Mulhouse, avec ses choucroutes, chez Frontin et au Grand Balcon, célèbre pour ses bécasses flambées.

D’autres messieurs se joignent parfois à nous, ils n’ont pas la discrétion de M. de Trouville et parlent de l’Empereur avec une liberté qui m’offusque :

« Depuis qu’il est père, Napoléon n’est plus le même : lui, fils de la Révolution, incarnait la force populaire et antidynastique face à l’Europe monarchique. Après la naissance de son fils, Napoléon, maintenant, aspire à devenir un souverain légitime qui, non par ses ascendants, mais par sa descendance, fait son entrée dans les dynasties. »

Puis le vicomte Philippe s’est montré persifleur : « L’a-t-il aimée sa Joséphine ! L’a-t-il assez gâtée ! Ses billets doux étaient navrants et puérils ; en la répudiant, il reniait son passé, et il a froissé l’instinct populaire. Pour avoir ce fils légitime et tant désiré, qui a-t-il choisi ?...

Une Autrichienne ! Dans la mémoire des Français, la première était encore trop proche, et s’y mêlaient le remords et le souvenir coupable des régicides. Et puis, à la naissance de Napoléon II, Napoléon Premier commet la grande faute : il veut reconstituer en empire d’Occident dans lequel la France n’est que diluée et ce, pour bâtir à son prince impérial, un domaine héréditaire ! Nous aurions compris que notre France s’entoure de royaumes ou de duchés vassaux, mais demain, vous verrez, la capitale de l’empire ne sera plus Paris, mais Vienne ou Rome… »

Cet exposé politique me dépassait, mais à moi, Vaudois, il ouvrait des horizons nouveaux, et, comme le vicomte Philippe ne se permettait aucun écart de langage, j’écoutais…

« Votre empereur, Monsieur, revient peu à peu à son origine italienne : il rêvait d’être un Louis XIV, il se plaît maintenant en César. Selon lui, un empereur même mineur régnera comme un monarque constitutionnel. A partir d’aujourd’hui, ce n’est plus Napoléon 1er, mais l’influence de Napoléon II qui règne sur l’empire. »

  • Pourtant, disje au vicomte, avant 1800 il a libéré mon pays de Vaud et il a permis le retour des émigrés, vous devriez lui en être reconnaissant… !
  • Nous le sommes, oui, nous le sommes ! C’est grâce à lui que nous sommes rentrés en France, c’est grâce à lui que le culte et le clergé ont été rétablis. Oui, nous tenons votre Napoléon pour un homme de génie, mais nous le croyons maintenant plus italien que français.
  • Mais, j’ai protesté, c’est à des Français, à ses frères, qu’il a donné des royaumes et pas à des princes étrangers !
  • Votre Napoléon est avant tout un conquérant, sa volonté de puissance l’installe sur des lambeaux d’empire. Il a renié la Révolution !

À suivre

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