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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 16:40

Pour les 250 ans du journal 24 heures, un livre retrace des épisodes de la vie des Vaudois, c’est au hasard de certains articles qui m’ont intéressés que je recopie ceux-ci pour en partager avec vous l’extraordinaire, la surprenante ou amusante information du passé.

Tissot néglige Bonaparte

 

A 17 ans, le futur maître de l’Europe adresse une lettre touchante au médecin

Par Julien Magnollay

Source : Essai sur la vie de Tissot, Charles Eynard, Ed. Dugloud, 1839.

Samuel-Auguste Tissot

Samuel-Auguste Tissot

La lettre est écrite dans un français incertain, sur un ton révérencieux. « Vous avez passé vos jours à instruire l’humanité et votre réputation a percé jusque dans les montagnes de Corse où l’on se sert peu de médecin. (…) Sans avoir l’honneur d’être connu de vous, n’ayant d’autres titres que l’estime que j’ai conçue pour vos ouvrages, j’ose vous importuner et demander vos conseils, pour un oncle qui a la goutte. »

La missive, datée du 1er avril 1787, est signée « Buonaparte, officier d’artillerie au régiment de la Fère ». Le cachet arbore les armes de la famille du futur Napoléon, surmontées d’une couronne de comte.  Agé alors de 17 ans, Bonaparte est encore un inconnu. Officier en formation, il profite d’un semestre de repos dans l’île de Beauté pour s’occuper de sa famille.

Bonaparte à l'école militaire

Bonaparte à l'école militaire

Médecin des rois

 

En 1787, Samuel-Auguste Tissot vient d’être nommé vice-président du collège de médecine de Lausanne et dirige les affaires médicales du Pays de Vaud. Le médecin, né à Grancy en 1728, a surtout déjà largement conquis l’Europe, dont il soigne les têtes couronnées depuis plus d’un quart de siècle. Cet apôtre de l’inoculation – l’ancêtre de la vaccination – s’occupe de Voltaire, entretient une correspondance médico-littéraire touffue avec Rousseau. Sa maison, dans la campagne de Montriond, est un véritable salon mondain, où se pressent les esprits éclairés du XVIIIe siècle. Marié à Charlotte Dapples, le médecin a eu un enfant, mort en bas âge.

Le roi de Pologne, l’impératrice Marie-Thérèse ou encore le roi de Hanovre lui ont offert d’être le premier médecin de leur cour. Sans succès. Tissot voyage, mais reste attaché à Lausanne. Voilà ce qu’il dit de Paris à l’une de ses amies, en 1780 : « Il y a sans doute sur huit cent mille âmes plus d’êtres intéressants que sur huit mille, mais je n’ai pu trouver ici mieux que quelques personnes que j’ai laissées à Lausanne. » Seule entorse à sa fidélité, un séjour de deux ans à Pavie, où il accepte une chaire de médecin entre 1781 et 1783. Un poste qui lui est offert grâce à l’empereur Joseph II, que Tissot avait soigné à Lausanne en 1777.

Tissot n’est pas que médecin des célébrités. Grand, mince et élégant, il s’occupe aussi des petites gens, et son dévouement lors d’une épidémie de variole lui vaut d’être nommé médecin des pauvres de Lausanne en 1752. Son livre L’avis au peuple sur sa santé (1762) est considéré comme l’un des premiers ouvrages de vulgarisation médicale. Un véritable best-seller, réédité près de cinquante fois et traduit en quinze langues. Tissot y pourfend les charlatans qui sévissent dans les campagnes, parle d’hygiène, de premiers secours. Ce succès foudroyant accompagne celui de son Onanisme (1760). Un ouvrage resté célèbre jusqu’à aujourd’hui – la masturbation rend sourd, c’est lui – et qui connaîtra soixante-sept rééditions jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Mais revenons au jeune Bonaparte. L’adolescent demande de l’aide pour son grand-oncle Lucien, archidiacre septuagénaire de la ville d’Ajaccio. Souffrant de goutte dès l’âge de 32 ans, il est depuis plusieurs mois cloué au lit par des « douleurs cruelles » dans les genoux et dans les pieds.

Le futur maître de l’Europe termine sa requête en exprimant « la parfaite estime » que lui ont inspiré les lectures des ouvrages de Samuel-Auguste Tissot. Il faut dire que le médecin a, à cette époque, tout pour plaire à Bonaparte. Dans son ouvrage De la santé des gens de lettres (1768), il place Pascal Paoli, figure indépendantiste corse, au-dessus de César, de Mahomet ou encore de Cromwell.

La fougue et l’audace du jeune Bonaparte ne suffiront pas. Samuel-Auguste Tissot ne donne pas suite à la demande du Corse. Sur la missive, il écrit à la main : « Lettre non répondue, pas intéressante. » Le vieil archidiacre mourra trois ans plus tard. Tissot décède en 1797 de la tuberculose, dans une maison à la place de la Palud. Deux ans plus tard, Bonaparte devient le maître de la France, avant d’envahir l’Europe.

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