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27 décembre 2015 7 27 /12 /décembre /2015 16:43

Les passages clandestins organisés depuis La Hille (1942-1944) : Rösli Näf, Renée Farny, Anne-Marie Piguet, Gret Tobler, Sebastian Steiger

Château de La Hille

Château de La Hille

Au plus tard dès l’arrivée de la gendarmerie française le 26 août 1942, les pensionnaires de La Hille surent que la colonie n’offrait pas de sécurité malgré l’emblème de la Croix-Rouge suisse. L’occupation allemande de la zone sud accentua encore le sentiment d’insécurité. Seules l’Espagne toute proche et la Suisse, où la plupart des pensionnaires avaient des parrains, pouvaient procurer un abri sûr. Dans les deux cas, le Franchissement de la frontière ne pouvait se faire que clandestinement.

La directrice Rösli Näf choisit l’illégalité sans en informer quiconque, pas même son supérieur Maurice Dubois. Elle organisa la fuite en Suisse des plus de 16 ans, les plus immédiatement menacés. Peu avant Noël, elle fit partir un premier groupe de dix en leur remettant de l’argent. Trois prirent la direction de l’Espagne, trois celle de Lyon pour se mettre en contact avec des passeurs, alors que les quatre autres rejoignaient les Feux-Follets à Saint-Cergues-les-Voirons. Cette colonie de la CRS, SE était située près de la frontière. Renée Farny, adjointe de la directrice, la Française Germaine Hommel, et un jeune passeur, Léon Balland, emmenèrent Jacques Roth et ses amis en « promenade ».

Jacques Roth et ses amis passent la frontière

« On nous dit que nous partions pour une promenade au cours de laquelle nous étions censés cueillir du gui pour la décoration de Noël de la maison. Comme de bien entendu, les arbres se trouvaient justement en bordure des champs où passaient les barbelés de la frontière avec la Suisse. Léon me dit que le sentier qui bordait les champs était régulièrement patrouillé par la Feldgendarmerie et qu’à l’approche d’une patrouille, étant visiblement le plus âgé de nous quatre et nettement plus que les autres enfants, je devais grimper à un arbre pour ne pas attirer l’attention des soldats qui étaient habitués à voir les enfants s’y promener régulièrement. Ce que je fis, et la patrouille passa sans poser de questions. Après que les Feldgendarmes eurent disparu, Léon nous conduisit, au pas de course, à travers le champ jusqu’aux barbelés qu’il nous aida à traverser. »

Alors que deux des trois adolescents qui avaient voulu franchir les Pyrénées durent revenir à La Hille, la voie suisse semblait plus prometteuse. Rösli Näf décida d’y envoyer le reste des « grands » par groupes, à un ou deux jours d’intervalle. Or l’un des groupes ne trouva pas de passeurs à Lyon et Rösli Näf dut le rejoindre d’urgence. C’est là qu’elle apprit que cinq de ses protégés, à qui Renée Farny avait voulu faire franchir la frontière dans la nuit du 1er au 2 janvier 1943, s’étaient fait arrêter. Une d’eux, Inge Joseph, réussit à s’échapper ; Maurice Dubois, alerté, parvint à obtenir la libération d’un autre jeune, Walter Strauss. Mais les trois autres ne purent échapper à la déportation. Quant à Rösli Näf, elle rentra précipitamment à La Hille pour stopper toute l’opération.

La direction de la CRS, SE fut rapidement informée. Le colonel Hugo Remund, médecin-chef de la Croix-Rouge suisse, décida non seulement de blâmer les collaboratrices, mais de les démettre de leurs fonctions. Il poussa le zèle jusqu’à les dénoncer à la Croix-Rouge allemande, qui n’en demandait pas tant. La Glaronnaise Rösli Näf éprouva un tel écœurement face au comportement de ses supérieurs censés représenter la Suisse qu’elle choisit de s’établir au Danemark après la guerre. Par modestie, elle refusa d’abord de recevoir la médaille des Justes que Vad Vashem voulait lui décerner en 1989. Toutefois, alors qu’elle participait à la cérémonie de remise des médailles organisée trois ans plus tard aux Feux-Follets, elle accepta enfin de recevoir cette distinction.

La nouvelle directrice de La Hille, Emmi Ott, l’ancienne adjointe d’Elsbeth Kasser à Gurs, reçut des consignes très strictes. De toute évidence, elle ne pouvait entreprendre ou cautionner aucun sauvetage, sans risquer de compromettre définitivement, face à la direction de la CRS, SE, la petite colonie de l’Ariège. Ce furent toutefois deux nouvelles collaboratrices, arrivées à La Hille en 1943, qui reprirent les activités clandestines : la Vaudoise Anne-Marie Piguet et la zurichoise Gret Tobler. Pour augmenter les chances de succès, elles accompagnèrent elles-mêmes leurs protégés jusqu’à la frontière. Un troisième collaborateur, le Bâlois Sebastian Steiger, remit sa pièce d’identité, après en avoir changé la photo, au jeune Walter Kamlet qui franchit la frontière avec Anne-Marie Piguet et les sœurs Cordier, des Françaises.

Fraîche diplômée de l’Université de Lausanne, Anne-Marie Piguet se porta volontaire à la CRS, SE, avec une première étape la colonie de Montluel près de Lyon. Quarante ans plus tard, elle décrit ses sentiments : « J’arrive à Montluel en juin 1942, persuadée que je vais « secourir de petits Français ». Mais c’est l’étonnement, mêlé d’une pointe de déception, lorsque je vois ces enfants espagnols et juifs, pauvres innocents jetés à la poubelle de l’histoire par la malice des temps ». Après un passage au siège de la délégation à Toulouse, elle arriva à La Hille en mai 1943 pour s’occuper notamment du ravitaillement. La situation demeurait critique : en février, la gendarmerie française avait arrêté cinq pensionnaires, dont trois avaient été déportés (Walter Strauss se trouvait parmi eux) ; en juin vint le tour de trois autres adolescents, dénoncés par le guide espagnol qui les accompagnaient au travers des Pyrénées.

C’est à cette époque – juin 1943 – qu’Anne-Marie Piguet mit au point sa stratégie : accompagner les enfants du point de départ au point d’arrivée, franchir la frontière dans la seule région qu’elle connaissait très bien, le Risoux, une montagne boisée qui borde sa Vallée de Joux natale. Elle testa avec succès la filière pendant ses vacances. Et surtout, elle fit la connaissance de Victoria Cordier, agent de liaison dans la Résistance française, et de sa sœur Madeleine, qui fabriquait de fausses pièces d’identité. Les sœurs Cordier habitaient Champagnole, mais la maison maternelle se trouvait à Chapelle-des-Bois, au pied du Risoux, dans la zone interdite qui bordait la frontière suisse sur une largeur de deux kilomètres. Selon des témoignages, les sœurs Cordier ont fait passer en Suisse plus de 80 personnes, juives et non juives.

La première tentative « à blanc », avec le fils d’un fermier suisse (Hans Schmutz) qui hébergeait clandestinement des enfants de La Hille, se déroula sans encombre. Avec l’aide de Victoria Cordier, Anne-Marie Piguet fit alors passer huit jeunes de La Hille et la mère de l’un d’eux, la cuisinière de la colonie dont le mari avait été déporté. En Suisse, les fugitifs étaient pris en charge par ses parents et par des amis, puis envoyés à l’intérieur du pays, le plus souvent à Zurich chez le pasteur Paul Vogt.

Même si la filière était bien organisée, l’accompagnement ininterrompu et le Risoux un terrain connu, la traversée de la zone interdite, puis de la frontière restait dangereuse. Le dernier passage – en mai 1944 – allait le rappeler. Avec Anne-Marie, ils étaient trois au départ de La Hille : Paul Schlesinger, sa mère Flora – à qui Mme Schmutz voulut donner sa pièce d’identité suisse – et Walter Kamlet – à qui Sebastan Steiger donna finalement la sienne. Trajet habituel pour le quatuor : Toulouse, Montluel, Champagnole où les rejoignirent deux jeunes devant passer en Suisse et enfin Chapelle-des-Bois. Avec Victoria et Madeleine Cordier, la petite équipe passa la frontière, mais elle tomba sur un policier vaudois qui voulait la refouler…

Madeleine Cordier parvient à éviter le refoulement

« Fier de sa trouvaille [le gendarme Adrien Goy] se fait sévère. Madeleine, il veut l’emmener en Suisse, et refouler les autres. Le règlement, c’est le règlement. Madeleine, courageuse, éloquente, plaide : « Moi, descendre en Suisse ? C’est impossible. On m’attend à la maison. Non, non ! – Et refouler ces pauvres personnes qui viennent du fond de l’Ariège, qui sont en danger, qui sont mortes de fatigue, qui comptent sur vous. Vous ne pouvez pas faire ça, c’est trop cruel. » Le gendarme n’est pas long à sentir sa résolution vaciller. « Bon, retournez sur France et moi je les descends au Brassus. Mais attention ! Qu’ils ne disent à personne que je les ai trouvés près de la frontière.

En 2003, une plaque a été déposée dans ce lieu : L’Hôtel d’Italie, en fait une cabane forestière. « Ici, de septembre 1943 à mai 1944, quatorze femmes, enfants, adolescents, Israélites pour la plupart, traqués en France occupée, ont trouvé refuge grâce à Fred Reymond, Anne-Marie Piguet, Madeleine et Victoria Cordier et au gendarme Adrien Goy en poste au Brassus ».

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