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21 septembre 2007 5 21 /09 /septembre /2007 14:23
La Société du Bateau à vapeur le Guillaume Tell
 
On a bien souvent évoqué, dans la presse de notre pays, l’événement mémorable que fut le lancement à Genève, le 28 mai 1823, du premier bateau à vapeur à paraître sur notre lac, et sur les lacs suisses, le Guillaume Tell. Jusque-là, le lac Léman ne connaissait, en fait de « grands bateaux », que des barques à voiles, des barques de Meillerie, bien belles sous leurs hautes voiles latines. Mais, dépourvues de toutes commodités, irrégulières dans leur marche, elles ne pouvaient prétendre tenir un service de passagers. Les voyageurs suivaient donc la voie de terre, très pittoresque dans ce pays admirable, sur la côte suisse riante, agreste, vigneronne, très ensoleillée, ou le long de la rive savoyarde, celle-ci un peu assombrie sous la montagne et les châtaigniers, moins généreusement dotée par la nature, mais combien romantique.
Le bateau à vapeur ouvrit brusquement aux riverains une ère nouvelle par la facilité et la rapidité qu’il donnait aux déplacements. Le lac Léman en est redevable tout d’abord à un citoyen américain, Mr. Edward Church, consul des Etats-Unis d’Amérique en France. (Tien donc, un américain, et non pas le fait de citoyens suisses !)
Quand en 1822 il vint visiter notre pays, Mr. Church s’intéressait particulièrement à la navigation nouvelle, celle que son compatriote Robert Fulton avait inaugurée en 1807 sur l’Hudson. Il avait déjà fait construire plusieurs bateaux à vapeur pour les eaux européennes. Alors, à ne trouver ici, au cœur du continent, sur un lac d’une sublime beauté, entre des rives si bien dotées de villes et de villages dans la paix et l’aisance, dans un cadre aussi propice, pas un seul bateau à vapeur, à voir cette population « libre, éclairée, ingénieuse » demeurée jusqu’ici privée, « par une bizarrerie inconcevable », des bienfaits de la navigation à vapeur, « tandis que plus de cinq cents de ces bateaux répandent la grande découverte de Fulton dans toutes les parties du monde », Mr. Church déclare ne pouvoir se défendre d’un « sentiment de surprise ». Aussi veut-il incontinent nous tirer de cette bizarre inertie.
Fort de l’agrément donné à son projet par le gouvernement de Vaud et de Genève, il fait construire à ses propres frais et risques un bateau à vapeur pour notre lac.  Ce bateau, il l’appelle Guillaume Tell, en hommage exprès de la libre Amérique au champion des vieilles libertés helvétiques. Il lui donne 75 pieds de quille, c’est-à-dire près de 23 mètres de long à la flottaison, et 15 pieds, soit 4 mètres 60, de large au maître bau. Mr. Church précise que l’on trouvera, sous le pont, trois chambres meublées et décorées avec élégance. Les voyageurs y seront servis à prix fixe par un restaurateur. Le pont sera abrité d’une tente et, de là, « on pourra contempler à son aise les spectacles ravissants du lac Léman ».
Le bateau fera chaque jour le voyage de Genève à Lausanne et retour, même à Vevey pendant l’été, en prenant et déposant les passagers à Coppet, Nyon, Rolle et Morges.
« Les prix seront modérés », ajoute Mr. Church.
Le pays romand est ainsi très bien renseigné sur tout ce que l’on peut attendre d’un bateau à vapeur navigant sur le lac Léman !
C’est un chantier naval de Bordeaux, celui de M. Mauriac, qui est chargé de fournir le corps, en bois, du bateau. La construction s’en achève aux Eaux-Vives sous la direction de M. François Mathieu, un citoyen genevois et vaudois* qui se distinguera en cette matière.
*François Mathieu, né à Genève en 1794, bourgeois de Genève et de Duillier (Vaud).
Les machines, avec les roues et les chaudières, viennent d’Angleterre. – « Elle pèsent 50 000 livres… C’est un miracle de mécanique appliquée », écrit M. de Bonstetten. – (héhé ! Vous souvenez-vous de lui ? L’ami de Madame de Staël au château de Coppet) « Cela est très compliqué et donne une grande idée de la force qu’acquiert la vapeur comprimée », note dans son journal intime, à la date du 27 avril 1823, M. Marc-Jules Suès, le secrétaire caissier du Bureau de bienfaisance de la Ville de Genève.
La puissance installée sur le Guillaume Tell est de 12 chevaux nominaux – quelque chose comme « 12 chevaux de cylindrée ». Cela peut correspondre, dans le cas particulier, à une vingtaine de chevaux effectivement développés sur les pistons, puissance dont, après déduction de ce qui est absorbé par la pompe du condenseur, la pompe d’alimentation des chaudières et les frottements dans le mécanisme, on retrouve à peu près les deux tiers sur l’arbre des roues du bateau.
Le Guillaume Telle est donc lancé le 28 mai 1823. Un mercredi. L’opération se déroule, comme bien l’on pense, en présence d’un concours extraordinaire de spectateurs. Le retentissement en est considérable dans la Suisse entière.
Ce n’est pourtant pas un grand bateau. Néanmoins, le « navire » Henri IV, qui assure, à l’époque, la traversée du Pas de Calais, est à peine plus grand, ayant seulement 5 pieds de plus dans la longueur, avec une machine de 30 chevaux nominaux. On se contentait de peu dans ce temps-là.
Le 18 juin, le Guillaume Tell débute dans son service régulier par un tour du lac qui a un succès fou. Fanfares et salves d’artillerie éclatent tout le long des rives. L’émerveillement de la population est intarissable à la vue de cette « barque à feu » hautement décorée, brillant de tous ses cuivres, qui file rapidement dans un grand bruissement d’eau, en secouant sa fumée et ses banderoles. M. de Bonstetten, l’ancien bailli, est du voyage et non le dernier à s’extasier devant la conquête du lac par le bateau de son ami Church, à relever les agréments dont on jouit à bord, tout en admirant combien de toutes parts se présentent à la vue de splendides paysages, sous des angles inattendus.
Dorénavant, du lundi au samedi de chaque semaine, d’avril à octobre, le bateau fera chaque jour la course de Genève à Ouchy et retour, par la côte suisse. Le dimanche et le lundi sont consacrés à un tour complet du lac, proposition « touristique » qui suscite chaque fois l’enthousiasme.
Le voyage de Genève à Ouchy, en desservant Coppet, Nyon, Rolle et Morges, sur une distance de 58 km., dure près de 6 heures. La vitesse « commerciale » atteint ainsi 10 km. A l’heure. La diligence postale ne va pas plus vite. En route, le bateau couvre environ 13 km. A l’heure – « douze pieds par seconde » dit Church -  le trajet direct (52 km.) entre Genève et Ouchy pouvait donc être franchi en 4 heures. Les arrêts aux stations prennent beaucoup de temps. Le bateau stoppe en pleine eau et les échanges avec la rive, passagers, bagages et marchandises, s’opèrent à l’aide d’embarcations à rames (radelage).
Combien coûtait le passage ? – Selon le tarif publié en 1823, on demandait 40 batz, ou 6 francs de France, pour la simple course de Genève à Ouchy, aux première places (à l’arrière du bateau) ; 24 batz, ou 3 fr. 70 de France, aux deuxièmes (à l’avant). Il n’existait pas de billets d’aller et retour à prix réduit, en ce début d’exploitation… du client. C’était cher ! – En effet, on sait qu’en 1840 la Confédération suisse adoptera, pour remplacer les monnaies jusqu’alors cantonales, un nouveau franc suisse équivalant au franc de France, parité qui a été soutenue jusqu’en 1914, dans l’Union latine. A l’époque du Guillaume Tell, le pouvoir d’achat de ce franc de France était 5 à 6 fois celui de notre franc suisse de 1965. Ainsi, le billet de bateau de Genève à Ouchy, simple course, en 2e classe, coûtait l’équivalent de quelque 20 francs suisses d’aujourd’hui ; d’environ 33 francs en 1re classe. Le tour du lac dominical se montait à environ 55 et 75 francs respectivement.
Les prix « modérés » de Mr. Church… Hum !
Ce prix de 40 batz – aux premières sur le bateau – était d’ailleurs celui que demandait la Régie des Postes du canton de Vaud pour le même trajet, de Lausanne à Genève, par la diligence. Les voyages étaient donc dispendieux en 1823. Néanmoins, les clients ne manquaient pas au GuillaumeTell. Loin de là ! Séduit par la nouveauté, le public y affluait. Puis l’usage du bateau était bien plus agréable que celui de la voiture postale, dans la poussière ou la boue de la route.
Dans ces conditions, les affaires devaient être très brillantes sur l’eau. C’est bien cela. L’année 1823 – où l’exploitation débute le 18 juin – apporte un excédent de recettes de 52 000 francs de France ! Pour ce petit bateau qui a coûté 106 000 francs à l’établissement, le succès financier est formidable. C’était attendu. Aussi Mr Church fut-il tout de suite vivement sollicité de partager charges et profits de son entreprises. Le 15 août, deux mois après la mise en service, il cède la moitié du bateau à un ami, Mr. John-Arthur Morton, à Bordeaux, et un quart à M. Mathieu que nous connaissons, à Genève.
Au printemps suivant, Mr. Morton revend la moitié de sa part à cinq citoyens distingués de Genève qui se trouvent posséder ainsi chacun, au prix de 5000 francs de France, un vingtième du bateau… avec le droit au passage gratuit.
Le Guillaume Tell a maintenant huit propriétaires. Ils seront dix-sept, le 25 août 1824, à fonder la Société anonyme du Bateau à vapeur le Guillaume Tell.
Le résultat de l’exercice 1824 est encore mirobolant : le bénéfice permet de répartir un dividende de 18 %. Ce sera, dans les anales de la navigation sur le lac Léman, le dernier dividende d’un si haut goût. La concurrence devait inévitablement surgir sans délai, pour partager – pour gâter – de si bonnes affaires.

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   Guillaume-tell-01.jpg Le  Guillaume Tell



texte: Histoire imagée des Grands Bateaux du Léman

En 1822
le 7 septembre Indépendance du Brésil
le 13 janvier Indépendance de la Grèce
septembre 1822 Champollion déchiffre les hiéroglyphes
Joseph Nicéphore Niépce obtient la première image de la reproduction par la lumière, ancêtre de la photographie
un an déjà, Napoléon Ier est mort.
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commentaires

B
Article très intéressant car il décrit certains aspects du début des bateaux à vapeur sur le lac Léman. Il éclaire ainsi la première association, en Suisse, de MM Church et Mathieu comme armateurs. D'autres associations suivront, en grand nombre, sur le Rhône et la Saône.<br /> Pour info, monsieur Mathieu est un membre de ma famille, ancien sous-officier de la Garde impériale il aime appeler ses bateaux ou ses compagnies de navigation "Aigle"
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