750 grammes
Tous nos blogs cuisine Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Rechercher Un Mot

Archives

Articles RÉCents

Liens

14 novembre 2007 3 14 /11 /novembre /2007 16:02
Un point est actuellement très clair pour moi, mais lorsque je commençai à y penser, ce jour-là, mes idées étaient encore vagues. Je voyais la nécessité (dont nous avions aussi souvent parlé) de reconstituer justement les premiers jours de taule, d’en faire une description « pratique », qui puisse servir à élaborer une stratégie visant au refus de déposer. Et pendant que je me rappelais nos conversations à ce propos, je me proposai d’examiner tout ce que je voyais aussi exactement que possible et avec objectivité, dans l’espoir que d’autres puissent en faire quelque chose. Si seulement j’avais un crayon et du papier…
 
C’est ainsi que se termina cette journée, encore une ; je n’avais qu’une petite idée du déroulement de la journée : 5 heures 30 réveil et lumière, 6 heures déjeuner, 7 heures contrôle de la cellule, 11 heures dîner, 17 heures souper, 22 heures extinction des feux.
 
Dimanche 23 mars 1975
 
Je commençai la journée par la gymnastique : quelques flexions des genoux ; mais je sentis tout de suite dans mon dos que des yeux étrangers m’observaient et cela me dérangeait ! Alors pas de gymnastique – je pourrais peut-être la faire après l’extinction des feux, le soir. Ensuite je me mis à chanter, pas très fort, mais aussitôt dehors quelqu’un frappa violemment à ma porte et un type gueula : « Interdit de chanter ici ». J’inspectai le contenu de l’armoire murale mais à part de la margarine rance il n’y avait rien. Je savais que c’était dimanche et qu’il n’y aurait aucun interrogatoire. Je commençais à souffrir de ma crasse. Rien pour se laver, ni pour se brosser les dents.
 
Est-ce qu’on avait bien averti quelqu’un de mon arrestation ? Mais qui donc ? Je commençai à me promener inquiète toujours avec les mêmes pensées, toujours avec l’espoir d’arriver à saisir comment ils m’avaient attrapée. Je m’assis à nouveau sur les couvertures, je regardai par la fenêtre, attendant que les heures passent. Mais que c’était long ! Je n’avais aucune pensée constructive. Dans une attente passive, je percevais l’atmosphère, je suivais la tombée du jour. Il y avait les interruptions fixes des repas. Tout cela n’avait aucun sens ; pas le moindre instant de joie. Cette lourde monotonie de la cellule, c’était comme l’orphelinat ; les mêmes sentiments me dominaient. Mais pendant les années que j’avais passées à l’orphelinat j’avais eu plus peur, je n’avais aucun moyen de défense ni aucune espérance qu’il y ait quelque chose d’autre dans la vie. Ce sentiment je l’avais eu aussi chaque fois que j’étais entrée dans un hôpital ou lorsque j’avais vu une chaîne de montage.
 
De ces réflexions je conclus que des gens ayant des expériences précises (orphelinat, hôpital de troisième classe, travailleurs) devaient réaliser mieux l’atmosphère de la taule. Mais il faut y penser sans cesse, sinon cette expérience n’aide pas.
Lorsqu’un flic m’annonça mon transfert, j’eus de la peine à en prendre conscience et la peur me saisit. C’est déjà moche comme ça ; ça peut être pire, pense-t-on. La peur devant l’inconnu est toujours présente, et cela me rappelait aussi les réactions que j’avais comme enfant chaque fois que j’entrais dans une nouvelle institution.
 
 
Lundi 24 mars 1975
 
Je ne serais pas transférée – on m’amena seulement au troisième étage du bâtiment. Je voyais maintenant, pour la première fois seulement, toute l’étendue de la prison : les gigantesques escaliers de métal, comme suspendus (afin qu’à chaque instant et de n’importe quel endroit la cage d’escalier soit contrôlable), la quantité de portes menant aux cellules. Derrière chaque porte il y avait quelqu’un dans le même pétrin, davantage ou moins, avec les mêmes problèmes des premiers jours.
 
La première impression positive de la nouvelle cellule : la lumière du jour était plus forte que la lumière électrique et c’était un léger soulagement ; la cellule était beaucoup plus propre, la fenêtre était plus basse, je pouvais voir dehors et apercevoir une partie du ciel, ainsi qu’un bout de la rivière et de la rue et évidemment la cage d’escalier de la caserne. Les dimensions et l’orientation de la cellule étaient les mêmes.
 
Pour la première fois j’avais quelque chose à faire : différentes écritures, noms et dates à déchiffrer. Je comptai les jours des prisonniers précédents, de toutes nationalités : le record était de vingt-sept jours. Je tressaillis à la pensée des vingt-sept jours, ce serait absolument impossible à supporter aussi longtemps que de vivre dans ce trou.
 
Avec la fermeture de mon soutien-gorge, je réussis également à retirer une vis et je m’approchai de la fenêtre pour y faire une légère incision ; ensuite je pus lire (écrit tout petit) le nom d’une femme : « suis ici depuis vendredi 3 heures », suivaient quatre traits. Je connaissais le nom de cette femme. J’avais maintenant la certitude absolue qu’ils avaient arrêté d’autres personnes et cela seulement quelques heures après mon arrestation. Cette femme a été transférée et je suis dans sa cellule.
 
A peine remise de ma frayeur, je fus appelée pour l’interrogatoire. Lorsque je fus dans le bureau, je dis que je voulais avant tout connaître mes droits – notamment en ce qui concerne les contacts avec l’avocat et les possibilités d’avertir ma famille – et que j’avais besoin d’affaires de toilette. On me répondit seulement que l’on parlerait de tout ça après l’interrogatoire.
L’interrogatoire commença immédiatement. Je n’énumérerai pas ici les questions – cela dura longtemps. Je refusai de faire toute déposition. On me dit ensuite que je pourrais écrire à un avocat et que si j’avais de l’argent je pouvais aussi m’acheter des cigarettes. Je m’étonnai de cette remarque « si vous avez de l’argent », car le flic qui m’interrogeait savait parfaitement que j’avais trente francs sur moi lors de l’arrestation ; j’appris seulement plus tard pourquoi il avait ajouté cela. Je fis remarquer qu’après cinq nuits et quatre jours j’avais besoin d’un savon et d’un peigne. On me rétorqua que je pourrais tout acheter au gardien.
à suivre...
Partager cet article
Repost0

commentaires