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19 septembre 2014 5 19 /09 /septembre /2014 16:54

 

   Goethe et le duc de Weimar étaient descendus, à Martigny, à l’auberge de la Grand’Maison, un ancien couvent de Bénédictins transformé en hôtellerie. À peine arrivés, ils firent ce que faisaient généralement les voyageurs fatigués, sur la recommandation de leurs guides. Ils prirent un bain de pied dans du vin rouge mêlé de son. Rien de tel pour délasser et redonner du nerf. Bien d’autres remèdes avaient cours, et l’on peut dire que les pieds des voyageurs d’autrefois ont passé par d’imprévues médications. Ainsi, au début du XIXe siècle, un voyageur anglais, sur le conseil de son guide, s’était fait casser des œufs frais dans ses brodequins pour se prémunir des ampoules et franchir plus allègrement le raboteux passage de la Tête-Noire. Voici ce qu’écrit Goethe sur ce bain :

   « Nous remarquons dans cette auberge une servante qui, avec une grande stupidité, a toutes les manières d’une sentimentale demoiselle allemande. Ce furent de gros rires lorsqu’elle nous vit, sur le conseil de notre guide, baigner dans du vin rouge mêlé de son nos pieds fatigués, et que nous les fîmes essuyer par cette agréable personne. »

   Et il constate que le souper de la Grand’Maison ne l’a pas fort bien restauré, mais il espère se régaler mieux de sommeil. En fait, les voyageurs du temps sont à peu près unanimes à reconnaître que la Grand’Maison était abondamment pourvue de vivres, mais assez démunie de meubles, surtout de bons lits. Les menus d’auberge passaient pour généreux, un peu partout en Suisse, jusque dans les simples bourgades. Il était courant d’avoir aux tables d’hôtes des repas qui nous font regretter une époque disparue, et qu’on ne trouve plus que dans de vieux bouquins. Celui-ci, par exemple : 1) potage ; 2) bouilli, côtelette sur de la choucroute, avec pieds de veau ; 3) truite ; 4) pigeon et langue en ragoût ; 5) poulet lardé, rôti de veau, salade ; 6) dessert, une bouteille de bon vin.

   L’affluence des touristes était déjà considérable à la Grand’Maison en 1779. Il arrivait que l’amphitryon ne puisse loger tout son monde. Aussi certains voyageurs étaient-ils prudents. Mme de Laborde, plus tard duchesse de Rohan-Chabot, femme du fermier général, fit avec son mari le voyage de Martigny à Chamonix en 1781. Son auguste époux avait eu la précaution de faire apporter draps et couvertures, grâce auxquels la dame passa à la Grand’Maison une excellente nuit. Mais les Messieurs durent aller coucher sur la paille, se servant de leurs redingotes comme traversins. [Voyage en Suisse de Mme Roland.] La nuit, pour Goethe, fut bonne, et il était dispos pour la course du lendemain, qui devait l’amener, avec le duc, à St-Maurice, le 7 novembre, vers midi.

   « En voyage, écrit-il à Mme de Stein, ma manière de jouir des beaux paysages est d’évoquer tour à tour mes amis absents, et de m’entretenir avec eux de ces magnifiques objets. Si j’arrive dans une auberge, me reposer, me ressouvenir et vous décrire sont une seule et même chose, bien que parfois mon âme, trop exaltée, aimât mieux se recueillir en elle-même…

   « Nous sommes partis ce matin de Martigny à l’aube ; un vent frais du nord s’est levé avec le jour ; nous avons passé devant un vieux château qui s’élève au point où les deux bras du Valais forment un Y (Entremont, Sion, St-Maurice). La vallée est étroite et fermée de part et d’autre par des montagnes de formes variées, qui sont, dans l’ensemble, d’un caractère particulier, à la fois gracieux et sublime. Nous arrivâmes où le Trient pénètre dans la Vallée… »

   Cette gorge du Trient impressionnait les voyageurs ; le bon Bourrit, dans un tableau un peu poussé, trouve ces parois à pic « aussi noires que les marbres d’un tombeau ». Goethe se demande si le torrent qui débouche par cette étroite ouverture encadrée de roches verticales « ne sort pas de dessous la montagne ». Il remarque encore l’ancien pont sur le Trient, « rompu, dit-il, l’an passé par la rivière, et non loin de là, des roches énormes tombés récemment de la montagne », qui avaient en partie obstrué la route. L’année 1778 fut fertile en inondations et les traces s’en voyaient encore un peu partout en Valais. Le vieux pont de pierre sur le Trient venait d’être à moitié emporté et il avait été remplacé par un pont de bois. Au demeurant, ce fut une occasion de faire mieux, de progrès, car l’ancien pont, ridiculement étroit, était au surplus placé de guingois et en rébellion ouverte avec l’axe de la route, ce qui excitait les remarques amusées des voyageurs.

 

Martigny-vers-1877.jpg

 

GTell, Chateaubriand et Goethe en Valais.

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