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14 juillet 2018 6 14 /07 /juillet /2018 15:49

Je reprends un article du  livre célébrant la vie des Vaudois au travers du journal 24heures.

 

Un vrai caf’ conç’ antinazi

 

De retour de Paris, Jean Villard-Gilles ouvre, à Lausanne, un impertinent Coup de Soleil

250 ans dans la vie des Vaudois

 En juillet de cette année-là, notre nation se trouve dans l’œil du cyclone, soit une zone de calme au centre d’un tourbillon. La guerre rugit aux frontières, l’ennemi menace. L’ennemi est Allemand, même si des banquiers suisses troquent déjà son or maudit contre de l’aluminium, des locomotives, des armes. Et même si des activistes d’extrême droite affichent un antisémitisme braillard, en prédisant sottement le triomphe du IIIe Reich. La majorité des Helvètes se méfient de ces « Teutons, teutonnants et capables de teutonneries rimant avec c… » [Expression recueillie au Locle par l’opticien neuchâtelois Henri Jeanmaire (1914-1992), avant son exil à Londres où il créa des dispositifs de visées pour la RAF.] Un espion SS déclare : « Il n’y a que 5% de Suisses qui sont avec nous. 90% nous détestent et sont pour les Alliés. » Un éditorialiste du New York Times impute, lui, le déclin de l’hitlérisme au pays de Heidi à deux causes principales : « A un renouveau de son patriotisme comme conséquence des erreurs psychologiques de la propagande de l’Allemagne nazie. De plus, il se rend compte que le mouvement nazi peut à tout moment menacer son indépendance. »

Gilles et Julien

Gilles et Julien

Mobilisé, il chante sous nos drapeaux

 

C’est dans ce contexte d’inquiétudes mitigées de l’été 1940 que Jean Villard-Gilles a retrouvé sa terre natale. Après l’avoir quittée pour faire florès sur les plus beaux tréteaux de France, le comédien et chansonnier vaudois s’est rapatrié, il y a un an, pour être mobilisé et chanter sous nos drapeaux. Une fois par semaine, il compose une chanson pour Radio-Lausanne. S’il y récupère avec bonhomie son accent atavique qui s’était un chouia dégraissé, le voici consterné d’apprendre que Paris est occupé depuis le 15 juin.

Un jour de beau temps, il est attablé à Bellerive-Plage, au bord du Léman, égrenant des idées noires quand son oreille absolue perçoit un toucher pianistique raffiné accompagnant une voix d’or. C’est ainsi qu’il rencontre Edith Burger, la troisième femme de sa vie ; une pianiste aux belles envolées et dont le timbre clair, dira Gilles, « accroche avec une pointe d’accent canaille. Juste ce qu’il faut ». Pour  cette Jurassienne rousse aux yeux noirs qui a hérité de sa mère un tempérament provençal, ressent-il à 45 ans un « coup de foudre », comme dans les romances à l’eau de rose qu’il aime brocarder ? Non : il y a eu tant de lumière sur Ouchy ce jour-là qu’il opte pour l’expression « coup de soleil ». Il en est si fier qu’il en fait la raison sociale d’un nouveau cabaret lausannois, inauguré le 16 octobre 1940 à Lausanne, au sous-sol d’un bâtiment sis 3, rue de la Paix.

Gilles et Edith

Gilles et Edith

Saynètes caricaturant l’esprit troupier

Avec Edith, il y programme des numéros de duettistes – à l’instar de ceux qui avaient fait sa gloire dans l’Hexagone lors de tournées avec son partenaire Julien (alias Armand Maistre) de 1932 à 1939. Dans un décor enfumé évoquant les caf’ conç’ à goualantes du cher Paris d’antan, le Coup de Soleil accueillera jusqu’à la fin de la guerre un public acquis aux idées de liberté, d’espoir, de paix, sensible surtout à l’humour féroce du couple Edith-Gilles. Leur répertoire se décline en saynètes chantées, où l’on charrie l’esprit troupier, caricature Vaudois et Alémaniques (Le Männerchor de Steffisbourg). On y nargue sans ambages l’Allemagne hitlérienne, « prétendument millénaire » :

                                      Un jour ces tyrans révolus

                                      Voltigeront de leur tanière

                                      Dans un ouragan de colères,

                                      Un cyclone de coups de pied au cul,

                                      Dans la marmite de Belzébuth.

Dans la salle, quelques exilés français, dont un fameux Marcel Pagnol – il pleure aux hommages entonnés par le duo à sa patrie qu’il croit perdue. Et une certaine Edith Piaf : elle y entend pour la première fois la chanson des Trois cloches, qu’un jour elle chantera elle-même pour un triomphe mondial. Et qu’interprétera aussi Ray Charles.

Mais l’esprit frondeur qui crépite dans ce caveau lausannois n’échappe pas aux nazis. Leur ambassadeur à Berne s’en plaint en désignant Jean Villard-Gilles comme l’ « ennemi numéro un de l’Allemagne en Suisse ». Quel beau titre, quel insigne glorieux pour le futur patriarche de tous les chanteurs romands ! La France y adjoindra en 1946 une Légion d’Honneur « pour rôle actif de résistant par la chanson ».

Les trois cloches

http://www.rts.ch/archives/tv/culture/cine-actualites/9154870-les-trois-cloches.html

Le petit film présenté ici, a certainement été vu par de nombreux Romands qui à la longue, pensèrent que Gilles décrivait, dans sa chanson les Trois cloches, un quelconque village de nos Alpes, peut-être bien dans une vallée Valaisanne.

 

Lisez bien le texte dessous la vidéo.

250 ans dans la vie des Vaudois

Il fut le premier chansonnier à chanter des chansons autres que des chansons à l’eau de rose, fini pour lui l’amour toujours, la chanson réaliste et qui colle à l’actualité. Par exemple, Dollar, en 1932 est la chanson explicite des textes mis en musique par Gilles et chanté en duo avec Julien.

Il a été le chef de file de tous les suivants…

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24 juin 2018 7 24 /06 /juin /2018 15:46

Bonjour à tous les supporters de toutes les équipes qui sont présentes en Russie.

La Suisse fait partie de celles qui jouent au football dans ce mondial. Petit pays, grande équipe pour nous, pas pour les autres, surtout pas pour les Français.

On peut dire merci à notre télévision nationale qui diffuse tous les matchs en direct.

Avons-nous un espoir d’une performance inouïe pour la Nati ? Peu probable au regard des grandes nations du foot qui vont s’exprimer bientôt en match à élimination direct, qui va montrer la grandeur de chacun.

Mais savez-vous que la Suisse détient un record mondial ?

La moyenne de but par match.

La Suisse détient un record mondial en foot, celui d’un pays organisateur (1954), qui marqua 140 buts en 26 matchs, avec la moyenne de 5,38 buts par match. Personne n’a fait mieux depuis.

Si vous vous intéressez aux statistiques, suivez le lien Wikipédia.

Je vous souhaite des bonnes journées de foot avec votre (vos) équipe(s) préférée(s).

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10 mai 2018 4 10 /05 /mai /2018 16:44
Les pouces aux bretelles

Frédéric Fauquex, l’ancien et regretté président du Conseil des Etats, commandant magistral et majestueux des Cent-Suisses à la Fête des Vignerons de 1955, propriétaire-vigneron à Riex, jouait à merveille le rôle que lui suggéraient les trains spéciaux commis au retour triomphal d’un conseiller fédéral vaudois nouvellement élu, de quelques parlementaires portés aux fauteuils présidentiels des deux Chambres.

Il profitait de l’obscurité passagère du tunnel de Chexbres pour revêtir la cape rouge et blanche de l’huissier. Au moment éblouissant de la sortie, face au théâtre du Léman et du vignoble de Lavaux, il proclamait alors d’une voix d’airain, le bicorne à la main, devant l’officialité politique qui n’attendait que cet instant :

- Messieurs, je vous présente le Pays de Vaud !

Aux yeux des Suisses alémaniques, l’entier du canton s’identifiait ainsi à l’un des plus beaux paysages du monde.

- Faudrait pas qu’il exagère, le Fauquex de Riex, avais-je entendu murmurer : du beau côté du tunnel, on est encore « sur Puidoux ».

Les Vaudois révèlent l’exacte mesure de leur horizon par cette interrogation fondamentale et rituelique :

- On est sur qui ?

Ils abandonnent sans façon les latitudes et longitudes aux capitaines au long cours et accordent leur estime aux artilleurs qui font se croiser les coordonnées de la Carte nationale au 1 :25 000, à distance tactique et possible du bistrot le plus proche. Mais savoir « sur qui on est » procède de l’ouverture du compas la plus universelle qui soit, parce que tout bonnement encore inscrite dans l’entendement humain. On a même vu des pompiers rebrousser chemin : un peu plus et ils volaient le feu qui avait pris la fantaisie de dévorer le toit d’une ferme, hors les frontières communales : mille regrets, mais l’incendie n’était pas « sur eux ».

Les ressortissants de Puidoux éprouvent une joie secrète à initier les gens du dehors à la plus exacte dimension de la géographie locale :

- Attention, messieurs-dames ! Le Dézaley est tout entier sur nous comme, du reste, le lac de Bret. Le tunnel, soi-disant de Chexbres, aurait meilleure mine à s’appeler plus justement le tunnel de Puidoux.

Puidoux embrasse le Léman jusqu’aux limites lacustres de la Savoie.

Les Treytorrens, le Clos-des-Moines, celui des Abbayes, la Tour-de-Marsens, la Crochettaz, c’est encore Puidoux. Une tranche des Moulins de Rivaz et même le Signal de Chexbres sont « sur Puidoux ».

J’ai vu Marcel Dubois, conseiller national et syndic, esquisser le geste rassurant des pouces aux bretelles. Lui, le propriétaire.vigneron de Marsens-Dézaley, l’œil sulfaté au grand bleu d’avoir tant regardé le lac, ajoute encore :

- On a même un pâturage à 1000 mètres, au Mont Chesau.

Ne lui disputons pas les 17,70 mètres de la vérité topographique. Ça aurait mauvaise façon. Il suffit de savoir que les 982,30 mètres du Mont Chesau se justifient à la vaudoise : en pleine chaleur des moissons, on se sent suffisamment à la hauteur et assez au frais pour avoir l’idée de manger la fondue. N’est-ce pas la preuve des hautes altitudes ?

Les Vaudois entrevoient le bonheur dans la description d’une maison où tout y serait : jardin gras de ses choux et poireaux avec un tournesol aussi large que le gâteau aux pruneaux, le jour du Jeûne, dans le coin des fleurs et des courges ; le vin à la cave, bien entendu ; le bois de chauffage accumulé en mosaïque du côté bise ; blé et provisions au grenier.

La commune de Puidoux en rejoint l’image. Point besoin, comme à L’Abbaye, de se jumeler avec Yvorne pour inviter son vin à prendre l’air de la Vallée. Au retour, le vacherin descend à Yvorne. A Puidoux, les produits s’échangent dans les limites naturelles à l’homme, c’est-à-dire courtes.

Les séances de la municipalité illustrent la diversité de « sur Puidoux ». Un de ces Messieurs parle comme un amiral des planches à voile qui encombrent le lac de Bret, ce qui n’a pas empêché un pêcheur de capturer un brochet énorme. Si la nature avait doté le monstre d’une beau-boire, il mettait à sec d’une seule golée.

Le deuxième municipal rend hommage au temps. Les pâturages se sont bien refaits avant l’estivage et les blés presseraient même d’être rentrés.

Le vignoble prédit, une fois de plus, que l’on va « contre » le millésime du siècle. On le sait, dans leur for intérieur, les Vaudois souhaiteraient que l’événement se répète chaque année.

Marcel Dubois, le syndic, convient qu’à ses débuts parlementaires au Grand Conseil la réputation des vins de la commune précédaient d’une bonne longueur sa renommée politique. Son prédécesseur, Raymond Chaubert, quant à lui, démontrait, durant les séances trop longues, que le sommeil était aussi une opinion.

Personne n’osait lui sonner la diane, sous la forme d’un coup de coude :

- Il faut le laisser récupérer.

A deux heures du matin, le député-boulanger pétrissait le pain des gens de Puidoux.

Et le parlementaire-boulanger de se réveiller :

- Avec le blé moissonné sur la commune, s’il vous plaît !

Puidoux n’a pas éprouvé le besoin d’inventer le fédéralisme, ni de le napper d’une sauce doctrinale. C’est son fait géographique. La graine de maison a été semée claire, en petits quartiers. Ils enracinent au sol des noms comme Cremières, En Loche, En Paully, vers la Chapelle, la Vulpillière, Chauferossaz, le Nanciau. Le Flonzaley était même célèbre aux Etats-Unis, naguère, mais pas à la façon du château de Chillon ou de l’aspect pointu du Cervin. C’était l’appellation contrôlée d’un fameux quatuor animé par un Vaudois nommé Pochon. [Quatuor Flonzaley]

La fête du 1er Août illustre avantageusement le fédéralisme local, Feux et discours officiels « remuent », année après année, en sept lieux différents du territoire. Une fois la fête officielle achevée, chacun des hameaux pique son point de braise dans la toile communale. Les verres se croisent entre voisins pour la plus grande gloire de cette patrie « unie dans la diversité » : les fleurs oratoires du 1er Août prospèrent partout.

Marcel Dubois était encore municipal des eaux quand il invitait sur la terrasse de la Tour-de-Marsens un Suisse alémanique malheureux de n’avoir pas su dire, lors d’un concours télévisé, que le Dézaley se trouvait sur Puidoux et non pas du côté de Rivaz ou de Cully. On lui fit suivre du regard et de l’index les frontières légitimes et éternelles qui placent en principauté l’un des vignobles les plus pentus du globe :

- Voyez, là-bas, la petite vallée du Flon, la chute des Moulins de Rivaz ? Au levant, le Dézaley ne va pas plus loin. Ça s’apprend du reste, rien qu’en dégustant. Au couchant, c’est aussi simple : vous apercevrez les toits d’Epesses, puis les terres un peu sombres du Calamin qui font bordure.

Chez les Vaudois, les détails expliquent l’essentiel.

Marcel Dubois avait invité l’hôte venu d’une Berne lointaine à suivre du regard un chemin ondulant comme une vipère, celui de la Dame, l’un des seuls à retrouver l’horizontale sur la butte géologique du Dézaley :

- Avant la Réformation, la Cathédrale, soit la Dame de Lausanne, était tenue en grande vénération. On se regroupait sur le chemin pour la contempler de loin, faute de participer aux célébrations. Les temps ont changé. Depuis, un énorme sucre de béton oblitère l’horizon. On l’appelle le CHUV. Il a réduit les proportions pythagoriciennes de la Cathédrale. On ne débaptisera pas, pour autant, notre fameux chemin.

Marcel Dubois souhaiterait que les fromages de la commune se différencient, comme les vins, par des terroirs distinctifs :

- Nous goûterions ainsi du Chez-les-Conne, du Rueret, du Chesau et du Dalay.

On a souri aimablement à cette idée :

- Dis-nous donc, syndic, n’est-ce pas en train de repoutzer la lune ?

Si on pouvait la rendre plus brillante encore, la municipalité serait la première à dire qu’elle est aussi « sur Puidoux ».

Texte de Jean-Pierre McDonald, tiré de : « Les promenades romandes de Monsieur Pencil, dessin d’André-Paul Perret. IRL Imprimeries Réunies Lausanne S.A. 1984

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7 août 2017 1 07 /08 /août /2017 15:38

Voilà, c’est la fin de cette aventure sur les Pionniers Suisses de l’Hôtellerie, écrit par Louis Gaulis et René Creux, en 1975.

 

J’ai laissé de côté certains chapitres, mais vous avez l’essentiel sur ces personnages qui ont étés des pionniers.

En complément des sujets traités dans les articles « Pionniers Suisses de l’Hôtellerie, on peut signaler le site suivant de : Véronique Thuin-Chaudron, qui nous parle des liens que Nice avait avec les suisses, avec les hôteliers suisses, qui ont pratiquement fait de Nice, une ville touristique.

Et si vous allez à New York, vous aurez certainement l’occasion de passer devant le célèbre Delmonico’s, le restaurant de grande renommée.

 

Lorenzo Delmonico, tessinois d’origine a donc laissé son nom à de nombreux restaurants aux Amériques. 

Un site en anglais nous en parle, ici.

Le Delmonico's

Le Delmonico's

Et une vidéo amusante sur le restaurant, du moins au début, puis la recette de l’œuf Bénédict, qui aurait été inventée au Delmonico’s.

 

À vous de reconnaitre les films qui parlent du célèbre Delmonico’s.

Pour l’aventurier ou jeune homme désirant devenir hôtelier aujourd’hui, je doute que ceux-ci puissent avoir l’un des parcours décrit ici, à l’exemple de n’importe lequel. Non, il devra certainement faire un apprentissage, suivi d’une école hôtelière, et probablement faire preuve de persévérance en travaillant très dur. Les temps ont changés.

 

FIN

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6 août 2017 7 06 /08 /août /2017 16:17

 

LES PIONNIERS SUISSES DANS LE MONDE ET L’ÉCOLE DES BÉDOUINS

Il faudrait, pour y voir clair, établir un tableau généalogique sur une carte géographique. C’est bien compliqué. Les hôteliers épousent des hôtelières ; ils fondent ici et là quelques grands établissements, retournent au pays ; leurs descendants repartent. S’ils n’étaient pas Suisses, mais Corses ou Siciliens, nous dirions que c’est une maffia. Plus gentiment, dans les brochures de l’Office national suisse du tourisme, on dit que c’est une grande famille. Nous le croyons volontiers puisque beaucoup sont apparentés. Ce préambule pour dire que l’histoire des hôteliers suisses à l’étranger se dessine comme une sorte de ronde, où l’on voit des descendants des Seiler au Caire ; des Badrutt à Jérusalem ; d’Alexandre Emery, le fondateur de la Riviera vaudoise, à Nice et à Evian ; des Kraft, neveux du bâtisseur de l’Hôtel des Bergues de Genève, à Florence ; un gendre de Bucher-Durrer, l’étonnant « Signor Subito », nommé Henri Wirth, à Rome. Il y en a d’ailleurs tellement que nous ne saurions les énumérer tous ici.

 

De cette armada de fondateurs d’hôtels, il faut retenir quelques grands capitaines. En tête Charles Baehler, dont le nom se situe à l’origine de l’historique « Ecole des Bédouins ».

Cette expression désigne le centre naturel d’apprentissage, de stage que devint, pour les hôteliers suisses, le Moyen-Orient, de Jérusalem à Assouan, et ceci de 1890 à 1952.

Tout commence en 1889, lorsque débarque au Caire Charles Baehler, un jeune aventurier, originaire de Thoune et qui n’est âgé que de 21 ans. Sa formation n’a rien de très original. Il exerce la profession de comptable dans une maison d’épicerie en gros. Mais sous les apparences modestes d’un jeune commis, Baehler cache une formidable ambition. C’est un joueur (il le restera toute sa vie), un risque-tout, et un meneur d’hommes. Le pur hasard, dit-on, le fait rencontrer M. et Mme Shepheard, directeurs du Shepheard British Hôtel, le plus luxueux palace d’Egypte. Il est engagé pour réorganiser et moderniser l’aspect financier de l’affaire. Les Anglais, qui règnent en maîtres sur cette partie du monde, bien qu’inventeurs du tourisme par leur passion des voyages, ne sont apparemment pas formidablement doués pour l’hôtellerie. Le canal de Suez est ouvert depuis vingt ans. De riches voyageurs internationaux découvrent les charmes antiques du pays. Un trafic intense règne aux bords du Nil, mais l’accueil est précaire. Charles Baehler, d’une génération qui ne doute pas des bienfaits du colonialisme et de la solidité des empires, se rend compte que la grande pyramide, Louxor et Karnak, Assouan, Jérusalem, Alexandrie, valent bien pour le dépaysement Zermatt, Interlaken ou Lucerne.

Bien vu de la famille Shepheard, il cherche à s’installer à son propre compte. Il lui faut un capital. Il l’obtient sur un coup de dés. Passionné de chevaux, il joue tout son avoir à la loterie des courses irlandaises, et gagne deux fois de suite le gros lot de l’Irish Sweepstake : un demi-million de francs or. Comme le Shepheard vient de changer de main, il en prend la gérance et la direction, le transforme ; il fonde une société. Sa technique consiste, au début, non pas à construire du nouveau, mais à louer de vieux hôtels, bien placés, et à les transformer. En quelques années, Charles Baehler et sa société, dont il est naturellement le patron, contrôle 80% de la capacité hôtelière égyptienne.

 

Il s’agit bien d’une de ces réussites comme on en voit dans les colonies, plus aisée et plus rapide que celle d’un Seiler, obligé à se battre, à convaincre, à ruser avec ses concitoyens comme dans toute démocratie.

Charles Baehler

Charles Baehler

Les hôtels Égyptiens

Les hôtels Égyptiens

Shepheard British Hôtel

Shepheard British Hôtel

Les pionniers de l’hôtellerie en Suisse

Il règne en potentat. Très élégant, il est propriétaire d’une écurie de course, et d’une résidence en Suisse : un faux château à créneaux et mâchicoulis, au bord du lac des Quatre-Cantons, où il élève une meute de chiens Saint-Bernard.

 

Durant ses séjours annuels en Suisse, il ne s’occupe pas que de jeux et de chiens ; il parcourt le pays en tous sens pour engager du personnel, nous dirions aujourd’hui des cadres. C’est ainsi que l’Egypte devient l’école naturelle de l’hôtellerie nommée plus tard « Ecole des Bédouins ». C’est une formation très différente de celle que l’hôtellerie suisse peut donner. La clientèle est plus cosmopolite, plus riche encore peut-être. Déjà les Américains remplissent les hôtels. Le maniement du personnel indigène exige tout un apprentissage. De plus, ces stages sont faits sous l’autorité d’un grand patron extrêmement rigide et précis, surnommé par les populations le « roi non couronné d’Egypte ».

Passeront par cette école beaucoup de grands noms de l’hôtellerie suisse : Charles Müller qui, par le caractère et l’allure, succède naturellement à Charles Baehler. C’est un citoyen d’Aigle. Et Louis Suter, de Montreux, qui finira sa carrière au Cathay de Shangaï, Elmiger, neveu de Hans Pfyffer d’Altishofen, Joseph II Seiler, fils d’Alexandre II, qui passe à Assouan, au King David de Jérusalem, avant de terminer moins « exotiquement » comme directeur du Buffet de la Gare de Bâle. Anton Badrutt-Töndury, de Saint-Moritz qui, après le Moyen-Orient, se retrouvera directeur de l’Engadiner Kulm.

 

L’empire des Bédouins s’écroulera définitivement en 1952. Les émeutes populaires éclatent au Caire. La foule s’attaque au Shepeard, et y boute le feu. Tout l’hôtel flambe avec ses collections, ses tapis, ses archives et ses livres d’or. De cette époque, il reste un album personnel sauvé in extremis par un « Bédouin », Fred Elwert de Zurich.

Le Shepheard aujourd’hui a été reconstruit, mais les souvenirs qu’il évoquait ne sont plus vivants que dans cet album, rempli d’étonnantes signatures allant de Kipling à Churchill. Il reste aussi un autre document : les souvenirs d’Anton Badrutt, édités sous forme de plaquette (Freuden und Leiden des Hetelberufes) où il raconte sa vie comme directeur des Upper Egyptian Hotels de 1921 à 1934. Pour ceux qui s’intéressent à cette époque politiquement fort compliquée, il y a là une foule de détails sur les intrigues anglo-égyptiennes, les tentatives russes de fomenter des grèves chez les employés soudanais de Louxor, et Badrutt, pas du tout neutre, bien que Suisse, faisant coffrer les meneurs par le gouverneur de province, et communiquant (Oh ! oh ! voilà qui n’est pas beau !) le nom des rebelles à toutes les chaînes d’hôtels et à la Compagnie de navigation sur le Nil. Bref, on voit dans ce témoignage le paisible citoyen helvétique qui, ayant épousé l’Empire, puisqu’il en a colonisé une des industries, celle du tourisme, en épouser par la force des choses les inconvénients.

Ce type d’hôtelier baroudeur, qui héritait du côté batailleur de Charles Baehler ne pourrait plus s’exprimer aujourd’hui à l’étranger. Ce genre d’aventure appartient au passé.

 

[Il est très étrange de ne rien trouver ou très peu sur Charles Baehler, par des sites Internet en français, par contre, en Anglais il y en a beaucoup. Il faut croire qu’il laissa une forte impression aux yeux des « Maîtres du monde » de l’époque.]

 

Un site nous parle de Baehler. (En anglais.)

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5 août 2017 6 05 /08 /août /2017 16:31

QUELQUES CHEFS VENUS D’HELVÉTIE

 

Vatel, le célèbre cuisinier de la Cour du Grand Siècle, était d’origine suisse. On sait qu’il mourut tragiquement, victime de son honneur professionnel, puisqu’il se jeta sur son épée, le retard de la marée (les chars de poissons entassés dans la paille, amenés à triple galop de l’océan à Versailles par un système de relais très rapide) lui ayant fait manquer un certain nombre d’entrées lors d’un festin. Vontet, de la même époque, était Suisse également. [L’Art de Trancher la Viande : Dans Von Lucullus zu Escoffier de Harry Schraemli, le grand cuisinier suisse qui est tout heureux de décrire l'ouvrage comme “le premier art de trancher suisse” ; “l'art de trancher a atteint son point culminant au 17e siècle et cela grâce à l'ouvrage d'un Suisse, le Fribourgeois Jacques Vontet.]

Il passait pour un génie dans l’art de découper les viandes. Le chef de Napoléon, Durand, inventeur du poulet Marengo, était né dans les Alpes, et Joseph Favre, un valaisan, fut une grande vedette dans le monde gastronomique. Il est né en 1849. Après un apprentissage dans un hôtel de Sion, il se rend à Genève pour se perfectionner dans son métier et compléter ce que ses études avaient eu de trop rudimentaire. De Genève, il vint à Paris, à la « Milanaise », restaurant réputé du boulevard des Italiens où le célèbre maestro-gastronome Rossini venait souvent dîner. Agé de 18 ans seulement, il est nommé directeur d’une table réputée, celle du Kursaal de Wiesbaden. On le voit ensuite maître queux successivement à Londres, Paris où il officie entre autres au fastueux Café Riche, sous la direction de l’illustre Bignon. La guerre de 1870 interrompt son activité professionnelle. Bien que citoyen suisse, il s’engage dans l’armée de Garibaldi. La guerre terminée, il travaille l’été dans les hôtels de saison et passe l’hiver à Genève comme auditeur libre de l’Université. Dès 1873, il assume son art à l’Hôtel Zaehringen de Fribourg, à l’Hôtel Euler à Bâle, au Righi-Kulm et dans quantité d’autres lieux célèbres. Face aux Français, Joseph Favre est le seul Suisse que nous puissions revendiquer comme faisant partie des grands dans l’histoire de la cuisine hôtelière du XIXe siècle. Tous ses efforts tendirent à donner une base scientifique à cet art encore si flottant.

Joseph Favre

Joseph Favre

En Helvète précis, il croyait aux recettes précises, étudiées, l’horloge sous les yeux et la balance à la main. Il suivit même durant quelques années des cours à l’Université de Genève, des cours de science, puisqu’il fonde en 1877 une revue professionnelle, la première du genre rédigée par un homme du métier, intitulée La Science culinaire. Il organise même des expositions nationales de cuisine (dépêchez-vous de venir admirer la bombe glacée !). Il fonde la première association de cuisiniers, dont la section parisienne porte fièrement le nom d’ « Académie de cuisine ».

 

Les dernières années de sa vie furent entièrement consacrées à l’édition de son dictionnaire universel de cuisine et d’hygiène alimentaire. Ouvrage monumental qui, dans la bibliothèque du gastronome, se range avec le Livre de cuisine de Jules Gouffé (1856). Il s’agit d’un ouvrage monumental, qui embrasse en quatre volumes toutes les expressions culinaires possibles, avec une conscience et une précision de savant. Il contient un millier de recettes, un lexique des denrées alimentaires en plusieurs langues, des biographies et des parties historiques, des illustrations, bref c’est une somme encyclopédique. Joseph Favre mourut assez jeune, à 54 ans, mais son œuvre littéraire, diffusée par son épouse, permet aux générations de chefs qui lui succéderont d’acquérir un code de la grande cuisine qui ne se démodera plus.

Dictionnaire Universel de Cuisine Pratique  Vous pouvez lire ici, ou du moins regarder les premières pages de cet ouvrage dantesque, grâce à la BNF (Bibliothèque Nationale de France) Et vous faire une idée de la gigantesque œuvre de Joseph Favre.

Nous avons fait allusion, en parlant de César Ritz, au chef français Auguste Escoffier. En effet, les carrières de ces deux pionniers sont intimement liées. Ce génie de la cuisine est né en 1847. Il entre en apprentissage dès l’âge de 13 ans dans un modeste hôtel de Nice. Fait prisonnier par les Allemands pendant la guerre de 1871, il utilise habilement son temps en faisant valoir ses dons de cuisinier auprès d’un certain nombre de personnages importants. C’est ainsi que Guillaume II finira, bien après la guerre, par apprécier ses talents et lui décernera le titre d’ « Empereur de toutes les cuisines ». Ritz et Escoffier sont presque du même âge (le premier a trois ans de moins que l’autre). César Ritz a du flair. Il attend sa chance, qui sera celle offerte par Pfyffer d’Altishofen, quand il lui confiera la direction du national à Lucerne, pour y associer Escoffier. Mme Ritz, dans la biographie écrite sur son mari, dira que cette rencontre sera l’événement capital, le plus heureux, pour la carrière de chacun d’entre eux.

La célébrité mondiale des deux hommes éclate définitivement à Londres, en 1888. Par la suite, comme on convoque un grand chef d’orchestre, lors d’un gala, aucun palace ne fut inauguré en Europe sans la présence à la haute direction des fourneaux de maître Escoffier. Dans l’histoire de la cuisine, outre de nombreux plats tels ses crêpes Suzette et ses pêches Melba, Escoffier est l’auteur d’un Guide culinaire, surnommé la « Bible de la cuisine » ; mais son plus grand mérite consiste à avoir débarrassé l’art culinaire du tape-à-l’œil décoratif, des accessoires superflus et incomestibles qui ornaient encore les plats, fort pittoresques sans doute, mais sans rapport avec la saveur, le goût qui sont évidemment les seules choses qui comptent pour le gourmet.

 

 Il est certain que l’élégance dans la présentation des plats fait partie de l’art culinaire, mais le rococo dans les fantaisies décoratives semble avoir pris au milieu du siècle une telle importance qu’il fallait redresser le sens du goût. Ce fut donc le travail de ces pionniers, associés aux premiers hôteliers.

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4 août 2017 5 04 /08 /août /2017 17:06

Les pionniers de l’hôtellerie, comprend aussi les pionniers de la table, car sans la table, les hôtels ne sont rien. Quand je vois un cinq étoiles, synonyme de palace, je comprends qu’une étoile est pour le coucher, une étoile pour le service, une étoile pour le cadre, une étoile pour le lieu et une étoile pour la cuisine, du moins c’est ce que mon imagination croit. Mais la table, avant les pionniers de l’hôtellerie, était chargée, lourde de choses décoratives, inutiles dans les assiettes. Donc, la cuisine attendait, elle aussi, des pionniers.

Pas plus que l’espéranto n’a réussi à s’implanter comme langue universelle, pas plus il n’existe une « cuisine internationale », nous voulons dire un brouet de toutes les cuisines, et ceci malgré le cosmopolitisme de la clientèle des palaces. Il n’y a donc en cuisine que des spécialités nationales, en plus ou moins grand nombre suivant les pays.

 

Le problème qui s’est posé aux premiers grands hôteliers, c’était concilier la variété et la qualité. On comprendra aisément que le petit repas d’auberge, rustique et familial, aussi savoureux qu’il fut, ne pouvait être servi pour trois cents couverts, sans qu’il prenne le goût d’un frichti de caserne. Ce qu’il fallut inventer, faire aimer et imposer, c’était une nouvelle gastronomie composée d’une sélection de plats des meilleures cuisines nationales : principalement la française et l’italienne.

Après quoi, ce choix de recettes, il fallut le codifier, de manière à ce que le chef se trouve des successeurs, que le maître puisse former des disciples. Car si l’art culinaire est bien souvent empirique lorsqu’il reste l’apanage d’une maîtresse de maison, il doit, dans un grand établissement, s’établir dans la perfection, c’est-à-dire finalement dans le respect absolu de certaines règles, aujourd’hui devenues traditionnelles, mais qu’un certain nombre de cuisiniers de génie ont bien dû inventer et fixer un jour.

 

La cuisine est une question de culture et de vieilles habitudes. La Suisse – avec trois ou quatre régions bien différenciées et vingt-deux cantons, si on y ajoute la chance d’être à la fois le pays du pain, du lait, de la viande, de la vigne et des vergers – ne s’est jamais sentie culinairement isolée.

C’est grave d’être culinairement isolé, par exemple de ne savoir bien réussir qu’un seul plat comme la goulache ou la soupe aux choux. Le roi du hamburger ou le prince du Bircher-Muësli ne pourrait régner bien longtemps au royaume des gastronomes. Donc la Suisse possédait déjà la diversité avec ses nombreuses spécialités locales et d’autre part la chance de rattacher ses plats traditionnels aux grandes cuisines mères voisines.

 

Curieusement, les lois de la cuisine classique, celle qui sera servie dans les plus grands hôtels du monde entier, ont été fixées à peu près à l’époque où voyages et hôtellerie ont commencé à s’organiser : de 1780 à 1900 environ. Presque tous les grands maîtres sont Français, cependant la Suisse joue son rôle, ne serait-ce que par le flair des premiers hôteliers qui surent trouver et s’attacher ces artistes français.

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3 août 2017 4 03 /08 /août /2017 15:51

Une autre catégorie de pionniers, sont les bâtisseurs, les hôteliers architectes.

Nous avons vu que l’hôtellerie naissante touchait à tout : transports, confort, sports, innovations techniques, politique et finance.

 

Mais son premier souci et sa grande passion fut l’architecture. Pas d’hôteliers, nous parlons des grands, qui ne passèrent des nuits blanches penchés sur des plans, en proie à la fièvre de l’architecte.

 

Ce furent donc souvent des autodidactes. Certains avaient du talent, d’autres n’en avaient pas. Tous subissaient le goût de l’époque. Ce genre d’aventure était possible : la profession d’architecte était moins bien définie qu’aujourd’hui. Il était encore dans les mœurs de construire soi-même sa maison.

 

L’homme d’action et d’imagination pouvait imposer, s’il avait le tempérament d’un bâtisseur, de folles constructions qui ne seraient pas toujours autorisées de nos jours par la Commission des sites.

 

D’ailleurs à l’époque même, certains voyageurs sensibles critiquaient l’esthétique des grands hôtels. Adolphe Joanne, guide aussi objectif qu’un guide peut l’être, dans son Itinéraire de la Suisse 1889, au chapitre Gornergrat, note sèchement : « Gornergrat. Altitude 3156 m. Hôtel Belvédère : construit de façon à faire le plus grand tort au paysage. » (Remarque qui apparemment laisse froid Seiler et Cie qui figurent en belle place dans les pages publicitaires du même guide.)

Ce que l’on peut remarquer à propos d’esthétique, c’est d’abord l’extrême conventionnel fin de siècle qui régnait dans l’architecture. Cette époque semble avoir fixé, comme on fixe dans un dictionnaire le sens d’un mot, ce que devait être une gare, une école, une mairie, la maison du garde-barrière, un kiosque à musique, une caserne, une banque. Oui, tout s’est passé comme si quelque mystérieux fonctionnaire, obscur mais tout puissant, dans un dictionnaire illustré, avait représenté une fois pour toutes et dans ses détails, le modèle de ces bâtiments, surtout s’ils sont à vocation publique. Ainsi, l’architecte ou l’amateur n’a plus qu’à recopier, décalquer le patron, considéré comme seul schéma convenable. Il faut absolument, n’est-ce pas, qu’une gare ressemble à une gare (mais qu’est-ce qu’une gare ? pourquoi est-ce obligatoire pour prendre un train d’entrer dans un monument, immensément prétentieux ? et obscur ? glacé, inconfortable ?), une prison à une prison (sinistre, avec une vilaine couleur ; pourtant ce sont les honnêtes gens, ceux qui sont dehors, à qui l’on inflige le détestable gris-vert de cette prison). Voilà, c’est comme ça dans toutes les villes, et peut-être à toutes les époques : la salle de fêtes doit être gaie, le tribunal doit être triste, pour ressembler à « un vrai » tribunal.

 

Et l’hôtel, justement ? A quoi doit-il ressembler ? Après avoir beaucoup réfléchi, le mystérieux fonctionnaire dont nous parlions a dû se dire qu’il ne pouvait ressembler à une auberge de campagne, puisqu’il devait pouvoir accueillir trois cents personnes, et des personnes plutôt riches. Il a donc imaginé qu’il fallait en faire un palais. Avec un peu de franglais, c’était le Palace Hôtel.

Chaque visiteur n’était pas prince de sang, mais enfin pouvait s’imaginer l’être. En bref, ces hôtels devaient être des théâtres, dont l’hôtelier serait le directeur, les employés de zélés machinistes, les rôles d’acteurs restant dévolus à la clientèle, qui jouerait toujours le même rêve fastueux de loisirs et d’opulence.

 

Des hôteliers devenant par la force des choses architectes, il y en a des dizaines, et parmi eux de très ingénieux. Plus rare, mais plus représentatif du tempérament helvétique, est l’architecte qui devient hôtelier. (De même que l’on dit : « Les études de droit mènent à tout, à condition d’en sortir », on pourrait dire en Suisse que « tous les métiers mènent à l’hôtellerie, à condition d’y entrer. »)

Le meilleur exemple d’architecte de talent, c’est Bernhard Simon. Encore un chevrier (vraiment l’hôtellerie doit beaucoup aux chèvres), mais de Suisse orientale, celui-là. C’est un Glaronnais. Il naît en 1816, dans le village obscur de Niederurnen. Son destin d’artiste, de grand concepteur, nous pourrions dire d’urbaniste, mot inconnu à son époque, après mille pérégrinations à travers l’Europe, viendra trouver son achèvement dans son canton natal, à Bad Ragaz, grande station thermale, alimentée par les eaux antiques et voisines de Pfäfers, mentionnées dès le VIIe siècle, oubliées puis redécouvertes autour de l’an 1000 par les chasseurs, les pèlerins et les moines.

 

Au risque de nous répéter (mais c’est l’histoire qui se répète, et les hommes), figurez-vous que lui aussi rêve par-dessus ses montagnes et se retrouve à Lausanne (comme Zuffrey et comme Ritz). Décidément, Lausanne est un lieu de rêve. C’est bien évident : c’est un nœud ferroviaire. Avant de prendre le train, le jeune Simon se fait un bagage : le français, le dessin, les mathématiques, qu’il se paye comme apprenti maçon et dessinateur dans les bureaux municipaux.

Le bagage constitué, Simon prend le train pour Paris, mais sa destination finale est la Russie. Pourquoi ? Les biographes disent : il n’avait que cette idée en tête. (Ou les biographes ignorent la vraie raison ou ils ont au contraire raison.)

 

Après avoir manqué divers bateaux, il parvient à Saint-Pétersbourg et s’attaque à élargir son bagage : apprendre le russe en travaillant comme contremaître chez un architecte.

 

Sa première chance est un concours. Il s’agit d’un asile d’aliénés. Le prix que lui décerne l’Académie impériale des Beaux-Arts équivaut à un diplôme d’architecte, et lui donne librement le droit d’exercer le métier sur tout le territoire de la Sainte Russie. Bernhard Simon succombe sous les commandes, les projets, les propositions de toutes sortes. Malheureusement, la noblesse russe n’ayant pour ses dettes qu’indifférence et mépris, le jeune architecte de Glaris, dans ses habits de cérémonie et ses bottes élégantes, ne vit que de pain et de thé.

 

Sacrifiant ses petits gains à l’allure plutôt qu’à la nourriture, de grands personnages finissent par le remarquer. La princesse R. parle de lui avec enthousiasme au comte T. qui lui confie un grand programme de constructions dans ses propriétés. Simon travaille dans un temps record. Cela se sait. On en parle. En une année, il construit une douzaine de palais pour la haute aristocratie pétersbourgeoise et moscovite.

Bernhard Simon

Bernhard Simon

Tout marche si bien que ce Glaronnais, qui n’a pas encore 30 ans, doit faire venir deux de ses jeunes frères pour l’aider. Il se met dans la poche, en une seule année, un million de francs or.

 

Nommé membre de l’Académie impériale, insigne honneur pour un étranger, il épouse la fille d’un riche commerçant allemand. Son ascension est complète. Il semble destiné à finir ses jours en Russie.

 

C’est un héritage qui le ramène à Saint-Gall. Son oncle Fridolin, qui l’a encouragé dès ses débuts à Lausanne, l’institue légataire universel. (Que ce soit cela ou autre chose, l’intéressant, c’est que tous les aventuriers suisses, ou presque tous, ont un solide fil à la patte qui les relie au pays.)

 

En 1855, donc, âgé de 39 ans, Simon règle ses affaires en Russie et s’installe à Saint-Gall, où on lui confie l’administration des chemins de fer en construction. Ce poste est tenu par lui avec une extrême rigueur. On dit que pas une station, pas un aiguilleur ne pouvait se sentir à l’abri d’une inspection à l’improviste, de jour comme de nuit. Simon est un chef redoutable. Malheur au négligent. Malheur surtout à l’ivrogne, dont les distractions pourraient coûter la vie aux premiers voyageurs.

 

En 1860, Simon s’attaque à l’urbanisme. Il y a quelque chose de visionnaire chez lui. Il voit tout en très grand (est-ce l’expérience russe de ses débuts ?). trop grand souvent pour ses compatriotes. C’est aussi un novateur qui balaie avec pas mal d’insolence les petites traditions locales. Simon est un homme qui n’a cessé d’effrayer les notables, timorés et tièdes, qui, n’osant pas choisir et risquer, préfèrent les solutions mesquines à force d’être raisonnables. Toute proportion gardée, si l’on considère les plans tracés par Bernhard Simon, il y a quelque chose d’un Nicolas Ledoux : monumental, osé, personnel, et pourtant, malgré la démesure orgueilleuse, dépourvu de la cuistrerie et de la redondance si chère aux bâtisseurs de l’époque.

Il travaille d’abord à un plan de rénovation et d’aménagement de la ville de Saint-Gall, qui, par son audace, fait très peur aux autorités. En 1861, le formidable incendie de Glaris lui donne l’occasion, unique dans une vie d’architecte, de tracer le plan d’urbanisme d’une ville nouvelle. Un plan moderne, volontaire, qui reste valable aujourd’hui.

 

En 1868 (et c’est maintenant seulement que l’hôtellerie entre en jeu) Simon propose d’acheter la concession des domaines de Bad Ragaz, comprenant les bâtiments et l’exploitation des eaux, contre l’engagement d’en faire une grande station thermale moderne. Ses plans sont d’une audace extrême.

Tout y est conçu vingt fois, cent fois plus grand, plus luxueux qu’aucune station de ce genre en Europe. C’est un Versailles pour rhumatisants.

 

Autorités et populations sont complètement dépassées. Epouvantées même. C’est un tollé général. Simon, probablement mécontent, ramène son projet à des dimensions plus modestes. A peine les travaux commencés, l’inondation du siècle noie les chantiers. A l’indignation générale, l’architecte-ingénieur-urbaniste ordonne sans autorisation la destruction du remblai du chemin de fer pour permettre l’écoulement des eaux et sauver son chantier. Ce fait divers dépeint assez bien le tempérament du personnage. L’inauguration a lieu en 1870. L’hôtel s’appelle le Quellenhof. Simon s’est admirablement entouré. Joseph Kienberger est un grand directeur ; il l’a engagé plusieurs mois à l’avance et l’envoie, avec Bally, un médecin très célèbre aussi, faire la tournée des capitales. Publicité parlée : organisation de conférences, de rencontres, avec le monde de la médecine et de l’hôtellerie, avec le « grand monde » aussi. A l’ouverture, Bad Ragaz est plein. Désormais toute l’Europe vient s’y remettre de ses fatigues. Dix ans avant sa mort, en 1900, Bernhard Simon remet ses biens à ses trois fils, qui tous les trois œuvreront dans l’hôtellerie. Tant mieux pour cette industrie, dommage pour l’architecture.

Grand Hôtel Quellenhof

Grand Hôtel Quellenhof

Les pionniers de l’hôtellerie en Suisse
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2 août 2017 3 02 /08 /août /2017 18:11

ALEXANDRE II, HERMANN ET JOSEPH SEILER

Des seize enfants Seiler, il faut distinguer trois frères brillamment doués, qui poursuivront l’œuvre de leur père.

 

Tout d’abord Alexandre, dit Alexandre II (très impérial), ou pour les gens du pays : Monsieur Alexandre (plus familier).

 

Ce jeune homme, à ce que nous disent les biographes, a tout pour réussir. Belle prestance, courage (à l’époque de ses études de droit, à Munich, il entre dans la cage aux lions et met sa tête dans la gueule d’un de ces animaux, pour aider un petit cirque ambulant au bord de la faillite), c’est un chasseur, un alpiniste, et un grand politique. En un mot : un personnage.

 

Il étend sans cesse l’empire Seiler, qui n’est pas fait que d’hôtels, mais de fermes, de cultures, transformées en domaines modèles qui fourniront la clientèle en vins, fruits, légumes et viande. Avocat à Brigue, député au Grand Conseil du Valais, puis conseiller national, c’est un lutteur qui ne cesse de se battre pour des idées nouvelles l’opposant au parti conservateur : représentation proportionnelle, égalité du clergé devant la loi, référendum populaire et protection ouvrière.

Alexandre II étant à la fois avocat, politicien, hôtelier et agriculteur, il exerce une influence considérable non seulement sur l’histoire du tourisme en Valais, mais sur la mentalité du Valaisan. Il secoue ses concitoyens, les oblige à choisir entre l’isolement traditionnel et le développement. Il n’a guère le choix, d’ailleurs : l’industrie de l’accueil est en passe de devenir la principale activité du canton. Sans routes, sans chemins de fer, sans agriculture rationnelle, permettant un maximum d’autarcie, il serait aussi stupide de jouer la carte touristique que de se tirer par les cheveux pour s’élever dans les airs. Mais ce que l’on nomme des chicaneurs, et qui sont peut-être tout simplement les mêmes montagnards, petits cultivateurs, qui grognaient du temps d’Alexandre I, ne lui font pas la vie facile. Que d’astuces juridiques il faudra pour exproprier ici et là quelques bouts de terrains incultes pour une concession de chemin de fer, celui du Gornergrat par exemple, dont personne aujourd’hui à Zermatt n’aurait l’idée de contester l’utilité communale.

 

Alexandre II meurt à 56 ans déjà, après avoir lancé l’Office suisse du tourisme, l’organisation « Pro Sempione », destinée à encourager le trafic par le Simplon, cette grande innovation alpine. Devenu président du Grand Conseil valaisan, le fils aîné du marchand de chandelles trouve encore le temps de se battre pour l’entrée de la Suisse dans la Société des Nations.

Hermann est le cadet. Par beaucoup de traits, il ressemble à son frère : avocat, lui aussi, président de la ville de Brigue à 28 ans, pionnier du ski pour lequel il plaide auprès des montagnards, il a le côté entreprenant éclectique si typique du clan Seiler. C’est l’époque du percement du Simplon. Cet ouvrage d’art pose d’innombrables problèmes, notamment sociaux : main-d’œuvre étrangère, surtout italienne, droit du travail, écoles et dispensaires pour les familles d’ouvriers qui s’installent alentour. Jusqu’à sa mort, Hermann Seiler s’occupera de l’hôpital du district et de l’asile de vieillards qu’il a créé. C’est Hermann aussi qui traversera les Alpes en ballon libre avec l’aéronaute Spelterini, ceci pour la petite histoire de la navigation aérienne en Suisse. (Je vous ai déjà parlé ici d’Edouard Spelterini)

Dans l’hôtellerie valaisanne, Hermann Seiler travaille la main dans la main avec Alexandre. Il ne cesse de plaider pour le tourisme hivernal, organise des voyages de presse à Zermatt au plus gros de l’hiver, malgré l’absence de toute route carrossable et l’interruption du trafic par le rail.

 

Cette grande idée ne sera réalisée qu’en 1927. Sa carrière politique aussi brillante que celle de son frère, puisqu’il est conseillé d’Etat, fondateur de la Banque Cantonale, promoteur de l’Ecole d’agriculture, de la Caisse d’assurance contre l’incendie, semble devoir s’interrompre à la mort d’Alexandre. Les affaires familiales ont traversé la période de guerre en y perdant, comme toute l’industrie hôtelière, pas mal de plumes. Il s’y consacre donc. Il passera un quart de siècle à la direction du groupe des hôtels Seiler. C’est un excellent financier. Il sait consolider et moderniser.

 

Mais sans l’avoir spécialement cherché ni désiré, il devient un des hommes les plus sollicités de Suisse. Il succède à son frère au Conseil national et poursuit à Berne la défense des populations montagnardes et du tourisme alpin.

En 1927, il voit enfin réaliser son rêve. C’est en décembre. Un cortège de cinquante traîneaux rassemblés dans les villages de la vallée fait son entrée à Zermatt avec quelque deux cent hôtes britanniques reçus en fanfare par les habitants. Les responsables des communications sont enfin convaincus. Pour Zermatt et les Seiler, une grande bataille est gagnée : le chemin de fer Viège-Zermatt, et le train qui monte au Gornergrat fonctionneront tout l’hiver. Pour la saison 1929-1930, Zermatt ouvre dix nouveaux hôtels. Les lits sont au nombre de 1000. Hermann mourra en patriarche, en 1961, à 85 ans, après avoir encore trouvé le temps de remettre sur pied les affaires de Gletsch, dont Joseph, son autre frère, s’occupait, et surtout d’avoir affronté, sans trop de pertes, l’isolement de la Seconde Guerre mondiale.

Joseph Seiler était l’aîné des seize enfants d’Alexandre Seiler I. C’est lui aussi qui, par l’indépendance de son caractère, ressemblait le plus à son père. Né avant la grande prospérité familiale, il ne put faire des études comme les cadets. Il est dans l’hôtellerie en autodidacte, commerçant à Zermatt, puis organisant son fief dans cet extraordinaire endroit découvert par son père : Gletsch, aux sources du Rhône et au pied du glacier.

 

Le glacier du Rhône, nous le savons, a beaucoup reculé depuis un siècle, et l’Hôtel de Gletsch se trouve bien isolé aujourd’hui, face à la grise et interminable moraine que laisse la patte de glace en se retirant.

 

On peut le regretter, mais personne ne semble penser à ce qui serait arrivé de l’hôtel de Joseph Seiler si à ce même glacier était venue la fantaisie d’avancer d’un kilomètre.

 

En réalité, puisqu’un glacier n’est jamais immobile, le recul était bien préférable. Il a permis d’ailleurs la construction d’un second hôtel, bien plus haut, celui du Belvédère sur la route de la Furka, admirablement situé, et d’où l’on accède aux fameuses grottes naturellement creusées dans les séracs.

Les pionniers de l’hôtellerie en Suisse
Les pionniers de l’hôtellerie en Suisse

A l’époque de Joseph Seiler, l’accès à cette curiosité était toute une affaire. La route de la vallée de Conches, qui remonte le cours du Rhône, n’était pas encore un des grands axes des Alpes. On ne pouvait atteindre Gletsch que quelques mois de l’année seulement, et en diligence.

 

Joseph avait la passion des chevaux. C’était un cavalier excellent, et c’est dans le domaine des transports hippomobiles qu’il orientera les perspectives de son talent de pionnier.

 

Il lui faut donc créer des écuries, posséder des pâturages pour ses élevages, et des véhicules : phaétons, victoria, berlines, conduits par un personnel de qualité. Il faut combiner des relais, des horaires de repas bien au point, de manière à prendre en charge la clientèle de Brigue ou même de Domodossola. Joseph Seiler est une entreprise de voyage à lui tout seul. Son réseau personnel s’étend sur 250 kilomètres. Ses domaines touchent aux frontières bernoises et uranaises. A Brigue seulement, il possède un manège de trente chevaux pur-sang.

Joseph Seiler est aussi, avec Badrutt, un des pionniers hôteliers à comprendre l’intérêt du mobilier et de l’art populaire montagnards. Il collectionne les objets de valeur et fait de l’Hôtel du Glacier du Rhône un véritable musée du meuble valaisan : bahuts, armoires, coffres anciens, plats et channes d’étain, portraits anciens ornent les halls et les salles à manger. Il faut, même si le bâtiment peut paraître au voyageur quelque peu à l’abandon aujourd’hui, y passer au moins une nuit. C’est une atmosphère tout à fait unique. Sombre, boisé, les murs ornés de quantité de bois de cerfs et de chamois, c’est l’allure d’une sorte de rendez-vous de chasse pour un film d’Orson Welles, ou un roman de Conan Doyle.

 

Dans l’histoire du droit, citons encore un curieux procès : Joseph Seiler est bien, je crois, le premier citoyen à avoir acheté un glacier, et quel glacier ! Cette propriété lui étant contestée, il réussira à se faire reconnaître propriétaire de ce monstre par le Tribunal fédéral. J’ignore si aujourd’hui l’hoirie Seiler qui gère les hôtels de Gletsch possède encore le glacier du Rhône.

 

(En réalité, c’est Hermann Seiler qui obtint la confirmation du Tribunal fédéral, de cette propriété.)

[Voilà la fin des pionniers de l’hôtellerie en Suisse, du moins des grands noms, encore en mémoire, dans le collectif de nos concitoyens.]

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31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 17:45

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Par une lecture un peu critique de la relation de ces événements, nous ne chercherons pas à traîner devant un tribunal ces pionniers de Zermatt, mais à comprendre leur comportement.

 

Redisons-le : les hommes de ces vallées avaient une sainte horreur des sommets, infestés traditionnellement non seulement de réels dangers, mais de démons. Risquer sa vie pour y monter devint un moyen de la gagner, rien de plus. Sans Hillary, combien de sherpas népalais auraient tenté l’ascension de l’Everest ? Les gens de Zermatt ne sont pas des idéalistes, et l’orgueil de la performance est un sentiment qui leur est étranger. Quant à Seiler, c’est un homme sensible et pratique. Il prévoit parfaitement ce qu’une victoire par le versant suisse apportera à ses affaires, mais au moment même de la catastrophe, il est réellement consterné. Il ne sait pas encore à quel point les lieux d’une tragédie peuvent attirer le monde. Quant aux alpinistes, Carrel, Croz et Whymper, ainsi que les Taugwalder, ils ignorent encore, étant des pionniers, les quelques lois fondamentales qui sont entrées dans la tradition de l’alpinisme : la solidarité, le fair-play, un certain code de l’honneur. Principes que l’on fait passer trop souvent comme ancestralement attachés aux races montagnardes, et qui, nous le voyons, ne sont pas si anciens.

Il peut être intéressant de comparer le lancement de Saint-Moritz, parti sur l’astucieux pari de Badrutt, et celui de Zermatt, auréolé de tragique. Et cette différence est sans doute plus le fait du paysage que celui des personnages. Tout est plus âpre et plus difficile dans cette haute vallée qu’en Engadine, et les habitants ont le caractère de l’endroit. L’épopée des Seiler ressemble un peu (revolver en moins) à celle d’un western. Le modeste colporteur achète un saloon, puis un hôtel en face. Il casse la concurrence en rachetant les autres saloons, les auberges. Les jalousies grondent. L’homme est un étranger. Il apporte le progrès, mais il vient du dehors. Chicanes et conflits internes (Alexandre Seiler, ce grand patron, se verra refuser la bourgeoisie de Zermatt, après vingt ans de travail de géant dans la commune). La politique est là, empoisonnant tout. Lutte d’influence entre les autorités communales et les projets de Seiler qui durera encore quinze ans. Le Conseil d’Etat ira jusqu’à mettre Zermatt sous tutelle et la faire occuper par des gendarmes pendant six mois. Si l’affaire ne cause pas de morts, comme dans tous bons films de western, les coups de revolvers ne sont pas loin. Les chemins de fer vont eux aussi poser des problèmes, tant celui reliant Zermatt à Viège que celui montant au Gornergrat. Ce n’est pas immédiatement que l’on comprendra l’importance nationale de son entreprise. A la fin de sa vie Alexandre peut recevoir dans ses hôtels de Zermatt (Monte Rosa, Mont Cervin, Riffelberg, Riffelalp et Lac Noir) sept cent hôtes. En plus il aura lancé les stations de Gletsch, Riederalp et Eggishorn. Il emploie cinq cents personnes.

Alexandre Seiler I

Alexandre Seiler I

Mont Cervin Zermatt

Mont Cervin Zermatt

Riffelberg Hôtel Zermatt

Riffelberg Hôtel Zermatt

Hôtel Riffelalp Zermatt

Hôtel Riffelalp Zermatt

Hôtel du Lac Noir Zermatt

Hôtel du Lac Noir Zermatt

Ce n’est qu’au terme de son œuvre que lui viendront de Sion, la bourgeoisie souhaitée, de Berne, les subsides pour les voies ferrées, de ses concitoyens, le respect, l’aide et l’appui définitifs.

 

En effet, le jour de l’année 1891 où le premier convoi atteint Zermatt sur des rails tout neufs, c’est avec la dépouille mortelle d’Alexandre Seiler que le train qui consacre son œuvre reprendra le chemin de la vallée.

 

Ce rude bagarreur a imposé ses idées, son enthousiasme. Les indigènes, qui ne manquaient pas de tempérament, s’inclinent. Même entre Valaisans, il faut bien que les vendettas s’éteignent. Ici, l’extincteur fut la livre sterling.

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