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30 avril 2007 1 30 /04 /avril /2007 22:13
La résistance
 
Au moment où s’affirmait ainsi la volonté de résistance de l’Armée représentée par le corps de ses officiers supérieurs, la cause d’un malaise passager, susceptible de porter atteinte au moral de la troupe et à la confiance du pays, avait été effacée dans des circonstances que je rapporterai brièvement :
Au début de 1940, l’Office central chargé de la lutte contre les menées visant la sécurité de l’Etat, informait la Section de police du Service territorial qu’il existait des listes d’officiers suspects de professer des opinions extrémistes, dangereuses pour l’Armée. Leurs attaches avec les « ligues » ou « fronts » étaient connues ou probables. Ces listes furent remises à la Section de police par les polices communales, cantonales et fédérales. Mais les organes de l’Armée ne purent établir de rapports précis d’après ces listes établies à la hâte et qui s’étendaient aux diverses régions du pays.
Comme aucune mesure, soit policière soit juridique, ne pouvait être appliquée pour tirer les choses au clair, je prescrivis, par ordre secret du 10 mai 1940, d’ouvrir des enquêtes sur les officiers suspects d’appartenir à ces mouvements. Destiné au Chef de l’Etat-major Général de l’Armée, aux commandants de corps d’armée, au Commandant de l’aviation et de la D.C.A., aux chefs d’arme et chefs de service de l’Etat-major de l’Armée, l’ordre était accompagné de listes et de renseignements touchant les suspects. Les destinataires, responsables de l’enquête, devaient veiller à ce qu’elle fût menée par le supérieur directe de l’officier visé, qui procéderait lui-même à l’interrogatoire, en l’informant que l’enquête se fondait sur des indications de la Section de police de l’Etat-major de l’Armée. On exposerait à l’officier suspect que ce n’était pas seulement dans l’intérêt du pays, mais aussi dans son propre intérêt, qu’il importait de tirer son cas au clair. Un rapport final, accompagné des procès-verbaux d’enquête, devait comporter une appréciation sur l’officier – appréciation basé sur le résultat de l’enquête et précisant si, oui ou non, celui-ci était encore digne de conserver sa situation dans l’Armée.
Sur la liste, qui comptait 124 noms, figuraient 11 officiers supérieurs, 14 capitaines et 16 officiers subalternes dits « frontistes » ; 12 officiers supérieurs, 17 capitaines et 54 officiers subalternes dits « nationaux-socialistes » ou « fascistes ».
L’enquête, ainsi qu’on l’espérait, donna un résultat réconfortant. En vertu des propositions faites par les supérieurs directs et par les commandants d’unité d’armée, les noms de sept officier seulement furent retenus. Trois cas furent déférés aux tribunaux militaires ; dans quatre autres cas, on procéda à des mesures spéciales de mise à disposition.
Quant aux 117 autres officiers qui figuraient sur les listes, je les informai, par mon ordre du 24 juin 1940, de la clôture de l’enquête et je leur témoignai ma confiance ainsi que celle de leurs supérieurs.
La majorité des officiers visés comprirent l’objet de l’enquête. Elle permit de constater, comme il ressort clairement des procès-verbaux et des rapports des supérieurs de tout grade, le sentiment très élevé de l’honneur militaire qui régnait dans toutes les classes d’âge, à tous les grades et dans toutes les armes. Ceux qui étaient visés se soumirent à l’enquête en « soldats » et donnèrent franchement les indications qu’on leur demandait sur leurs opinions politiques. Ils eurent, dès lors, latitude de recourir contre toute nouvelle enquête dénuée de fondement.
Le maintien de la confiance, de la discipline et du renom de l’Armée avait rendu cette mesure nécessaire, si pénible qu’elle fût. L’enquête, qui ne dépassait pas le cadre des officiers, était une mesure extraordinaire ; elle ne pouvait pas se répéter. Lorsqu’en avril 1944, le Chef du Département militaire me demanda d’entreprendre une « épuration » dans l’Armée, je n’estimai pas qu’il eût lieu de donner suite à cette demande : elle découlait surtout d’un débat, aux Chambres fédérales, sur le cas d’un officier supérieur condamné pour trahison. Une mesure générale s’appliquant à toute l’Armée, et en particulier au corps des officiers, ne me semblait pas justifiée par ce cas heureusement isolé.
Il fallut prendre encore, dans la suite, contre quelques officiers dits « frontistes », certaines mesures particulières, mais qui se fondaient aussi sur d’autres raisons. Je puis dire que l’Armée, dans son ensemble, comme chacun de ses membres en particulier, s’est abstenue de toute politique, au sens où son devoir le lui interdisait et conformément aux instructions que j’avais données.
 
Je rappellerai encore une certaine « Ligue d’officiers » qui fit parler d’elle en 1940. son objet était, en somme, louable : inquiets, au lendemain de la défaite française, de voir les progrès que le défaitisme pouvait faire dans l’Armée et dans la population, quelques officiers, appartenant pour la plupart à l’Etat-major Général, s’étaient réunis pour échanger leurs appréhensions ; ils craignaient que la volonté de résistance du gouvernement et du peuple suisse ne fléchissent sous l’effet des victoires allemandes. Ils firent « boule de neige » : 37 officiers cherchèrent à créer une organisation qui affirmerait ou confirmerait la volonté de résistance totale de l’Armée envers et contre tous, et qui soutiendrait le Commandement de l’Armée s’il était soumis à quelque pression. Bien que ces officiers se fussent préparés à agir dans l’esprit des ordres d’armée qui prescrivaient de se défendre « en toutes circonstances », il fallut ouvrir contre eux une « enquête en complément de preuves » et prononcer, contre huit officiers, des peines disciplinaires allant de quinze jours d’arrêts de rigueur à la « réprimande écrite », puisqu’ils avaient contrevenu à l’ordre et à la discipline militaires en vertu de l’article 180 du Code pénal militaire. Les autres ne furent pas punis.
Je tiens à remarquer toutefois qu’au cas où la volonté de résistance aurait cédé sous une pression de l’étranger, ces officiers, en refusant d’obéir, n’auraient pas été seulement dans leur droit ; ils auraient accompli leur devoir, qui est celui de tout soldat. ils avaient eu le tort d’agir en secret ; l’eussent-ils fait ouvertement qu’ils n’auraient pas fait l’objet de sanctions.
Rapport du général Guisan 1946
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