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29 octobre 2015 4 29 /10 /octobre /2015 17:19

Leur impatience de se mesurer enfin avec les Russes fut telle qu’ils outrepassèrent leur consigne. Vers 4 heures, les têtes de colonnes du prince Jachwil, formant la droite russe, débouchèrent avec force, sous la protection d’une puissante artillerie, en face des deux régiments suisses rangés en bataille. Au premier coup de canon, dix grenadiers avaient roulé à terre. Trois étaient tués. Les voltigeurs, qui étaient en avant en tirailleurs, se replièrent devant les colonnes épaisses des Russes. Aussitôt les deux régiments s’ébranlèrent vers l’ennemi, se déployant pour moins souffrir du feu de l’artillerie. Sous leur intense fusillade, les colonnes russes s’arrêtèrent ; mais derrière elles une nombreuse cavalerie débouche au galop. Prestement les « habits rouges » se forment en masses et, d’une salve meurtrière, l’arrêtent à soixante-dix pas.

Par la gauche et la droite des Russes, de nouvelles forces entraient en ligne, et la situation des deux régiments devenait si périlleuse, que le général Merle leur fit porter l’ordre de battre en retraite. Mais les Suisses étaient trop engagés pour reculer alors. Afin de se donner de l’air, ils formèrent des colonnes d’assaut et attaquèrent à l’arme blanche ; car, suivant le mot d’un des héros de cette journée, le capitaine vaudois Louis Bégos, « l’attaque à la baïonnette était le moyen le plus prompt et le plus énergique pour reprendre l’avantage. »

C’est sur ces entrefaites que l’aigle du 2e régiment fut sauvée par Bégos. Il venait de la prendre des mains défaillantes du porte-drapeau, blessé grièvement, et allait la confier à son jeune frère Frédéric, sous-lieutenant au même régiment. Mais le capitaine thurgovien Muller, que Bégos avait auparavant suspecté de couardise, s’en saisit et s’élance aussitôt devant le front du régiment qu’il appelle à le suivre. À cinquante pas des Suisses, il tombe frappé à mort.

Pour sauver l’aigle, honneur du régiment, le capitaine Bégos rampe sous la grêle des balles jusqu’au corps de son camarade, retire à grand-peine l’étendard que celui-ci recouvrait, et revient toujours rampant. Il échappe ainsi à une mort presque certaine.

Il fallut cependant songer à reculer.

Ce fut beau comme la retraite de Marignan, de cette beauté très haute des luttes épiques, où l’homme le plus ordinaire trouve en lui l’âme d’un héros.

Assaillis par au moins quinze mille Russes, les Suisses et les Croates, qui avaient suivi le mouvement par la gauche, se retirent sous un feu d’enfer, par échelons et au pas d’exercice, tenant en respect l’ennemi. Soudain la cavalerie russe les charge derechef à grands cris. Aussitôt les carrés se reforment en ordre parfait. La trombe arrive jusque sur les baïonnettes. Les chevaux bondissent, se cabrent, rebondissent comme pour franchir la muraille d’acier qui les arrête. Vains efforts. La cavalerie fait enfin volte-face, court se reformer en arrière. L’artillerie et l’infanterie, qu’elle a démasquées à nouveau par ce mouvement en profitent pour recommencer leur feu sur les Suisses au coude à coude, qui reculent en combattant toujours.

Une troisième fois encore, toute la cavalerie de Jachwil se précipite sur nos braves. Les rangs s’éclaircissent. On serre au centre. L’héroïque troupe ne forme bientôt plus qu’une masse qui va ployer sous la rafale de fer et de feu, quand la voix puissante du vieux colonel Raguettly domine par deux fois le tumulte : « Soldats, tenez ferme ! Ne cédez pas, tenez ferme ! » Épuises par ce combat qui dure depuis bientôt deux heures, ces hommes, galvanisés à cet appel, font un suprême effort et repoussent cette charge. Ils atteignent enfin le ravin de la Polota qui les met à couvert.

Pendant ce temps, le 4e régiment suisse venait se placer devant les remparts pour recevoir sous son feu l’infanterie ennemie. Il était temps. Beaucoup de Russes avaient réussi, malgré une canonnade terrible, à gagner le ravin inférieur de la Polota en poussant de ce côté dans la Duna les Croates et quelques Suisses, soit l’extrême gauche de la brigade, partiellement rompue par la cavalerie grâce à une ruse de guerre, au dire de Bégos*.

* C’est sans doute à propos de cette reculade, que le général baron de Marbot, dans le tome III de ses Mémoires (page 112), accuse les deux régiments suisses (et la légion portugaise) d’avoir fui devant les Russes jusque dans les eaux de la Duna, plaçant ce fait à la date du 17 août, soit lors de la première attaque des lignes françaises sous Polotzk par les Russes. Or, ce jour-là, les Suisses étaient de réserve et n’entrèrent pas en ligne de combat. Il y a donc, en tout cas, erreur de date. Mais il y a aussi erreur de fait. Même en admettant, comme nous le faisons, qu’il s’agisse du combat du 18 octobre, il ne saurait être question, à cause de la concordance de tous les témoignages autorisés, d’admettre un seul moment la version d’une fuite des deux régiments suisses engagés à ce moment. Leur retraite si ferme étonna même les officiers russes et provoqua l’admiration de tous ceux qui en furent spectateurs.

Nous n’aurions pas relevé ce point, après la réponse si documentée faite à ce passage des Mémoires par le colonel Lecomte, dans son ouvrage spécial (Les Suisses au service de Napoléon Ier), si la valeur littéraire incontestable de l’ouvrage du brillant général ne semblait, aux yeux de nombreux lecteurs, garantir pleinement sa valeur historique, beaucoup moindre en réalité.

Marbot avait contre les Suisses un parti-pris évident. – Non seulement, par exemple, il ne souffle mot de la part si grande prise par eux au rétablissement de l’ordre, après le raid audacieux des cavaliers russes dans les lignes françaises, au soir du 18 août, mais il énumère les Suisses parmi les premiers fuyards dans la panique, - ce qui est une affirmation tout à fait sans fondement. Ailleurs il tait complètement leur belle conduite sous Polotzk, le 18 octobre ; et pour leur retraite de nuit, le 19, il ne trouve pas un mot, pas une allusion. Chose plus étrange encore, il ne fait aucune mention de leur superbe sacrifice au passage de la Bérésina. Il y était pourtant, comme à Polotzk, et il a pu voir de ses yeux. D’ailleurs l’historien Thiers n’en dit pas davantage.

Marbot découvre son parti-pris quand il déclare (III, 227) que… « les troupes des alliés restèrent toujours médiocres, et ce furent elles qui, pendant la retraite, portèrent le désordre dans la Grande Armée. » Sans vouloir retourner cette proposition, on peut affirmer que la bravoure et la discipline ne furent nullement l’apanage des seuls troupiers français. Polonais et Bavarois, Allemands et Croates, Italiens et Hollandais, tous, comme les Suisses, se sont distingués à l’occasion de la manière la plus avantageuse. Aussi est-il grandement injuste d’accuser les non-Français, comme Marbot l’a fait. Le marquis de Chambray (Expédition de Russie, III, p. 72) remarque d’ailleurs expressément « que plus des trois quarts des troupes qui combattirent à la journée de la Bérésina étaient des troupes étrangères. »

Déjà l’infanterie ennemie escaladait la pente opposée du ravin, sous les retranchements qui formaient de ce côté l’enceinte de la ville.

Arrivés aussi près du but, les Russes s’y accrochèrent avec acharnement, et un dernier et furieux combat se déroula sur ce point. Une première fois repoussé, l’assaut fut recommencé encore ; mais enfin il échoua devant la ténacité égale des Suisses et des Croates. À la faveur de la nuit tombante, les Russes se replièrent vers les bois. Ils laissaient quinze cents cadavres aux abords de la Polota et des remparts de la ville.

Profitant de cette retraite, quelques cents volontaires suisses furent en avant des lignes relever les blessés pour qui l’on craignait, avec raison, la visite nocturne des Cosaques. D’autre part le capitaine Forrer apercevant des Bavarois, 200 à 300 environ, qu’une escorte russe emmenait prisonniers, se porta rapidement vers eux avec une poignée de grenadiers et les délivra.

Quels vides dans les rangs au soir de cette ardente bataille ! Au total, les deux régiments suisses engagés avaient perdu 450 tués et 700 blessés environ, dont une cinquantaine d’officiers, soit plus de la moitié de l’effectif ! Parmi les officiers tués, on relève les noms des Vaudois Gross, Boisot, Lombardet, et parmi les blessés Ganty, qui mourut plus tard de ses blessures à l’hôpital de Wilna, de Camarès, Besencenet, Grivat, Pingoud, Melune, de Belmont, de Riaz.

La nuit suivante fut tranquille. On se remettait de part et d’autre, dans l’attente d’une prochaine reprise de la lutte.

A suivre...

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