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21 juillet 2017 5 21 /07 /juillet /2017 16:00

César Ritz

Il naît la même année que Michel Zuffrey, en 1850, dans le petit village de Niederwald, vallée de Conches. Son père est président de la commune. Les Ritz ne sont pas riches, mais ils sont cultivés. Une génération d’ancêtres, de Brigue à la Furka, et tout au long du Rhin, ont peuplé les chapelles d’admirables autels baroques. Les Ritz sont des imagiers de renom, et peut-être que le jeune César a hérité d’eux le goût du faste, de la perfection, gages de sa célébrité.

 

En attendant, César se rend à l’école communale, en apportant ses trois bûches, comme chacun. En été, il garde le bétail, et rêve à ce qui peut bien se trouver de l’autre côté des montagnes. Il faut souligner l’importance de la montagne sur l’imagination. Le grand humaniste Thomas Platter, de Grächen, au-dessus de Viège, Schiner, le futur cardinal, tous, au départ, ont eu ce tenace besoin de s’évader, pour voir ce qui se passe derrière les hautes murailles du décor natal.

« On devrait le mettre au collège », dit Mme Ritz (en même temps que Mme Zuffrey, puisque ces deux pionniers sont contemporains). César s’y refuse absolument, du moins jusqu’à l’âge de 12 ans, où il finit par apprendre, à Sion, des rudiments de français et d’algèbre.

 

Il y reste trois ans. Ses progrès sont maigres. C’est un cancre. Son père se fâche : ce gamin n’arrivera jamais à rien, il est temps qu’il travaille. Le voilà placé comme garçon de café à Brigue, Hôtel des Trois Couronnes et de la Poste. Au bout d’un an, tout va de travers. Le patron, Joseph Escher, excellant pionnier de l’hôtellerie, mais qui ne devine pas le talent du garçon, le convoque : « Tu n’arriveras à rien. Dans l’hôtellerie, pour réussir, il faut du flair. Permets-moi de te dire que tu n’en as aucun. » César Ritz n’ose plus rentrer chez lui, après ce nouvel échec.

Il trouve du travail à l’économat d’un séminaire de jésuites, à Brigue. L’économe est un ivrogne qui charge le malheureux garçon de toutes les erreurs qu’il commet. César l’envoie au diable. Il a 17 ans. Il apprend par les journaux que s’ouvre à Paris l’Exposition universelle. Il grille ses dernières économies en prenant un billet de train.

 

Jusqu’à présent, il y a beaucoup de parallèles dans sa vie avec celle de Zuffrey.

A Paris, son existence ne change pas du jour au jour. Au contraire. Ses débuts seront assez lents et difficiles. Il commence par le bas. Frotteur de parquet et cireur de chaussures à l’Hôtel de la Fidélité, puis porteur, enfin, garçon d’étage. Il sert les petits déjeuners. Tâche peu commode pour un jeune homme, plutôt bien fait de sa personne. L’inévitable (et banal) scandale arrive sous l’apparence d’une baronne russe. Intrigue d’amour. César Ritz est chassé de l’établissement.

 

Il ne se décourage pas et décide d’apprendre vraiment le métier dans un hôtel de toute première qualité. Il choisit l’établissement le plus élégant de Paris, Le Voisin.

C’est au Voisin qu’il fera l’apprentissage le plus important pour un hôtelier qui a l’ambition de voler un jour de ses propres ailes : celui du monde et du beau monde : Sarah Bernhardt, Alexandre Dumas fils, George Sand, Théophile Gautier, bien d’autres illustres Parisiens fréquentant l’endroit. César Ritz n’a que 20 ans. C’est au Voisin qu’il apprend vraiment ce que l’on nomme « les belles manières », l’ABC du métier. La carrière d’hôtelier ressemble un peu à celle du marin. Il faut bien, avant de passer capitaine, avoir été simple matelot. Ritz joue donc au mieux son rôle de parfait domestique. Etre un laquais bien stylé, correct et discret, silencieux, prévenant, n’est pas forcément un personnage facile à jouer, lorsqu’on est jeune, impatient et poussé par une ambition qu’il faut se garder de montrer. Il observe, fait ce qu’on lui dit, imagine en secret, sans indisposer personne.

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[Remarquez, dans cette biographie, pas un mot sur, par exemple, une lettre à ses parents, qui devaient être morts d’inquiétude. J’espère qu’il a eu la délicatesse d’écrire une ou deux lettres rassurantes, durant cette période.]

Mais il n’est pas pressé. Il devine que l’hôtellerie devient maintenant une affaire universelle. A Vienne, il sert toutes les têtes couronnées du moment : l’empereur d’Allemagne, le Kronprinz, Léopold de Belgique, le tsar et la tsarine, le roi d’Italie, von Moltke, Bismarck.

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Il s’occupe avec succès du Grand Hôtel de Nice. Engagé au Righi-Kulm, c’est dans ce haut lieu du tourisme qu’il rencontrera sa chance : l’original colonel-hôtelier-architecte Max Pfyffer lui confie la direction du formidable Grand Hôtel National de Lucerne. César Ritz y fait venir le plus célèbre chef du moment : maître Auguste Escoffier dont il entendait parler comme garçon d’étage, à Paris. Ces trois hommes se complètent parfaitement. Pfyffer, c’est l’original aristocrate qui a le sens du faste, Ritz, l’organisateur et le novateur sur tout ce qui concerne l’accueil : décoration, style du personnel, chauffage et confort (Ritz, c’est l’homme des salles de bains et de la propreté, il bouleverse les notions d’hygiène, jusqu’ici habilement évitées dans l’hôtellerie), la cuisine d’Escoffier enfin attire toute l’Europe. Une Europe qui n’a pas oublié, à Paris, ou à Vienne, l’atmosphère que César Ritz fait régner dans les hôtels qu’il dirige. C’est à cette époque que l’on commence à dire de lui : « L’hôtelier des rois et le roi des hôteliers. »

César et Marie-Louise Ritz en 1888

César et Marie-Louise Ritz en 1888

César Ritz dirige le National en été, un hôtel de Menton durant l’hiver. Il fait cela pendant onze ans, où il donnera la pleine mesure de son génie. Le petit garçon d’étage, natif de Niederwald, est devenu un maître à penser de l’hôtellerie. De toutes les capitales d’Europe, on vient chercher ses avis, sa collaboration, ses conseils, activités qui ne l’empêchent d’être à la tête d’un nombre impressionnant d’hôtels.

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Sur ce temps-là, Mme César Ritz nous confie dans l’ouvrage qu’elle a consacré à son mari :

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« Pendant ces dix années, les malles de César ne furent jamais complètement défaites. Il arrivait constamment d’un voyage pour en entreprendre aussitôt un autre. Chaque année voyait naître un nouveau projet, chaque mois provoquait une nouvelle crise, une nouvelle lutte ou un nouveau triomphe. Jusqu’en 1893, les itinéraires de César variaient peu, il se rendait de Londres à Cannes ou à Baden-Baden, puis, pendant trois ans, de Londres à Aix-les-Bains et à Rome, ensuite à Francfort-sur-le-Main, Lucerne, Monte-Carlo et Biarritz, enfin à Londres, Salsomaggiore et Paris. C’est alors qu’il organisa le personnel et dirigea le Savoy et le Carlton de Londres, le Grand Hôtel de Rome, le Frankfurter Hof de Francfort, le Grand Hôtel des Thermes à Salsomaggiore ; c’est alors qu’il déploya son activité et prêta son nom à des établissements de divers genres tel que la Villa Igiea, le Grand Hôtel de Palerme, le Restaurant Ritz à Biarritz, le Claridge et le Hyde Park Hôtel de Londres, le Kaiserhof et les bains Augusta Victoria, à Wiesbaden ; qu’il continua à s’intéresser au Grand Hôtel de Monte-Carlo, au National de Lucerne, au Grand Hôtel des Iles Britanniques à Menton, qu’il fonda la Société d’expansion hôtelière qui conçut immédiatement les plans de divers établissements au Caire, à Madrid, à Johannesburg. »

César Ritz. Le colonel Maximilien-Alphonse de Pfyffer d'Altishofen. Auguste Escoffier.

César Ritz. Le colonel Maximilien-Alphonse de Pfyffer d'Altishofen. Auguste Escoffier.

C’est ainsi qu’il s’attaque à ce qui sera la signature de son œuvre : la transformation du 15 de la place Vendôme, à Paris, en un hôtel qui portera désormais son nom, et dont il dira à sa femme : « Je ne connais rien du tout au fond, à l’architecture, et pas tellement non plus à la décoration. J’improviserai. Tout ce que je veux, c’est que ce palais soit à la fois élégant et rationnel, mais je n’ai aucune idée sur les moyens à utiliser pour y parvenir. »

Ouverture du Ritz en 1898

Ouverture du Ritz en 1898

Les pionniers de l’hôtellerie en Suisse

Pour l’inauguration, tout Paris était là. Il est vrai que depuis des années, César Ritz savait soigner ses relations publiques : il n’avait jamais laissé un client quitter ses établissements sans lui envoyer une lettre personnelle quelques jours après. Ce fut un succès complet. Toutes les « Belles » de l’époque s’y étaient donné rendez-vous. Marcel Proust aussi était là, au milieu des princesses.

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Ritz se retrouvait au lieu de ses débuts. Sa carrière était achevée. Il n’en continua pas moins à prodiguer ses conseils partout. Il meurt en 1918, âgé de 68 ans. Il est l’exemple d’une aventure personnelle, celle d’un tempérament d’artiste. Beaucoup plus que celle d’un grand homme d’affaires, comme nous en verrons d’autres en Suisse, dont les carrières sont étroitement liées au développement d’une région, aux luttes politiques aussi.

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César Ritz, c’est d’abord l’histoire du talent, allié à une très grande séduction ; pourquoi ne pas le dire, il était beau, et il le savait.

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