750 grammes
Tous nos blogs cuisine Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Rechercher Un Mot

Archives

Articles RÉCents

Liens

18 août 2007 6 18 /08 /août /2007 14:37
Publier sous le titre de « La Suisse inconnue » une photographie de Königsfelden, c’est se moquer, semble-t-il, de tous nos lecteurs qui possèdent quelques notions d’histoire. Chacun sait que c’est là que fut assassiné Albert Ier,  empereur d’Allemagne, et chacun se souvient d’avoir aperçu en passant dans la région de Windisch, la flèche de l’église, et d’y avoir vu étinceler une couronne. (Si vous êtes passé par là !)  Mais interrogez vos connaissances, et vous serez peut-être étonnés de constater qu’il existe des habitués des routes argoviennes qui ne se sont jamais arrêtés à Königfelden, où resplendissent dans leur éclat primitif les plus beaux vitraux du moyen âge de notre territoire.
 
Königsfelden qui se trouve sur la route Bâle Zurich, mérite ce que les automobilistes appellent volontiers « une grosse perte de temps ».
 
La région du confluent de l’Aar, de la Reuss et de la Limmat est certes l’une des plus jolies du plateau suisse ; chaque position importante est marquée d’un château ou d’une ruine (Lenzbourg, Brunegg et Wildegg, Habsbourg, Auenstein, Biberstein et Wildenstein). Lorsqu’on descend du Bötzberg, le regard embrasse tout ce vaste paysage boisé ; au-dessus de la Habsbourg a de la peine à émerger des arbres malgré les créneaux qu’on a eu la gentillesse de lui reconstruire au siècle dernier.
Après avoir traversé le pont d’où la ville de Brugg tire son nom, on passe sous la « Tour noire » dont la base a été très probablement construite (comme d’autres châteaux et églises des environs) avec des pierres provenant de la cité romaine de Vindonissa, la capitale de l’Helvétie orientale, détruite par les Alamans au Ve siècle. Tous les restes romains mis à jour par des fouilles ont été réunis dans un musée local ; le grand amphithéâtre au sud-est de Brugg témoigne de l’importance de cette ancienne capitale (il contenait dans ses gradins 10 000 spectateurs).
 
L’église de Königsfelden
Dès que vous avez franchi le porche, vous êtes l’hôte des Habsbourg ; leurs tombeaux sont vides depuis que l’impératrice Marie-Thérèse a fait transporter les corps à St-Blasien dans la Forêt-Noire (1770), d’où ils ont passé plus tard en Autriche ; cela ne les empêche pas d’être partout présents dans cette église qui fut leur sanctuaire familial. Il faut sans doute chercher l’origine de cette illustre maison en Alsace et dans le Brisgau, mais c’est en Argovie qu’elle fonda sa puissance politique. Ce n’est que sous le Grand Rodolphe que le centre de gravité des possessions des Habsbourg tend à se déplacer vers l’est ; à l’ouest. Rodolphe agrandit son domaine par l’héritage des Kybourg et par des achats, mais il se heurte en Romandie à un puissant voisin, Pierre de Savoie, comme lui habile « assembleur de terres ». Bientôt ce sont également les Waldsaetten, puis les communes urbaines suisses qui, imbues de liberté, s’opposent victorieusement à la politique d’annexion et de domination des Habsbourg. Le choc décisif se produira à Sempach ; puis la dynastie abandonne ses vieilles terres d’Argovie (1415), un demi-siècle plus tard la Thurgovie ; et au moment où la maison prend le rang de grande puissance, elle perd ses dernières possessions en Suisse.
Le meurtre de l’empereur Albert, le 1er mai 1308, se place à l’époque où les Habsbourg étaient encore solidement établis sur notre sol, et où les ambitions les plus folles leur semblaient permis. Moins souple dans sa politique que son prédécesseur Rodolphe, Albert avait cependant continué son œuvre avec la même ténacité. Les conjurés de Windisch avaient des griefs personnels contre l’empereur, en particulier le duc Jean, son neveu, qui n’avait pas reçu sa part d’héritage, mais ils étaient aussi soutenus par d’autres mécontents. Albert chevauchait de Baden vers Rheinfelden, d’où son épouse était partie pour venir à sa rencontre, et il s’apprêtait à passer le pont de Brugg lorsqu’il fut assailli par le duc Jean et ses complices, et assassiné ; il paraît que la dernière croisée du cœur de l’église de Koenigsfelden se trouve au-dessus de l’endroit exact où il expira. Jean parvint à passer les Alpes, déguisé en moine ; la suite de sa vie est obscure ; peut-être est-il mort à Pise, dans un couvent d’Augustins, ou bien dans une prison de Henri VII. La vengeance fut effroyable. Elle ne frappa pas seulement les conjurés, comme ce Rodolphe de Wart, reconnu et pris en France, alors qu’il se rendait à Avignon pour implorer l’absolution papale, et qui fut traîné sur la place de Brugg derrière un cheval, puis agonisa pendant trois jours et trois nuits, sur la roue, dit-on, les membres brisés, tandis que son épouse priait auprès de lui ; les parents – souvent innocents – des meurtriers eurent également à subir les fureurs des Habsbourg ; on brûlait les châteaux, on massacrait les garnisons. Mais en même temps, Elisabeth, veuve d’Albert Ier, fonda le double couvent de Königsfelden, pour perpétuer le souvenir de l’empereur défunt. Des sœurs Clarisses (Les nonnes de l’ordre de St-François d’Assise) et des frères Franciscains devaient y élever des prières incessantes pour attirer la bénédiction divine sur la dynastie et effacer par leur piété la tache du crime. Plus rien ne subsiste des deux cloîtres gothiques, ni de la tour qui garnissait l’entrée du couvent (elle fut détruite vers 1870, on se demande pourquoi) ; le célèbre trésor fut fondu et transformé en monnaie par les bernois, lors de la Réforme, et la décoration détruite ; un autel se trouve maintenant au musée de Berne. Nous savons qu’en 1330, lorsque l’évêque de Constance consacra le chœur de Koenigsfelden à la Vierge Marie, cette église était un bijou d’une rare beauté.
Il reste heureusement l’essentiel : les vitraux du cœur. En pénétrant dans le chœur, nous nous trouvons soudain dans un monde à part où règnent de violentes couleurs, réunies en un équilibre dangereux par la main d’un artiste magicien ; il est difficile de résister à une sorte d’envoûtement qui suit l’éblouissement des premières secondes. Cela n’est pas un « effet sur commande » ; la vie des vitraux est mystérieuse, et ils sont sensibles au moindre changement de lumière ; un jour de grand soleil, ils vous ennuieront peut-être ; ils ne livrent les secrets de leur beauté que dans certaines conditions. Si vous avez la chance de les surprendre au soir d’une journée grise, alors que l’église est plutôt sombre, vous assisterez à des miracles de couleur. Bien sûr, nous ne sommes pas à Chartres ; mais ce que nous avons sous les yeux à Koenigsfelden, c’est ce que l’art du vitrail pouvait offrir de plus réussi au début du XIVe siècle. C’est encore une belle époque. Chaque morceau de verre est d’une seule couleur. Les fenêtres forment autant de mosaïques où les rouges, les verts, les violets et les jaunes sont ordonnés selon la loi de l’alternance, mais surtout selon les lois qu’impose à l’artiste sa sensibilité. On remarque, par exemple, cette alternance dans les fenêtres 10 et 11, qui se font face ; dans la première, le fond de chaque médaillon est bleu et l’extérieur rouge, dans la seconde, l’intérieur est rouge et l’extérieur bleu. Vers le fond du cœur une telle alternance eût rompu l’unité de l’ensemble, aussi les couleurs des fenêtres 2 et 3 sont elles symétriques. La composition est remarquable : jamais la fantaisie et le mouvement ne brisent l’harmonie d’une fenêtre ; et jamais la rigidité architecturale n’écrase le mouvement des figures. Ces mêmes vitraux qui ont grande allure de loin, vous révèleront une foule de détails charmants, si vous vous approchez... les attitudes sont solennelles, les gestes gauches ; le dessin est sobre, et jamais mièvre. Sur les 11 fenêtres, deux ont été presque complètement détruites (9 et 5) ; les parties restaurées portent toujours la date de l’exécution. Au pied de chaque fenêtre se trouvent des ducs et duchesses de Habsbourg, ou bien des groupes inattendus comme celui de la fenêtre n°1 où l’on voit trois personnages endormis : Noé sous la vigne, le patriarche Jessé et Adam pendant l’extraction de la côte.
Voilà, c’est un lieu à visité car chargé d’histoire.
 habsbourg-02.jpg

AG.gif
Texte tiré de « La Suisse inconnue » propositions de voyage. TCS 1941
Partager cet article
Repost0

commentaires