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5 novembre 2007 1 05 /11 /novembre /2007 16:25
Vendredi 21 mars 1975
 
Je m’habillai et me recouchai sur le lit, la tête sous le drap. J’avais peu dormi, mais profondément, et j’étais encore somnolente. La porte s’ouvrit. Un visage soigné et arrogant ainsi qu’un doigt m’indiquaient une direction : cela signifiait que je devais y aller. Ah ! Devant la porte de la cellule, il y avait une table avec quelques écuelles contenant du café au lait. Je reçus une tranche de pain noir et un « emballage hôtel » de confiture, et je me retrouvai à nouveau seule dans la cellule. Le café au lait était tiède et plein de peau – le premier jour, on ne peut pas l’avaler.
 
Pour la première fois, j’examinai systématiquement la cellule. La fenêtre était très haute : impossible de regarder dehors. La table fixée à la paroi et le banc me rappelaient les représentations médiévales du cachot. Tout était en métal brut. La cellule, d’environ quatre mètres de haut, était étroite et couverte de slogans, de noms et de dates gravées. Je la mesurai en pas : environ trois mètres cinquante de long (sept petits pas), et deux mètres de large. Juste derrière la porte, les WC, l’évier et le lit. De l’autre côté, une armoire murale petite mais très haute. Au toucher, je reconnus un rouleau de papier WC, un paquet de bandes hygiéniques et un gobelet de plastique. Ah, ah, pensais-je, une cellule de femme. La fenêtre, une imposte fermée par des barres de fer, s’ouvrait et se fermait au moyen d’une tringle qui y était suspendue.
 
La porte s’ouvrit : un nouveau visage – le gardien-chef ? Il grogna : « Pourquoi n’avez-vous pas fait le lit ? ». Je ne l’avais pas fait car je n’avais pas la moindre idée du temps disponible, et je le lui dis. J’eus droit à une explication : plier les couvertures et les draps, rabattre le lit, le fermer (une cheville de métal s’enfile dans la fermeture murale), tout ranger par-dessus, avec l’oreiller. Tout faire, y compris la mise en ordre de la cellule, jusqu’à sept heures au plus tard et ne pas oublier de balayer, (pour cela on m’indiqua la balayette et la pelle à ordures qui se trouvaient derrière les WC – comme si on avait pu les trouver soi-même). La cellule comptait en outre une étroite table basculante, un banc rabattable et un miroir métallique (complètement tailladé de noms et de slogans) qui me renvoyait mon image ondulée, comme les miroirs déformants dans les baraques foraines. Il n’y avait pas d’interrupteur. Dans la porte : un judas d’au moins un centimètre et demi de diamètre, à travers lequel je voyais distinctement une partie de la porte d’entrée du couloir, - parfois je voyais le gardien – et une fois un prisonnier avec une jambe dans le plâtre.
 
Dans la cellule il faisait très froid. J’avais un pantalon, un pull et la « veste de fourrure » que durant les quarante jours suivants je n’enlevai pratiquement plus. Et je grelottais. Au coin de la porte se dressait une épaisse colonne émaillée de deux mètres de hauteur : le tuyau du chauffage. Ce tuyau devint mon refuge, ma deuxième épine dorsale : je pris l’habitude de m’y chauffer les mains, le dos, le ventre et le nez et d’y rester plantée des heures. Mais je passais l’essentiel de mon temps à marcher de long en large. J’essayais de réfléchir à nouveau de façon « ordonnée », mais le carrousel des pensées se remettait en marche et je ne réussissais même pas à mener au bout une seule pensée. Il était clair que j’étais en taule, qu’ils avaient mon nom et que l’autre femme aussi était enfermée (peut-être dans la même prison ?). J’essayais alors de regarder par le judas à chaque bruit du « dehors » ; mais très vite j’entendis la voix d’un flic (voix que j’entendis souvent par la suite) : « Mais elle regarde dehors, couvrez donc le trou ». Et déjà le trou était inutilisable.
 
Il ne me restait que les oreilles.
Je ne pouvais me décider à rabattre la table et le banc et à m’asseoir. Mais pourquoi ? Il est vrai que j’étais fatiguée, mais l’idée de m’y asseoir en somnolant me répugnait ; je le voyais sans doute comme une façon d’accepter déjà une partie des règles de la captivité. En outre, je n’avais absolument rien : ni morceau de papier, ni crayon, ni livre, ni journal – ni rien avec quoi j’aurais pu graver la paroi, le plancher ou le miroir. Mais qu’utilisent donc les autres prisonniers pour graver tous ces slogans ?
 
Il y avait une sonnette dans la cellule, j’entendais que les sonnettes étaient fréquemment utilisées, et je me demandais ce que les prisonniers pouvaient bien exiger ou demander lorsqu’ils sonnaient le gardien. Je me disais quoiqu’il en soit je ne mettrai jamais la main à cette sonnette, en aucune circonstance je ne sonnerai un gardien (il en fut ainsi jusqu’à aujourd’hui sans que je sache pourquoi ; c’est simplement le refus de cette institution en général, à ce que je crois).
 
J’entendis des bruits de vaisselle. Ma porte s’ouvrit. A nouveau, on m’indiqua l’extérieur du doigt ; à nouveau je me dirigeai vers la table et remarquai à cette occasion qu’à ce dernier sous-sol il n’y avait que trois cellules. Je reçus une écuelle de soupe, une assiette de je ne sais quel mets indéfinissable, et cette fois j’eus aussi une fourchette. Grâce à elle, je gravai pour la première fois un petit trait sous le rebord de la fenêtre. Je mangeai de la soupe, car elle était chaude. A part un peu de soupe je n’avalai plus rien durant les quarante jours suivants, mais cela je ne le savais pas encore, à ce premier repas au cachot. Environ vingt minutes plus tard, on ramassa les assiettes, écuelles et services.
Pour ce « repas », j’avais bien entendu rabattu la table et le banc, mais maintenant je recommençais à marcher de long en large. Très régulièrement, j’étais observée par le judas. Alors que je n’entendais pas les pas qui, de l’extérieur, s’approchaient de la porte de la cellule, je remarquais le glissement de la feuille de papier qu’on avait agrafée de l’extérieur devant le judas. Le fait d’être sans cesse observée m’empêcha d’abord naturellement d’utiliser les toilettes. Et puis je sentais le besoin pressant d’une brosse à dents – mais ce besoin disparut bientôt, comme l’envie d’une cigarette.
 
Soudain je fut arrachée à mes pensées, qui ne me laissaient aucun répit : la porte s’ouvrit, l’inévitable index de flic m’indiquait la direction. En sortant du cachot, on m’emmena par un corridor où passaient même des civils – puis, en bas, on repassa par le labyrinthe de la nuit précédente. On allait sans doute chez le procureur de la Confédération. Déjà je me réprimandais : tu ne t’es pas concertée sur le refus de parler, simplement ne cède pas ; ne prononce pas le moindre mot, ne dis rien. En même temps, j’essayais de m’imprégner du labyrinthe, puis des couloirs et des escaliers – jusqu’à ce que nous fassions halte devant une section appelée « service des identifications ». Ah, ah ! Donc pas de procureur. D’ici, au moins, je jouissais de la vue de maisons, d’arbres et de neige, le soleil brillait. De plus il faisait chaud. J’étais dans un bureau, ou plutôt dans la pièce stérilisée genre laboratoire, tout autour : des télex ou appareils semblables. Les flics portaient des blouses blanches.
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