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16 novembre 2007 5 16 /11 /novembre /2007 21:55
En revenant à la cellule, je voulus vérifier cela auprès d’un gardien – naturellement il n’y avait personne. Le flic claqua la porte, et je commençai à repenser à cet interrogatoire. Je n’avais pas appris grand-chose, ils avaient fait une foule d’allusions et toujours répété « parlez, nous savons déjà tout ». Mais on ne m’avait posé que des questions concrètes et d’ordre général : des dates, les motifs de mon voyage en Suisse, mes amis, etc. On ne m’apprit rien au sujet d’autres camarades arrêtés.
 
L’heure du déjeuner était arrivé, nous « passâmes à table ». Il y avait huit cellules, de même qu’aux autres étages (excepté au rez-de-chaussée). Les gardiens ouvraient toujours plusieurs portes en même temps afin que nous allions chercher les assiettes ; c’est ainsi que je pus voir d’autre détenus : un très jeune Japonais occupait la cellule juste à côté de la mienne avec un co-détenu suisse – ou allemand. On se salua amicalement. Un sentiment immédiat de solidarité passa au moyen de trois sourires. Jusqu’à présent je n’avais vu que des filles et des gardiens.
 
A cause de cet incident, j’oubliai de leur demander de m’acheter ce que je désirais. C’est là qu’on voit comment, après quelques jours seulement de détention, un simple imprévu t’éloigne de tes projets. Cela m’énerva et je décidai de faire plus attention. Ensuite, avec ma fourchette, je grattai un premier trait sous le nom de la femme que je connaissais, puis j’attendis le gardien qui devait venir chercher la vaisselle, pour lui demander de me faire ces achats. Lorsqu’il arriva je l’informai rapidement de ce que je voulais (je lui dis que j’avais l’autorisation d’obtenir ce dont j’avais besoin). Il me répondit que les achats ne pouvaient être commandés que le matin lors de la remise des écuelles. J’espérais que ce jour passerait vite puisque le lendemain je pourrais écrire, fumer, me laver et me coiffer. Bon, alors demain.
 
Ensuite je me souvins du Japonais, mon voisin de cellule, et je commençai à frapper à la paroi. Il répondit tout de suite, certainement au moyen de deux crayons, par un vrai concert de tambour bien rythmé. Je ne pus en faire autant.
 
Je continuai ensuite mes va-et-vient – il y avait ici aussi une colonne de chauffage. Je commençai à me regarder chaque fois que je passais devant le miroir : yeux enflés, nez rouge, cheveux totalement ébouriffés – dans le fond rien à voir avec un visage – bref, resplendissante. Aller et venir : à chaque pas s’écoulait une seconde, cinq va-et-vient dans la cellule signifiaient une minute – chaque grincement de frein du tram signifiait environ dix minutes écoulées.
 
Mes pensées recommençaient à tourner – entre-temps, quelques larmes coulaient – mais je me ressaisissais. Si seulement le temps n’était pas si monotone. Lorsqu’un détenu sonnait, j’essayais, d’écouter, mais en vain. J’entendais des pas, un bruit de clefs, puis souvent aussitôt un claquement de porte. Cela signifiait vraisemblablement que la demande du détenu n’avait pas été acceptée. Le claquement de porte – qui faisait jouir les gardiens et auquel les jeunes avaient particulièrement recours – était un maillon psychologique prévu pour t’achever.
 
D’ailleurs on s’y habitue vite, quand il s’agit de sa propre porte, mais on tressaute chaque fois qu’une autre porte est claquée, car on n’y est pas préparé.
 
Dans cette seconde cellule, les draps de papier avaient été remplacés par des draps de lin. Une fois la vaisselle retirée, je fis immédiatement mon lit. Comme je n’avais pas de chemise de nuit, je dormais nue, ce qui dans les draps de papier était un plaisir douteux, parce que collant ! Je me réjouissais maintenant des draps propres. En me déshabillant, après avoir tourné le dos au judas, je vis tout à coup des têtes de soldats qui s’étaient agglutinés le nez contre la vitre, dans la cage d’escaliers de la maison d’en face. J’étais furieuse. Déshabillée, je me rendis à la fenêtre et leur montrai le poing, plus en signe de menace qu’en salut. Le groupe se dispersa rapidement. Mais à partir de ce moment apparaissaient chaque jour, le matin, à midi, le soir, de nouveaux types curieux qui observaient la cellule ; ainsi il était clair que l’on était contrôlés autant par la porte que par la fenêtre. Il ne manquait que ça. Dès ce jour, je me déshabillai après que la lumière soit éteinte ; la lumière de la cage d’escalier dans la caserne arrivait directement sur mon lit ; à ceci aussi je m’habituai. Je frappai encore une fois pour appeler le Japonais, puis je me glissai dans les draps en me réjouissant des cigarettes.
 
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