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22 novembre 2007 4 22 /11 /novembre /2007 15:13
Mardi 25 mars 1975
Lorsqu’on m’apporta le bol de café, je dis ce que je désirais. Le gardien prit note. Maintenant seulement je remarquais que c’était la routine de la prison, dont j’ignorais tout jusqu’alors, et pour cause : on avait pris soin de me la dissimuler. Après deux heures environ, le gardien revint me disant que je ne pouvais rien acheter, n’ayant pas assez d’argent ; avant que j’ai eu le temps de répondre, la porte était refermée ; immédiatement j’ai voulu sonner – mais je me souvins : « ne jamais sonner, ne jamais parler ». Pourquoi donc le flic disait-il que je n’avais pas d’argent ? J’en avais pourtant non de Dieu et c’était même noté dans le procès-verbal. Encore un truc pour que tu te soumettes, pour te rendre faible. Et ça n’a aucun sens d’en parler au gardien, n’est-ce pas ?
 
J’étais assez furieuse et déçue, depuis hier je m’étais tant préparée à fumer, à écrire et à me laver ; je me rappelai que lors de mon arrestation j’avais un paquet de cigarettes « nazionali » et des allumettes, et qu’ils devaient au moins me rendre ça. Je décidai de les leur demander, et ce fut de nouveau l’interrogatoire.
 
C’était chaque fois d’autres flics qui venaient me chercher et me ramenaient, je ne voyais aucun visage plus d’une fois. Au cours de l’interrogatoire je me rendis compte qu’ils connaissaient toutes les adresses où j’avais habité à Zurich, ils avaient donc bien plus de renseignements que je ne le pensais. Ils citèrent pour la première fois les noms d’autres personnes, je refusai toute déposition. Puis je leur dis que je n’avais pas pu effectuer mes achats car il n’y avait – parait-il – pas d’argent. On répliqua « nous allons étudier ça » ; et je fus reconduite à travers les couloirs à ma cellule.
 
Depuis les escaliers je remarquai que des fiches rouges et blanches étaient accrochées aux cellules. Mais je ne pus les lire ; la porte claqua derrière moi. Plus tard un flic m’amena une minuscule brosse à dents (si petite qu’elle pourrait figurer au musée), du dentifrice, une feuille de papier à lettre, une enveloppe et un crayon. Il me dit que la question de l’argent devait être examinée, que les affaires de toilette étaient mises exceptionnellement à ma disposition, que le papier à lettre était gratuit et qu’il y aurait des cigarettes seulement quand l’argent serait de retour. Et vlan ! la porte est refermée.
C’était déjà quelque chose ; je commençai tout de suite à me laver les dents mais bien vite du sang coula dans la cuvette. Une réflexion traversa ma tête : Les fiches rouges et blanches accrochées aux portes des cellules indiquent les cellules des camarades arrêtés. J’essayai de reconstituer combien j’en avais vu, au moins quatre et au plus six. Je décidai de compter exactement lors du prochain interrogatoire, et surtout d’essayer de lire ce qui était écrit. Lors du déjeuner, je remarquai que le japonais n’avait pas de fiche.
 
Avec le crayon, je griffonnai des slogans contre le mur et avec la fourchette je cochai le jour. J’utilisai aussi la vis pour graver des slogans sur la porte, sur le sol, le radiateur, toujours en prenant soin d’écouter les pas et les bruissements au judas.
 
Il neigeait et quand on était pas près de la colonne de chauffage il faisait vraiment froid. J’entendais régulièrement l’ouverture des cellules, beaucoup de pas, de trépignements dans les escaliers. Ma porte fut également ouverte et on me demanda si je désirais aller me promener. Avant que j’ai pu dire oui, le gardien me fit remarquer : « mais vous aurez les menottes », alors je répondis : « non je ne veux pas » ; et avant que j’ai eu le temps d’y réfléchir, la porte s’était refermée. D’un côté je me consolais car on devait crever de froid, et d’un autre c’était une faute car il est important de sortir, avec ou sans liens. C’est bon pour la santé, pour s’orienter, ça fait passer le temps.
Outre la continuelle incertitude du sort des autres camarades, ma nervosité générale, j’étais totalement isolée des informations politiques. Aucune idée de ce qui s’était passé ces derniers jours, et inutile de se creuser la tête. Et je savais aussi que ça n’avait aucun sens de se renseigner sur l’actualité auprès des flics ou des gardiens. Ils ne pourront pas toujours me garder cachée. Une fois un avocat viendra, bientôt mon fils remarquera ce qui s’est passé et ne lâchera pas tant qu’il n’aura pas pu me voir ; ou alors il ne pourra rien obtenir du tout car il est encore mineur : belle merde ! si seulement j’avais un parent majeur.
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