Après ce premier chapitre sur les grands hôtels qui parsèment les sommets de nos montagnes et de grands lieux touristiques, je m’aperçois qu’il aurait fallu vous dire que les grands hôtels existèrent bien avant ceux dont on parle. En effet, dans nos villes, déjà de très connus et célèbres Hôtels ont été bâtis. Pour exemple : Hôtel des Trois Couronnes à Vevey, l’Hôtel Euler à Bâle, Grand Hôtel Baur-en-Ville, Hôtel Baur-au-Lac à Zurich et l’Hôtel Gibbon à Lausanne. Déjà avant le boum des hôtels sommitaux, de très bons hôtels ont donc parsemés le territoire et rayonnés loin à la ronde.
Donc ceux qui, en plaine, souvent au bord de l’eau, bâtissent des hôtels…
Des pionniers de l’hôtellerie, il en apparaît partout. Leur densité suit les hasards de la mode : cela commence par l’Oberland bernois, où Interlaken et la Jungfrau restent le pôle du voyage en Suisse.
Les zones d’hôtellerie s’étendent ensuite aux environs du lac des Quatre-Cantons, au bord du Léman, puis aux trois cantons retirés du Valais, des Grisons et du Tessin. Parallèlement, l’hôtellerie citadine qui a toujours existé, s’étoffe et s’agrandit naturellement. En 1844, la première édition du fameux guide Baedeker résume la situation : « La Suisse possède incontestablement les meilleurs hôtels du monde. Des maisons comme Baur à Zurich, Les Bergues ou l’Ecu à Genève, Bellevue à Thoune, Gibbon à Lausanne, Trois Couronnes à Vevey, Trois Rois à Bâle ou le Faucon à Berne sont des établissements exemplaires dont les installations ne laissent rien à désirer. Mais on est reçu fort agréablement aussi dans des hôtels plus modestes, et l’on trouvera fort rarement des auberges tout à fait mauvaises. »
La première génération de pionniers naît entre 1800 et 1815. La plupart d’entre eux sont des paysans, originaire de l’Oberland bernois, où l’on assiste à un fourmillement d’initiatives individuelles. Beaucoup d’auberges traditionnelles, de relais de passage sont naturellement agrandis, c’est l’industrie familiale qui suit son cours. Mais ici et là apparaît l’original : Peter Ober est Alsacien d’origine, né en 1815, étudiant en médecine, précepteur à Paris. Il accompagne les enfants d’une famille anglaise à Interlaken. Il s’éprend du pays. Excellent éducateur, la famille anglaise qui l’emploie lui facilite l’achat d’une maison à Matten. Il a l’idée de la transformer en pension, puis en hôtel, l’Hôtel Ober. Le jeune médecin-précepteur-hôtelier a la passion de la botanique. Il se rend compte que la flore alpestre est très mal connue. Il organise pour ses hôtes des excursions botaniques (nous sommes en pleine époque des herbiers ; pas de jeune fille qui ne transporte avec son matériel d’aquarelliste, son herbier, cet étrange tonnelet oblong de fer blanc, généralement peint en vert), l’Hôtel Ober devient rapidement le rendez-vous des grands naturalistes européens. Plus tard, déjà conscient des dégâts que le tourisme pourra occasionner à la nature, Ober crée une société de protection, la Höhematte, destinée à préserver à perpétuité la prairie du même nom, qui est la plate-forme où tout le monde se rend pour contempler la Jungfrau. L’idée de précurseur car sans lui il y a belle lurette que cet alpage aurait été vaincu par la spéculation.
De plus en plus prospère, Ober fait construire le Kursaal d’Interlaken et, toujours grand défenseur des beautés naturelles, en fait écarter les « beautés professionnelles » qui hantaient, dit-on, les jardins et les parterres fleuris, véritables jardins botaniques. Sur ses vieux jours, Ober rédige un guide, qu’il fait éditer en trois langues, Interlaken et ses Environs, qui connaît un immense succès. Cet homme, qui n’était pas Suisse (au début), mais Alsacien, fut contemporain d’un autre pionnier, natif lui de Bönigen : Friedrich Seiler, né en 1808, qui débute dans la carrière militaire.
On sait de lui, qu’après s’être battu dans les corps-franc bernois contre Lucerne, il devint préfet d’Interlaken, industriel à Unterseen, où il dirige une parqueterie (détail non anodin, beaucoup d’hôteliers auront des intérêts dans l’industrie du bois, premier matériau de construction dans les montagnes à l’époque), puis grand responsable des chemins de fer du Bödeli et du Bunig, enfin conseiller national à Berne. C’est à la fin de sa carrière qu’il construira un des premiers palaces de Suisse : le Grand Hôtel de la Jungfrau, dépassé quelques années plus tard par le Grand Hôtel Victoria, sur le Höheweg, construit par son jeune disciple Edouard Ruchti, qui rachètera le Jungfrau.
A Thoune et à Interlaken, d’autres carrières assez semblables se dessinent. Les trois frères Knechtenhofer transforment leur campagne de famille en Hôtel Bellevue (eux aussi possèdent une parqueterie). Ils fondent la Compagnie de Navigation sur les lacs de Thoune et de Brienz et possèdent bientôt dix vapeurs.
Johann Strübin, à force d’économie, construit le Schweizerhof, entre l’Aar et le Höheweg, là où se dressaient un malheureux chalet et des étables. Son service d’omnibus entre débarcadère et hôtel, avec valets de pied en livrée, devient rapidement célèbre : il est le premier à imaginer de venir chercher le touriste en voiture avec du personnel aux couleurs de la maison.
Cet hôtel a célébré son centenaire en 1956. Le 3 février 1971, il a entièrement brûlé. Espérons que son livre d’or a été sauvé : on y trouve les signatures de Richard Wagner et du cardinal Pacelli, entre autres.
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