Paris, Les Tuileries, 1814
Des bruits arrivent jusqu’aux Tuileries ; je ne révélerai pas de noms, mais je crois qu’ils disent vrai, ceux qui racontent qu’il y a plus de 100.000 déserteurs. Le tirage au sort, qui datait du 29 fructidor de l’an XI, fournissait des recrues à la République, mais déjà, sous le Consulat, on m’a dit qu’il y avait plus de 200.000 irréductibles, en France d’abord, mais surtout en Flandres et dans le Luxembourg.
On ne m’a pas parlé des déserteurs suisses, mais je pense qu’il y a dû en avoir beaucoup. On m’a raconté comment, dans les villes et les villages, les conscrits devaient monter tout nus sur le marchepied d’une toise, et s’ils avaient plus d’un mètre 54, ils étaient enrôlés. On écartait seulement ceux qui étaient trop difformes ou malades. Certains se faisaient des blessures qu’ils imprégnaient d’eau arseniquée. On les déclarait incurables.
Des jeunes gens se faisaient arracher toutes les dents, et il y avait des charlatans qui proposaient pour 200 francs de carier toute la mâchoire à l’acide. Mon ami breton m’a même raconté qu’on avait enterré à Ploemeur des cercueils vides suivis par tout le village endeuillé, et pendant ce temps, le faux défunt se réfugiait dans les forêts. J’ai vu trop de blessés et trop de cadavres dans les combats de Dresde, de Lutzen et de Leipzig où je servais mon maître pour ne pas comprendre combien les mères de France devaient Le maudire.
A suivre