Les léproseries dans le Pays de Vaud
Les archives attestent qu’elles furent nombreuses, mais beaucoup n’eurent qu’une existence passagère ; une fois le lépreux mort, la construction était utilisée comme bois de feu. On les appelait de préférence « maladières », ce qui prouve qu’autrefois le lépreux était le malade par excellence, celui qui reste malade sans espoir de guérison. Le malade lui-même était appelé « ladre », « mézel », (d’où les noms de « mezellerie » ou « maladerie », synonymes de léproserie), « mezeau », « infect ».
Il est certain que les lieux désignés aujourd’hui par « maladière » sont ceux occupés autrefois par une léproserie. On en trouve par exemple entre Payerne et Corcelles, et à Burier, etc. Le Dr Olivier a compté environ deux cents maladières pour la Suisse, dont soixante six pour le seul canton de Vaud, mais on ne doit pas conclure de cette disproportion que les malades furent bien plus nombreux chez nous qu’ailleurs. Simplement dans notre canton, on les soignait (si on peut appeler cela soigner) par village, tandis qu’ailleurs ils étaient groupés par régions. La preuve est qu’à un certain moment il y eut dans le canton vingt-sept « ladres » pour vingt-quatre localités. D’autre part, certaines maladières continuent à figurer dans les « manuaux », alors qu’elles n’ont plus de malades, ou point pendant un certain temps.
C’est à partir du milieu du XVIIe siècle que la lèpre semble disparaître du Pays de Vaud. A Burier, par exemple, le dernier lépreux mourut en 149, la maladière resta vide jusqu’en 1758, date à laquelle les gens de Montreux demandèrent aux autorités de pouvoir supprimer cet établissement « considérant que la ladrerie n’infecte plus le pays ».
En 174, la lèpre ou « ladrerie » figure encore dans les lois consistoriales, sans doute par esprit de conservation, mais en 1788, elle en disparaît. Le mal étant vaincu, on fit disparaître toutes les ladreries restant encore dans le canton.
La chapelle de Vidy
Celle de Lausanne, à cause de son importance, était pourvue d’une petite chapelle, celle qui nous occupe aujourd’hui, à Vidy. La léproserie a totalement disparu ; seule la chapelle nous est parvenu intacte parce qu’on l’utilisa à d’autres fins après la démolition de l’établissement.
La léproserie de Lausanne se trouvait en face de la chapelle de l’autre côté de la route, donc au bas du cimetière actuel du Bois-de-Vaux. Elle est mentionnée en 1331 déjà, tandis que la chapelle ne fut construite qu’en 1461. Selon la coutume, cette chapelle fut consacrée à saint Lazare, le patron des ladres ou lépreux.
En 1638, constatant qu’il n’y avait plus de lépreux dans la maladière de Vidy (il n’en restait plus qu’un en 1614), le Conseil de Lausanne décida d’en fermer toutes les portes « pour empescher que quelques mauvaises canailles s’y retirent ».
Quelques décennies plus tard, la léproserie de Vidy, tombée en ruine faute d’entretien, fut démolie. La chapelle aurait eu le même sort sans doute si elle n’avait servi de dépôt pour les instruments de supplice que l’on prenait là en passant quand on conduisait les condamnés à mort à l’échafaud de Vidy. Les malheureux y faisaient leur dernière prière avant la mort. Davel dut s’y arrêter dans son dernier voyage.
Cette petite chapelle à la porte gothique en arc brisé et au clocher-arcade, si modeste soit-elle, rappelle donc aux Vaudois deux événements de leur histoire, l’affreuse lèpre, hantise de nos ancêtres, et le calvaire de leur grand héros.
Si la lèpre a complètement disparu du pays et si elle disparaissait bientôt de la surface de la terre, il serait bon de conserver, dans notre canton, la seule construction encore debout en rappelant le souvenir : elle est du reste classée dans les monuments historiques.
Tiré du livre : La contrée de Lausanne : district de Lausanne, Cossonay, Echallens et la région limitrophe de Morges et Lavaux (Morges Editions Interlingua, 1975)