4. Analyse du mémoire d’I. Venetz sur l’extension des anciens glaciers
La commission de rédaction de la SHSN introduit ainsi ce Mémoire : « Le présent mémoire de la main de M. l’ingénieur Venetz, père, est une œuvre posthume et ne paraît ni terminé, ni même complet dans les parties existantes. Malgré ces défectuosités, la Commission de rédaction a cru agir suivant les intentions de la société générale en l’admettant dans ses publications. Elle s’est surtout laissé guider par deux motifs : d’abord, par un sentiment de piété envers le fondateur de la belle théorie des transports erratiques, laquelle, comme peu d’autres, a acquis droit de bourgeoisie en géologie et a servi de point de départ à une quantité d’autres recherches importantes ; en second lieu, parce qu’il est toujours intéressant, même à un degré plus avancé de la science, de connaître l’ensemble des idées d’un homme, qui a passé sa vie au milieu des grands phénomènes qu’il décrit et en a fait un sujet constant de recherches et de méditations. En effet, comme au début de sa carrière, I. Venetz se fit connaître au monde savant par son travail sur les anciennes moraines, de même, à la fin d’une longue vie vouée à une activité pratique, il revient à son sujet favori et résume dans le travail présent l’ensemble de toutes ses observations. Certes, la voix d’un aussi fidèle disciple de la science a droit à se faire entendre ».
Venetz commence par faire l’historique de ses premières recherches sur les glaciers suivant les indications de la SHSN. Il réfute la théorie de certains géologues qui attribuent encore le transport des terrains erratiques à de violents courants boueux. Puis il reproduit la description donnée par Charpentier du gros bloc erratique de Valère. Il est situé sur le bord d’un précipice, reposant sur 4 points ; l’un est un petit bloc de roche cristalline, le second et le 3ème des fragments détachés de la roche sous-jacente, le 4ème la roche en place. Le grand bloc est calcaire, son diamètre mesure environ 10 pieds, il est fendu dans toute sa hauteur. Venetz explique comment il a dû prendre cette position. Lorsqu’un glacier rencontre un monticule de roc dans son mouvement progressif, il se relève contre cet obstacle et se crevasse. Le glacier de Fiesch nous en donne un excellent exemple : vers son extrémité inférieure, il rencontre un rocher saillant qui le partage en deux. Ainsi, à Sion, lorsque le glacier du Rhône rencontrait la colline de Valère, il s’est soulevé pour passer par-dessus. La petite pierre est tombée la première dans une crevasse, et le gros bloc a suivi. La violence du choc a détaché deux fragments de la roche en place et l’a fendu. Le tout s’est trouvé coincé dans la crevasse d’où cette position. Sur l’initiative du Club alpin suisse ce bloc a été dédié à Venetz en 1868, avec l’inscription : I. Venetz 1821.
Dans la première partie de ce mémoire Venetz dit clairement que jusqu’en 1829 il s’est attaché à chercher les limites de l’extrême extension des glaciers anciens, il a relevé la présence des terrains erratiques depuis le sommet des vallées, à travers la vallée du Rhône et le Plateau suisse jusqu’au Jura. La conclusion fut sa persuasion que tous ces terrains avaient été transportés par une immense extension des glaciers.
Ce point étant acquis, Venetz continue à observer ces terrains, à en découvrir encore. Un problème nouveau se présente à son esprit : celui de la multiplicité des extensions glaciaires. Il fait l’objet de la deuxième partie de son mémoire. Dans le Jura, il voit des blocs isolés de roches alpines dépassant les sommets de la chaîne, d’où l’idée d’une très vaste extension. Puis de longues moraines au Chasseron, au Suchet, au Mt-Tendre. On voit là une ébauche des deux périodes Rissienne et Würmienne établies par Penck et Brückner en 1909. Venetz les réunit en une seule dans son mémoire.
La deuxième extension est celle où le glacier du Rhône occupait encore les bassins du Léman et du lac de Neuchâtel. Dans le canton de Vaud, le terrain erratique de cette époque est fréquent sur les villages de Gryon, Huemoz, Corbeyrier, à Lausanne où la rue de Bourg est bâtie sur une moraine qui se prolonge jusqu’à Ecublens.
La troisième extension est celle où le glacier du Rhône est arrivé jusqu’à Noville. Venetz croit que les collines entre Chessel et Noville sont des moraines du glacier du Rhône, Morlot et Troyon les attribuent à l’éboulement du Tauredunum*. http://fr.wikipedia.org/wiki/Tauredunum Cette supposition offre quelque probabilité, dit Venetz, ajoutant n’avoir pas eu l’occasion d’examiner cette question de plus près. On objectera, dit-il, que ces monticules ne contiennent pas de pierres du Valais. Mais il s’en trouve à Vouvry, à une distance de 1600 m. de Chessel. Une moraine latérale du glacier du Rhône est sous Yvorne, près d’Aigle, sous le hameau de Chiez. Des blocs de granite se trouvent sur la colline de St-Triphon et du Montet. Du côté du Valais, les vestiges de cette extension sont nombreux : moraine de Monthey-Choex-Daviaz-Mex et vis-à-vis d’outre-Rhône, puis à Ravoire, au lac de Champex, à Plan-y-Bœuf sur Orsières.
Les glaciers de la quatrième période ont précédé les temps historiques, ils ont laissé de nombreuses moraines très visibles dans toutes les vallées latérales du Valais. Le glacier du Rhône venait jusqu’à Obergestelen, celui de Fiesch a formé la superbe moraine sous Bellwald, ceux de Saas ont transporté des blocs de gabbro et de serpentine vers Grund. Le village de Trient est sur une moraine terminale de celui du Trient.
Les moraines et les blocs que Venetz a interprétés comme étant des preuves de 4 périodes glaciaires ont été déposés lors de l’extension des glaciers Würmiens. Elles représentent des stades de retrait, c’est-à-dire des périodes où le glacier a séjourné longuement. Ce sont les stades de Acken, indiscernable dans la vallée du Rhône, Bühl à Monthey-Daviaz, Gschnitz à Orsières-Euseigne, Daun à Obergesteln. Venetz a entrevu ces phénomènes sans en trouver l’explication exacte, pourtant dans un passage de son mémoire il dit : « en Valais, ces accumulations de moraines doivent être attribuées à des oscillations éprouvées par le glacier ».
Ce fut Karl-Adolf Morlot, professeur à l’Académie de Lausanne qui, par des observations précises, confirma les vues de Venetz. Son étude de 1858 sur les dépôts de la Dranse du Chablais prouva que l’alluvion ancienne des auteurs s’intercale entre une moraine rissienne et une moraine würmienne. H. Onde écrit que « cette découverte mémorable peut être regardée comme la première affirmation de la chronologie glaciaire, développée et rendue classique par Penk et Brückner ».
La troisième partie du mémoire de Venetz analyse les travaux de Ch. Martins et de Gastodi pour la vallée du Pô, et ceux de Desor pour le nord de l’Europe et l’Amérique.
Ce fut sans doute une joie profonde pour Venetz, de voir, au soir de sa vie, sa théorie se répandre ainsi et susciter tant de travaux.
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GTell, La vie et l'oeuvre de l'ingénieur Ignace Venetz.