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17 novembre 2017 5 17 /11 /novembre /2017 17:08

Sainte-Hélène, septembre 1817

Hudson Lowe est plus un fonctionnaire qu’un militaire. Il est soupçonneux et méticuleux. Il a empêché que l’on plante des pois verts et des pois blancs parce qu’il y voyait quelque mystérieux symbole. Une fois, l’Empereur a fait une farce : comme les Anglais n’avaient pu l’apercevoir pendant plusieurs heures, un uniforme rouge est entré presque de force dans la demeure où il a trouvé l’Empereur tout nu dans sa chambre. Parmi la petite cour, il y a malheureusement des gens aigris et qui se chamaillent, et c’est le général Gourgaud qui témoigne le plus de fidélité et le plus de dignité.

« L’Empereur se refuse à abdiquer. » Il répète qu’en quelques années, lui sur le trône, il aurait rétabli la grandeur de la France. « Sans la mort de Leclerc à Saint Domingue, l’Amérique était à nous. » D’autres fois, il parle de fonder un grand empire en Orient et il récrimine contre Farhi, 1er ministre et Smith l’officier anglais qui l’ont repoussé à Saint-Jean-D’acre.

Sa colère s’exerce surtout contre les Anglais. Il tempête, et nous entendons jusqu’au dehors, les éclats de sa fureur. Il dit que sa grande erreur a été de se livrer aux Anglais car Autrichiens et Russes lui auraient confié des trônes de provinces.

Les coups de sang, la fureur, les regrets, l’Empereur se croit encore homme de pouvoir sur son île. Les illusions perdues ne se rattrapent pas.

Un soir, il m’a dit que j’aurais dû moi aussi, apprendre le corse, et il m’a demandé s’il y avait un patois vaudois et si je m’en souvenais. J’ai répondu « pas tellement », mais comme il insistait et que ça avait l’air de lui faire plaisir, je lui ai dit : « A demanda se lé z’affere allâ van bin e s’ire contei dé la païe ».

J’ai répété deux fois, l’Empereur a ri et il m’a dit : « Tu verras, question dé la païe, tu n’auras pas à te plaindre. »

A suivre

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16 novembre 2017 4 16 /11 /novembre /2017 19:04

Sainte-Hélène, août 1817

Un après-midi de pluie, pendant que l’Empereur se reposait, Monsieur de Las Cases, le Secrétaire d’Etat, nous a parlé : « Il croit à une certaine magie des nombres et des dates ; né le 15 août 1769, un an, jour pour jour après, l’acquisition de la Corse par Louis XV, Napoléon y voyait un premier signe du Destin. Il pensait avoir décelé des lois qui échappaient au hasard. Un jour, il m’a demandé si je savais que tous les membres de la dynastie des Tudor ne pouvaient mourir qu’un mardi. Et il me l’a prouvé : Henri VIII, le mardi 28 janvier de 1547, Edward VI, le mardi 28 juillet de 1553, puis Marie Tudor, puis Elisabeth qui expira le mardi 28 mars 1603. Mon brave Junot, lui aussi, est mort un 28 juillet.

Parlant un jour de poésie, il a cité à Marchand cette phrase de Goethe : « La superstition est la poésie de la vie ! Oui, voici ce que m’a dit le plus grand des poètes. Et Goethe avait observé que La Divine Comédie avait été entièrement écrite sous le signe porte-bonheur de Dante, le chiffre 3 et ses multiples : trois cantiques composés chacun de 33 chants. L’Enfer est divisé en 9 jours, le Purgatoire, en 9 parts, le Paradis, en 9 ciels… Dante a raconté que Béatrice avait 9 ans quand il l’a rencontrée pour la première fois. Il l’a revue 9 ans après, à 9 heures.

Béatrice est morte à la neuvième heure, et Dante chercha durant toute sa vie comment triturer le 3 et le 9, découvrant par exemple que la date de la mort de Béatrice, le 8 juin 1290 (une date qui l’obsédait, parce qu’elle semblait échapper à cette fatalité.) Dante découvrit que cette date correspondait pour les Arabes, au neuvième jour de leurs mois et que pour les Syriens, juin était le neuvième mois de l’année.

  • Tu aurais dû t’appeler Moverraz, avec M me dit en souriant Marchand, parce que l’Empereur croit à une fatalité de la lettre M : il a obtenu ses premières victoires à Montenotte et à Millesimo ; la première capitale qu’il conquit fut Milan et la dernière Moscou ; Moreau et Malet conspirèrent contre lui, Murat l’a abandonné, Masséna l’a secouru, Menon lui a fait perdre l’Egypte. Son premier professeur s’appelait Montesquieu, son secrétaire Meneval, son pire ennemi, Metternich. Sa première femme était née à la Martinique, et la seconde s’appelait MarieLouise. Sa demeure préférée était la Malmaison, et nous sommes ici, à Sainte-Hélène pour le servir, Montholon, et moi, Marchand… Tu vois bien que tu aurais dû t’appeler Moverraz.

Mme de Montholon évoqua encore le précieux scarabée découvert dans la tombe d’un pharaon et parla de l’Etoile protectrice à laquelle croyait l’Empereur.

À quoi ressemblait le fameux scarabée de Napoléon ? Ici, un bijou de Toutankhamon, musée du Caire Egypte.

À quoi ressemblait le fameux scarabée de Napoléon ? Ici, un bijou de Toutankhamon, musée du Caire Egypte.

A suivre

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15 novembre 2017 3 15 /11 /novembre /2017 17:44
Napoléon Ier couronné par le Temps, écrit le Code Civil

Napoléon Ier couronné par le Temps, écrit le Code Civil

Sainte-Hélène, août 1817

« Crois-tu en Dieu, Noverraz ?

  • Oui, Sire ! ai-je répondu.
  • Il y a pourtant de soi-disant savants qui le nient ! Quand j’étais Premier Consul, Lecourbe voulut me démontrer que la Vie et les Mondes n’étaient que le fruit du hasard. J’ai dit à Lecourbe : « Si, pendant une vie entière, nous lançons, vous et moi, des cailloux, combien de chances y a-t-il que nous bâtissions Notre-Dame de Paris ? C’est pourtant là, Lecourbe, votre conception de la vie, mais mon cerveau à moi me fait croire plutôt à l’intervention de Dieu qu’à celle du hasard. Dis-moi, Noverraz, avez-vous des saints en Suisse ? »

J’ai répondu que nous avions un Saint-Triphon, un Saint-Prex et un Saint-Saphorin. J’ai aussi cité Sainte-Ursanne, mais je n’étais pas bien sûr de son sexe. L’Empereur a ri, et il m’a questionné :

  • Que penserais-tu d’un Saint-Napoléon… Courage, sois franc, tu n’y crois guère… ?
  • Eh bien, pour dire vrai, Sire… pas tellement.
  • Un clerc de Rennes assure avoir déniché un Saint-Napoléon martyr ! vois-tu, Noverraz, la République n’aime pas les saints. Sais-tu quel saint l’on fêtait jadis le 14 juillet ?
  • Peut-être Saint-Louis… ?
  • Non, on fêtait Saint-Bonaventure ! mais tu n’as pas tout à fait tort : la monarchie fêtait jadis le saint patron du souverain, ce qui fait que, pour fête nationale, la France fêta successivement Saint-Henri, Saint-Charles, Saint-Louis et Saint-Philippe. Alors imagine un Saint-Napoléon, modeste sous-officier dans les armées célestes, et qui viendrait tout d’un coup supplanter la Sainte-Vierge, le 15 août ! …Non, mon bon Noverraz, l’Eglise est trop sage, elle ne ratifiera jamais ce saint par procuration. Rome avait déjà boudé Saint-Charlemagne, un grand homme, certes, mais un saint bien contestable et introduit en fraude par un antipape.
  • Vois-tu, Noverraz, pour moi, quand je pense à la Fête Nationale, je ne vois ni mes maréchaux, ni mes mamelouks, je vois un tambour-major. Sais-tu que les bandes de François 1er et de Henri II avaient déjà leurs « tambourins-maïours ?
  • Plus tard, il y a même eu des tambours-colonels et des tambours-généraux ! Le titre de tambour-major date d’une ordonnance de 1651. Celui dont je suis le plus fier, c’est mon tambour-major de Iéna qui, avec ses tapins, pénétra au plus fort des ennemis, assommant un Prussien entre chaque moulinet, son régiment avait traversé les lignes ennemies quand il s’arrêta. Sais-tu quel est le dernier mot de la honte pour un tambour-major ?... Laisser tomber sa canne. Dans une revue, ceci est arrivé, la canne maladroite enleva le chapeau à plume d’un général.
  • Le soir, le tambour-major se brûla la cervelle. A Lodi, j’ai récompensé un tambour-major qui, avec cinquante tambours, fit un tel vacarme que les Autrichiens, croyant avoir affaire à une armée entière, reculèrent. »

Napoléon oublie de lui parler du Décret du 19 février 1806 ! On peut, sur le portail de la BNF, voir un exemplaire de la publication du placard qui s'afficha partout. ICI Peut-être que Noverraz le sait, mais ne dit rien.

Le tableau fait penser à Moïse écrivant la Table de la Loi, Napoléon, voulait absolument donner au Peuple le Code Civile. C’est probablement ce qu’il écrit, là, sous l’œil de…St-Pierre ou Dieu ? La légende du tableau, exécuté en 1833 par Jean-Baptiste Mauzaisse, dit : Napoléon Ier couronné par le Temps, écrit le Code Civil.

GTell

A suivre

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14 novembre 2017 2 14 /11 /novembre /2017 17:53

Sainte-Hélène, juillet 1817

A Genève, j’avais dit à MM Necker, Pictet et Madame de Saussure que leur ville me plaisait fort, et peut-être savaient-ils une belle demeure à louer. Je donnais ainsi le change et, en même temps, j’entendais des rapports fort détaillés du général de génie Marescot et ceux du lieutenant Tourré. En amont de Martigny, j’allais devoir remonter la Dranse sur la rive gauche, puis à l’Est, sur Saint-Branchier. On signalait aux environs les ruines d’un château qui, jadis, défendait ce passage. On me signalait aussi un château ruiné avant Orsières et une muraille crénelée qui gardait Bourg-Saint-Pierre, du côté de l’Italie.

Général Armand Samuel de Marescot

Général Armand Samuel de Marescot

A la fonte des neiges, deux autres itinéraires étaient possibles, parallèlement au Grand-Saint-Bernard : il fallait, partant de Saint-Branchier, remonter la vallée de Bagnes jusqu’à un glacier que l’infanterie pouvait franchir et déboucher sur le Val Pellin. Il y avait encore un autre cheminement praticable par le Val Ferret et le Col de Fenêtre.

On pouvait ainsi envisager une diversion en partant d’Orsières et tomber sur Courmayeur et rejoindre le gros des troupes descendant du Saint-Bernard vers Aoste. J’ai gardé toutes ces notes, toutes les cartes dessinées par Marescot avant de prendre une décision et j’y réfléchissais encore, de Genève à Martigny, à l’Abbaye de St-Maurice et même à la Prévôté du Grand-Saint-Bernard à Martigny.

C’est alors que j’ai chargé Franceschi, l’émissaire de Masséna, de rapporter mon plan à son chef, à Gênes. Franceschi a réussi à traverser les lignes ennemies le 27 mai et a averti Masséna. C’est à Lausanne que j’ai appris que Desaix avait réussi à débarquer à Toulon, je n’étais pas sûr de la tranquillité à Paris, et j’ai aussi écrit à Mortier, le général de division dans la capitale.

C’est de Lausanne que j’ai donné ordre à Lecourbe au Gothard, à Turreau au Mont Cenis et à Suchet, de bien fixer l’ennemi dans leurs secteurs pour que je puisse surprendre les Autrichiens en dévalant du Grand-Saint-Bernard où personne ne m’attendait.

A suivre

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13 novembre 2017 1 13 /11 /novembre /2017 18:13

Janvier 1817

Nous avons eu des inquiétudes pour l’accouchement de Mme Bertrand, mais heureusement, elle a eu un beau petit garçon qui sera un futur camarade pour Napoléone, la fillette de Mme de Montholon que l’Empereur affectionne… Il est vrai que celle-ci lui ressemble beaucoup !

Sainte-Hélène, mai 1817

 L’Empereur m’a demandé combien de temps il me fallait pour gagner Jamestown à cheval. Je lui ai répondu, environ une heure et demie, alors, il m’a montré un papier où il a crayonné un chemin en m’expliquant comment on pouvait gagner une demi-heure en grattant un peu le rocher et en corrigeant des contours. Il a ajouté : « J’aime à construire des routes, et sais-tu quelle est la plus belle route que j’ai construite ? » Et il m’a expliqué que c’était la Grande Corniche qu’il a fait construire entre 1805 et 1812 pour relier Nice à Monaco. Avant, il fallait des chaises à porteurs. Il avait déjà songé à cette route quand il était commandant de l’artillerie du département des Alpes Maritimes et qu’il montait jusqu’au monument d’Auguste à la Turbie.

Alors, j’ai vu le visage de l’Empereur s’éclairer en disant : « Ce n’est pas le triomphe de l’Empire romain que j’avais devant les yeux, mais le visage de ma petite amie niçoise. Elle s’appelait Emilie, elle avait quinze ans, et nous nous promenions la main dans la main sous les citronniers du Parc Laurenti. Sais-tu, Noverraz, que j’ai demandé la main d’Emilie à son père, Joseph Laurenti ? J’ai mis mon bel uniforme et je me suis rendu dans sa maison de la route de Villefranche.

Il a été bien poli, il m’a dit que j’avais sûrement un bel avenir, mais qu’il ne voulait pas que sa fille attende un militaire toujours en campagne et toujours en danger… Emilie pleura un peu, elle épousa un notaire alors qu’elle aurait pu devenir Impératrice. »

Sainte-Hélène, juin 1817

L’Empereur m’a demandé si j’aimais bien boire et si les vins vaudois me manquaient, parce que lui, il ne boit que du chambertin et il en est arrivé deux caisses par un navire de la Compagnie des Indes. L’Empereur m’a dit qu’il avait bu du vin d’Yvorne à Lausanne et du vin valaisan à Martigny et à Saint-Branchier, qu’il en avait bu aussi avec plaisir à l’Hospice du Grand-Saint-Bernard et il a encore ri à un souvenir qu’il m’a raconté, disant que les Lausannois étaient des gens d’esprit, parce qu’en Floréal, du 12 au 16 mai, il avait logé dans la maison du citoyen Steiner à la descente d’Ouchy, et que, pendant son séjour, la Municipalité avait fait défense au cabaretier voisin de recevoir qui que ce soit dans son jardin pour que le Premier Consul ne soit pas troublé par le bruit des buveurs et des joueurs de quilles !

« Le 13, à Vevey, j’ai passé en revue la division Boudet, il y avait la 9ème, la 30ème et la 59ème de ligne, il y avait aussi la neuvième demi-brigade qui plus tard, a été magnifique à Marengo. Je me suis mêlé aux soldats, j’ai passé entre les lignes tandis que roulaient les tambours et sonnaient les clairons. Le temps était magnifique comme toujours depuis mon arrivée à Genève. »

Je me suis permis de dire à l’Empereur que je me souvenais très bien de tout cela, que mon père m’avait amené à la Place du Marché et que c’était un spectacle superbe pour le petit garçon que j’étais et que c’était depuis là que je rêvais d’entrer à son service.

A suivre

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12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 17:28

Sainte-Hélène, novembre 1816

Ce soir, on a servi à la table de l’Empereur, une gougère. Marchand, le Maître d’hôtel, avait réussi à trouver à Jamestown du beurre frais, de la farine et des œufs, mais Pierron qui était bourguignon, se faisait du souci : il aurait fallu du gruyère ou du Comté râpé, tandis que nous n’avions que du cheddar…

En famille, Napoleon, Marie-Louise et le roi de Rome.

En famille, Napoleon, Marie-Louise et le roi de Rome.

Le dîner fut très réussi, et l’Empereur s’exclama : « Quand j’étais lieutenant d’artillerie à Auxone (Auxonne), Mme Noizot réussissait de merveilleuses gougères, mais moi, je n’avais d’yeux que pour sa fille Catiche, mon premier amour. Je ne vous raconterai pas mon premier rendez-vous, ni nos promenades. Heureusement, le papa de Catiche, M. Noizot, sortait souvent pour ses affaires, et nous échangeâmes nos premiers baisers sur les marches de l’escalier. »

  • Une petite partie de dominos, mon cher locataire ?
  • J’étais bien forcé d’accepter. Il jouait mal, mail je m’arrangeais pour le laisser gagner, ce qui le mettait d’heureuse humeur.
  • Encore une petite partie ?

Quant à Catiche, elle faisait semblant de dormir, mais en montant dans ma chambrette, je grattais discrètement à sa porte, ce qui voulait dire « je t’aime », ou je glissais une feuille de papier avec un message enflammé.

Un soir, Mme Noizot saisit un de ces messages et, très grave, elle me dit :

  • Jeune homme, je n’ai encore rien révélé à M. Noizot, car il entrerait dans une rage terrible, et, avant de lui parler, je veux connaître vos intentions…

A Mme Noizot, je déclarai que Catiche serait mon grand et unique amour et que mon plus cher désir serait de l’épouser. Elle m’encouragea à en parler à son mari.

  • Mon petit monsieur, ma fille aura une très belle dot et, tournée comme elle est, elle fera le mariage dont Mme Noizot et moimême nous rêvons. Vous ne nous êtes pas antipathique, vous seriez général ou même capitaine que nous pourrions envisager une union, mais comment voulez-vous que je donne ma jolie Catiche à un petit Corse sans avenir… !

A suivre

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11 novembre 2017 6 11 /11 /novembre /2017 17:18

Sainte-Hélène, octobre 1816

Les jours se traînent, le vent alizé souffle, c’est Marchand qui s’occupe de l’Empereur qui s’est emporté contre moi hier pour une question de bottes égarées.

J’ai longtemps lambiné avant d’écrire ces lignes, mais il m’a paru qu’elles faisaient partie de la vie du grand homme. L’Empereur a vécu beaucoup plus d’accointances que l’on ne croit communément, mais ce n’étaient là qu’aventures d’une nuit ou de quelques jours car, avant sa dernière retraite de Sainte-Hélène, il a presque toujours eu besoin d’une femme pour tenter d’oublier des engnôles. J’ai moi-même été témoin des manœuvres de coquetterie qui l’entouraient, et c’est à Marchand qu’il a dit un jour : « Face à la tentation, l’Empereur n’est qu’un homme comme les autres ».

Cependant, je me tairai dans plusieurs cas, ceux que l’Empereur lui-même m’a ordonné de taire et qui pourraient entacher l’honneur de grands personnages. Au contraire, les petits récits de Marchand, le premier valet de chambre et de Gentilini, le valet de pied, les indiscrétions de Meneval me permettent de révéler, si j’ose dire, une petite liste de ses amours. Avant de partir pour l’Egypte, je sais que Bonaparte, profondément amoureux de Joséphine, aurait souhaité sa présence sous les Pyramides, mais soit qu’elle fut éprise de son beau capitaine Charles (qu’elle affichait même à Malmaison) et qui faisait des witz !...

  • Comment vous, Madame, vous si belle et si jeune, pouvezvous être l’épouse d’un général qui à Milan (mille ans), et qui se prélasse sur le Pô !

Joséphine demeura à Paris. D’autres officiers avaient eu la permission d’emmener leurs épouses en Egypte, et la belle Mme Fourès céda très vite à l’invite du général en chef.

Pauline Fourès

Pauline Fourès

A Mme Fourès succéda une Egyptienne aux yeux de gazelle à qui il offrit un fourda de dentelle brodé d’or qu’elle arborait fièrement au Caire.

Il aimait la tragédie et, plusieurs fois, il fit inviter des actrices ou des figurantes qui ne se montraient pas cruelles.

A Milan, il fut très impressionné par la Grassini à la Scala « La Prima donna assoluta »  qu’il combla de fleurs et de cadeaux ; c’était avant la bataille de Marengo. Tout Milan parla de ces amours. Ce fut-là plus qu’une aventure, un attachement plus qu’une amourette, et Mme Grassini trouva ensuite des engagements flatteurs sur les scènes parisiennes. Napoléon l’installa dans un hôtel particulier, au 28 de la rue Chantereine où il lui rendait de discrètes visites, accompagné de Duroc ou de Constant.

Giuseppina Grassini

Giuseppina Grassini

L’Impératrice faisait généralement semblant d’ignorer ces aventures, pourtant, elle fit une scène de pleurs et de reproches à cause de l’épouse du conseiller d’état Duchâtel, dont l’élégance et l’esprit avaient fait grande impression sur l’Empereur : « C’est la seule femme de Paris qui peut rivaliser avec Pauline ! » disait-il, et quand on sait la tendresse et l’admiration qu’il portait à sa sœur, sa « paganetta » ! cela voulait dire quelque chose ! Mme Duchâtel régna longtemps dans le cœur de Napoléon qui la voyait épisodiquement. Elle se montra digne et continua à le consoler pendant les mauvais jours.

Dans l’entourage du palais, l’Empereur avait remarqué, lors d’un bal, une Mme de Vaudey, à qui il rendit de discrètes visites, mais celle-ci eut le tort de se montrer trop intéressée : il dépensait volontiers des millions pour Joséphine, mais se montrait sans cela d’une économie presque sordide. J’ai déjà conté les amours avec Eléonore Denuelle, la lectrice de Caroline Murat, et j’ai entendu raconter par Mme Bertrand que Napoléon avait songé un instant à légitimer le petit Léon. D’après Mme Bertrand, Joséphine était consentante, puisque son divorce en eût été éloigné, mais Murat avait osé dire à l’Empereur que c’eût été là un geste peu apprécié des Français :

« On ne pardonnerait pas à Napoléon ce qu’on eût pardonné à Louis XIV ! »

A chaque voyage à l’étranger ou en province, des actrices ou même de jeunes personnes bien nées tentaient de se faire remarquer de l’Empereur. Une ravissante Bruxelloise, du nom d’Hermine, eut l’audace de lui jeter à la figure un bouquet de fleurs…

  • Si vous n’aviez pas été aussi jolie, je vous aurais fait fouetter par mes gens, mais, décidément, je préférerais le faire moimême…
  • Quand il vous plaira, Sire, avait répondu Hermine en rougissant.

A Bayonne, M. et Mme Guillebeau s’arrangèrent pour que leur jeune demoiselle soit présentée à Napoléon par le capitaine d’Hannencourt, son officier d’ordonnance.

  • Cambre bien ta taille et lorsque tu feras ta révérence, fais en sorte de découvrir un peu plus que la naissance de tes seins !

La révérence de Mlle Guillebeau fut parfaitement réussie, elle partagea le soir même la couche de l’Empereur, et fut invitée ensuite au château Valença (sic), par le Prince des Asturies. Tout, laisse à penser que M. Guillebeau en tira certains avantages.

Les lectrices avaient un rôle important. La voix de Mme Gazzani était mélodieuse.

  • Etesvous italienne, Madame ?
  • Mes parents venaient de Lombardie, Sire.
  • Nous aurons peutêtre quelques souvenirs d’Italie à échanger.
  • C’est que ma lecture ne se termine guère que tard dans la nuit.
  • Eh bien, si vous n’avez pas trop sommeil, je tâcherai de vous attendre, Constant vous conduira.
Madame Carlotta Gazzani

Madame Carlotta Gazzani

Maria Łączyńska, comtesse Walewska.

Maria Łączyńska, comtesse Walewska.

On m’a quelquefois questionné sur d’odieux racontars, on m’a demandé s’il était vrai que l’Empereur avait eu une liaison avec sa belle-fille, Hortense ; j’ai aussi entendu insinuer que la petite cousine d’Hortense et d’Eugène, Stéphanie de Beauharnais avait partagé la couche de l’Empereur. C’est faux ! je l’ai souvent vu la traiter en gamine, car il appréciait fort ses réparties et son visage mutin, mais jamais, je puis en témoigner, il n’y eut de geste équivoque ; l’Empereur la traita toujours en petite-nièce aimée qu’il adopta pour lui faire épouser le prince héritier de Bade.

Je ne m’étendrai pas, par pudeur, sur les vraies amours ! celles qui unirent Napoléon à la femme du comte Colonna Walewski, car la jeune Polonaise ne céda point à l’homme, mais au maître d’une Europe qui, espérait-elle ferait revivre la Pologne.

Constant a eu l’honneur parfois d’accompagner l’Empereur à la Chaussée-d’Antin où Napoléon installa Mme Walewska en 1807.

MariaWalewska

MariaWalewska

Je puis aussi raconter une anecdote révélée par Constant : une jeune actrice au petit nez en l’air, la Duchesnois, invitée par l’Empereur, attendait dans sa chambre pendant que Napoléon dictait à Meneval. Après une heure, Constant toussote et glisse :

  • Sire, la jeune personne attend…
  • Qu’elle se déshabille !

Et l’Empereur se remet à dicter. Une heure après, Constant apparaît, l’Empereur le congédie en disant :

  • Qu’elle se couche !

L’aube pointait, Napoléon dictait toujours, lorsqu’il se rappela la jeune actrice. Il bâilla et dit :

  • Qu’elle s’en aille !

Une nuit que j’apportais l’en-cas de l’Empereur, je le vis en compagnie intime.

  • Noverraz, Mademoiselle n’aime pas le Chambertin, laisse là le poulet et apporte du champagne… ainsi, auraije deux fillettes à la fois…

Constant, le lendemain, eut la bonté de m’expliquer que les « fillettes » étaient de petites bouteilles que l’on bouchait avec une peau de gant et à l’aide d’un poinçon ; au moment de les boire, on perçait la peau de gant. On publiait, me dit Constant, sous Louis XV, des chroniques de la Cour…

Nous avons en effet retrouvé dans une chronique du XVIIIe, cette phrase amusante :

« Sa Majesté, toujours bien portante était de six excellente humeur, durant le souper, il mît cinq fillettes en perces… ! »

Noverraz avait-il cru pendant quelques heures que l’Empereur s’était livré à des débauches que l’on peut reprocher à de simples mortels ? H. M. de Stadelhofen

A suivre

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10 novembre 2017 5 10 /11 /novembre /2017 17:42

Sainte-Hélène, octobre 1816

Il n’est question depuis hier, que de superstitions !

Nous avons aperçu l’Empereur perdu dans la contemplation des nuages… Il a dit au comte Bertrand : « Je cherche des Signes. Le ciel nous envoie parfois des prémonitions. »

L’Histoire rapporte bien des faits de ce genre : on a cru voir des glaives, des chocs d’armées. Il y eut des pluies de cendres et des pluies de crapauds, mais le ciel de Sainte-Hélène est trop bas et j’y cherche en vain les images que je distinguais jadis quand, étendu sur le dos, je respirais l’odeur de mon maquis corse, te souviens-tu, Cipriani ?

A Longwood, chacun avait une anecdote ou une brique à apporter à l’édifice, et tous s’accordaient à dire que jamais ils n’avaient connu un être plus superstitieux que Napoléon !

Combien de fois, alors qu’il était Premier Consul, raconta le comte Bertrand, s’est-il rendu chez Mme Lenormand ? Elle lisait dans les cartes, interrogeait les astres, interprétait les lignes de la main. Plus d’une fois, nous l’avons vu revenir soucieux de chez elle. Elle lui annonçait les victoires, déconseillait certains jours.

Mme Lenormand et Napoléon

Mme Lenormand et Napoléon

L’Empereur lui-même ne s’en cachait pas et il se justifiait : nul plus que lui n’avait dévoré les ouvrages de l’Antiquité :

  • Tous, parmi les plus illustres, qu’ils soient empereurs, philosophes, poètes ou écrivains, étaient superstitieux : de Plaute à Virgile, de Sénèque à Apulée, tous, les généraux comme les magistrats romains, les décemvirs et les sénateurs croyaient à la jettatura !
  • Quiconque, disait la loi, « abbia mormorato parole superstiziose… » sera condamné à la peine capitale. (il murmura des mots superstitieux) Cicéron parlait d’une certaine Titinnia qui réussissait par la jettatura à faire taire les plus célèbres orateurs au temps de Jules César ; Jules César qui ne montait jamais dans son char avant d’avoir prononcé des paroles cabalistiques, Jules César qui portait toujours sur lui une amulette de Vénus Armée avant de partir en guerre. Quand il avait à prendre une grave décision, il envoyait une délégation à Cumes pour interroger la Sybille. Gengis Khan, tandis qu’il dormait avec Abica (sic), son épouse, fut visité par un incube. Moimême, j’ai eu bien des songes prémonitoires… !

J’ai aperçu plusieurs fois ce mystérieux scarabée que Bonaparte avait reçu en Egypte et qu’il avait toujours gardé comme amulette, jusqu’à ce qu’il l’offrit… avant son départ pour la campagne de Russie. J’ajoute deux petites choses : j’ai vu pâlir l’Empereur parce qu’un jour, en rentrant de promenade, le général Gourgaud avait jeté son couvre-chef sur le petit lit près de l’entrée, et j’ai entendu, une fois, pendant que je servais le café à Elbe, l’Empereur taquiner la princesse Borghèse en disant : « Toi, Paoletta, tu crois encore à la Befana qui apporte des cadeaux, mais méfie-toi de la Strina : il ne faut jamais se moquer des sorcières ! »

Quant à Marchand qui a tenté de planter au nord, du côté le mieux exposé à Sainte-Hélène, de la menthe et du basilic, il s’est arrêté parce que l’Empereur le regardait et lui donnait des conseils :

« Sais-tu qu’en temps de guerre, les Grecs évitaient de prendre de la menthe à cause de ses vertus aphrodisiaques… Hélas, aujourd’hui dans cette île… ! Quant au pistou, basilic, on assurait, en Corse, que pour que la plante pousse, il fallait la planter en prononçant des injures et des malédictions. »

Ah ! ajoute l’Empereur. Et puis fais bien attention au pêcher qu’a planté Noverraz… Sur cette île de malheur, il ne peut pousser qu’un péché véniel ! Ici, les péchés mortels nous sont interdits. Je me suis parfois disputé avec mon oncle Faesch, Son Eminence a eu de la peine à me convaincre que la gourmandise rivalisait avec le meurtre ou l’orgueil, en tout cas je ferai mes compliments à Porteous pour sa pelouse. Ma petite amie Betsy vient y cueillir alentour des fleurs de la passion, des fuchsias et des héliotropes. Pour la table de la salle à manger, arrange-moi un beau bouquet de callas… Pour des raisons que tu comprendras, je ne veux pas avoir dans ma demeure un bouquet de lys blancs. Je laisse ça à mon pâle successeur en France… Pour moi les lys portent malheur !

A suivre

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9 novembre 2017 4 09 /11 /novembre /2017 18:43

Sainte-Hélène, septembre 1816

Beaucoup de malades autour de moi : M. de Las Cases a une hépatite et Gourgaud une dysenterie. Quant au maréchal Bertrand, il a une entorse. Il y a eu une scène violente entre l’Empereur et le gouverneur qui exige des économies : Santini et Archambaud doivent partir. Le gouverneur accuse M. de Las Cases et son fils d’avoir dissimulé certaines lettres et les menace de prison. Je dois faire de plus en plus attention à mon journal.

L’Empereur a demandé des somnifères au docteur O’Meara.

Cipriani nous a raconté qu’au printemps 1793, Napoléon avait manqué être assassiné. La Corse était en pleine confusion : partisans de l’indépendance, les francophiles et les paolistes. Le 29 avril, alors qu’il se rendait aux Iles Sanguinaires, Napoléon échappa à un attentat. Il voulut alors se réfugier à Corte, mais les paolistes le retrouvèrent en hurlant : « A morte il traditor de la patria ! » Napoléon qui avait choisi la cause française, se cacha d’abord dans un bois, ensuite dans une grotte de Casone, puis à Ajaccio, il se cacha chez son ami Elvie, derrière une alcôve. Heureusement, le 8, un autre ami, Illario Felici l’emmena avec sa barque à Bastia, et puis enfin, au début de juin, il trouva un voilier pour l’emmener avec toute sa famille, à Toulon.

A Marseille, il était capitaine à la douzième compagnie du quatrième d’artillerie, et il logeait rue Rameau chez le citoyen Chauvet, et c’est en partant pour rejoindre l’armée d’Italie, le 15 septembre, qu’un autre ami corse, Salicetti, avec qui il avait lutté à Ajaccio, lui offrit le commandement de l’artillerie du siège de Toulon. En quatre mois, Napoléon passa du grade de capitaine à celui de général.

Napoleon à Toulon par Edouard Detaille.

Napoleon à Toulon par Edouard Detaille.

A suivre

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8 novembre 2017 3 08 /11 /novembre /2017 17:12

Sir Thomas Breame parle assez bien le français. Il m’a aimablement salué comme je passais près de sa maison basse passée à la chaux et décorée de géraniums, comme les maisons de chez nous. Je savais que c’était la ferme de la Compagnie des Indes et je lui en fis compliment. Il se passa plus d’une année avant qu’il n’aborde un sujet qui m’a beaucoup fait penser :

  • Le fait d’avoir choisi l’exil sur cette île maussade en compagnie de l’Empereur montre votre attachement. Nous savons les Suisses fidèles, et je vous avouerai que j’entretenais moi-même à l’égard de votre maître, une grande admiration…
  • Vous avez dit entretenais, Sir ?
  • Oui, je parle au passé à cause de faits qui ne sont pas
  • Vous m’étonnez, Sir.
  • J’ai été encore plus étonné moi-même quand on m’a prouvé que Napoléon était faux-monnayeur !
  • Vous en avez trop dit, Sir, ou alors pas assez…

L’affaire remonte au début de l’année 1810. M. Desmarets était alors l’homme de confiance de Napoléon, chef de division de la police secrète. C’est lui qui, sur l’ordre de l’Empereur, chargea un certain Lale, premier graveur d’écriture au Dépôt Général de la Guerre, de copier des billets de la Banque d’Angleterre. Lale accepta et en compagnie d’un imprimeur savoyard du nom de Malo, installa son matériel dans une petite maison du Faubourg Saint-Jacques. Un jardin et des arbres la cachaient au voisinage. Le travail fut rondement mené, et les épreuves furent présentées à Fouché, ministre de l’intérieur, qui les montra lui-même à l’Empereur. L’imitation parut assez convaincante pour que Savary, le ministre de la police fédérale, en commande 10.000 épreuves. Le calcul était simple : envahir le marché européen de fausse monnaie pour ruiner le crédit de la Grande-Bretagne.

  • Mais… chaque billet ne devait-il pas être signé ?
  • En effet. Deux employés du ministère, assermentés, avaient acquis une telle habileté qu’ils apposaient plus de mille signatures dans la journée. Sitôt après, on versait les billets neufs sur le plancher poussiéreux et on les retournait et on les retournait avec un balai de crins ; c’était alors des billets assez crasseux que l’on envoyait à Rotterdam et à Hambourg, d’où des agents secrets les transportaient en Grande-Bretagne.
  • Et la manœuvre réussit ?
  • Partiellement, car, entretemps, Napoléon avait renoncé à débarquer en Angleterre et dressait des plans pour envahir la Russie. Les faussaires reçurent l’ordre de fabriquer des billets de banque et des assignats russes. Ce travail se fit chez le beau-frère de Lale, un certain Pauquet, graveur de talent, mais qui mit bien du temps à imiter parfaitement les signatures russes extrêmement alambiquées. Les presses fonctionnaient nuit et jour au 26 de la rue de Vaugirard et cela dura presque jusqu’à l’époque de la Berezina !

J’étais atterré par toutes ces précisions ! L’homme que j’avais considéré comme un héros, descendait de son piédestal, mais ce fut Sir Thomas qui me mit un peu de baume au cœur.

  • Voyez-vous Noverraz, les guerres ne se gagnent pas seulement sur les champs de bataille, un grand stratège a peut-être le droit de choisir d’autres armes que les sabres et les canons… Peut-être vaut-il mieux se servir d’encre que de sang.
Fausse monnaie, image d'illustration, faux Nazi.

Fausse monnaie, image d'illustration, faux Nazi.

A suivre

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